Fatimata Anne et Houlèye Diba sont deux jeunes femmes passionnées du football. L’une et l’autre se sont battues, bec et ongles, contre leurs parents pour devenir ce qu’elles sont aujourd’hui. La première, première femme ballon d’Or en Mauritanie. La seconde, arbitre internationale après avoir été joueuse internationale. Certes, Oumou Kane n’a pas connu la même carrière que ces deux jeunes femmes, mais elle est passionnée du cuir et elle vit cette passion en tant que Directrice du Département du football féminin à la FFRIM. Rencontre avec trois passionnées du cuir rond …
Oumou Kane, Directrice du Département du football féminin en Mauritanie » Le football féminin est désormais une réalité dans notre pays »
Le foot féminin comment se porte-t-il en République Islamique en Mauritanie ?
Le foot féminin commence à se porter bien en Mauritanie depuis ces deux dernières années. Il est désormais une réalité dans notre pays.
Avez-vous une idée précise du retard accusé par la Mauritanie sur le plan du foot féminin par rapport aux grandes nations sur le continent ?
Le retard du foot féminin est dû au développement du football mauritanien en général et en particulier la non implication des femmes dans ce sport, qui est évidemment dû au poids de la tradition et de la religion, même si certaines jeunes filles se cachaient pour jouer au foot au niveau des quartiers périphériques de Nouakchott.
Avez-vous visité d’autres pays africains voire européens pour pouvoir vous inspirer de l’organisation du foot féminin de ces Etats ?
Ah oui, j’ai été dans pas mal de pays particulièrement à Marrakech au Maroc en mars 2018 pour participer au premier symposium du football féminin organisé par la Confédération Africaine du Football (CAF). J’ai rencontré mes sœurs africaines d’autres pays. Nous avons beaucoup échangé et j’ai énormément appris auprès d’elles. J’ai été aussi au Burkina Faso en tant que commissaire de match en avril 2018, c’était un match de qualification pour la CAN version féminine le Burkina contre la Gambie. C’était bien sûr une première expérience, mais une très bonne expérience et une source d’inspiration pour pouvoir faire une comparaison avec notre réalité. Lors de ma dernière visite en Suisse, précisément à Nyon, au siège de l’UEFA (Union des Associations Européennes de Football), j’ai pris part à une formation de haut niveau sur leadership féminin dans le monde footballistique co-organisée par la FIFA et l’UEFA. Nous étions 30 femmes sélectionnées dans le monde donc 3 jeune femmes africaines : Une Kényane, une Libérienne et moi, Mauritanienne. Ces différents voyages et formations ont été très bénéfiques pour moi et m’ont permis d’avoir une meilleure approche pour le développement du football féminin mauritanien.
Dans combien de temps la Mauritanien pourrait-elle rattraper son retard pour jouer dans la même cour que ces grandes nations du foot féminin comme le Nigeria et le Cameroun ?
Nous allons nous donner deux (2) ans pour pouvoir rattraper ce temps perdu si Allah le veut bien.
Que faites-vous concrètement en tant que Directrice du Département du foot féminin mauritanien ?
Mon rôle en tant que Directrice du département du football féminin est de travailler sur le plan du développement du football féminin et en même temps le promouvoir.
Pourquoi créer un département du football féminin en Mauritanie ?
Conformément aux objectifs fixés de la FFRIM a décidé de mettre sur pied un Département en charge du développement du football féminin en Mauritanie. Ce département gère de manière autonome toutes les activités liées au football féminin sur l’ensemble du territoire national et a pour objectif de vulgariser le football féminin en Mauritanie et transpercer les barrières socioculturelles en partant de base. Pour mener efficacement cette mission, le Département a mis en place des compétitions féminines régulières (seniors et jeunes) et a ainsi instauré de novembre à avril la saison des compétitions afin de s’adapter à une population féminine majoritairement jeune dont la scolarité reste une priorité clé pour l’avenir de la jeunesse du pays et du football féminin en Mauritanie. A cet effet, plusieurs conventions ont été signées avec des partenaires clés comme le ministère de l’Education nationale et le ministère de la Jeunesse et des Sports pour accompagner le développement du football féminin en s’appuyant sur le football scolaire et universitaire comme incubateur pour impulser cette dynamique d’un football féminin au cœur de la stratégie de développement de la FFRIM
Houlèye Diba, Arbitre internationale du football : «J’ai pris goût au foot…»
Pouvez-vous nous parler de votre parcours sportif et dans l’arbitrage ?
Toute petite, j’ai vécu dans plusieurs localités de la Mauritanie notamment à Gourel Boubou, mon village natal et à Sarendougou où j’ai fait mes études primaires avant d’aller poursuivre mes études secondaires à Nouakchott. Autant vous dire que mon parcours sportif a été très influencé par les jeunes garçons de ces différentes localités, car j’ai grandi avec eux dans le même quartier et nous partagions le même établissement. Je ne vous apprends rien en vous disant que le football est la discipline sportive phare dans nos différentes localités y compris Nouakchott, la capitale du pays. Les jeunes garçons et moi passions le plus clair de notre temps à jouer au ballon dans la cour de l’école après les cours. C’est ainsi que j’ai pris goût à jouer au ballon rond et à rivaliser mes camarades garçons à faire des gestes techniques.
N’est-ce pas vous étiez une joueuse de basket-ball ?
Non, non et non ! C’est vrai que je n’ai pas commencé la pratique sportive par le football, même si le basket-ball ne me déplaisait pas du tout, mais j’ai toujours préféré jouer au football avec mes jeunes camarades garçons après les cours voire les travaux domestiques pour meubler mes temps libres. Je vous avoue que cela m’a beaucoup influencé pour le choix de ma carrière sportive d’hier et professionnelle aujourd’hui. Nos rencontres sportives se déroulaient parfois avec trop de rigueur.
Comment êtes-vous devenue l’arbitre du football ?
Après quelques années de pratique sportive en tant que joueuse de football, j’ai décidé de devenir arbitre après avoir écouté les conseils d’un gentil ami, qui travaillait avec le district de foot de la ville de Boghé. Cette personne m’a fortement encouragé et soutenu. Il n’avait que trois femmes arbitres en République Islamique de Mauritanie à cette époque. Et le foot féminin n’était pas du tout développé comme il en est depuis peu de temps sous la houlette de Monsieur. Ahmed Ould Yahya, le président de la FFRIM (Fédération du Football de la République Islamique de Mauritanie).
Comment votre passion pour l’arbitrage est-elle perçue dans votre entourage familial et amical ?
Mes débuts n’ont pas été du tout facile, car mon père et mes frères se sont catégoriquement opposés à ce que je devienne une jeune femme arbitre de football. Pour eux, le foot est et reste une activité masculine. Il m’arrivait même de discuter chaudement avec mes frères, qui ne supportaient pas de me voir enfiler la tunique noire, parce que nous sommes issus juste d’une famille fortement islamisée … Cela va à l’encontre des convictions religieuses. Ils me répétaient tout le temps que la pratique sportive et, surtout son accoutrement, étaient en contraction avec la tradition et la religion. Néanmoins, j’ai toujours été encouragée par ma mère, qui m’exigeait de m’acquitter d’abord de mes obligations domestiques avant d’aller jouer au ballon. Ce soutien de ma maman a été une motivation intrinsèque. Ainsi, ayant remarqué que j’étais de jour en jour plus engagée, mon papa et mes frères ont finalement cédé, disons accepter, car ils avaient compris que l’arbitrage était une passion et mon degré d’engagement montait crescendo.
Quels sont vos projets concernant l’arbitrage ?
Mes projets sont très clairs dans ma tête. Je compte progresser et gravir les échelons chaque jour. Alhamdouillah (Dieu merci), je viens juste d’être élevée au rang d’arbitre internationale et je veux surtout participer à l’émergence du sport mauritanien en général et en particulier le foot par le biais de l’arbitrage. Les femmes arbitres ne sont pas nombreuses en Mauritanie mais cela ne saurait tarder après la mise en place du championnat féminin.
Fatimata Anne, Joueuse de football « Mon père est fier de ma distinction première femme Ballon d’Or en Mauritanie »
Qui êtes-vous Fatimata Anne ?
Je me nomme Fatimata Mamadou Anne, plus connue sous le diminutif « Fama ». Je suis née à Nouadhibou, la capitale économique de la République Islamique de Mauritanie et j’ai grandi à Nouakchott, 6ème arrondissement (Moughatta El Mina, ndrl). J’y pratique le football depuis des années.
Comment et depuis quand le foot est une passion pour vous ?
Ma passion pour le ballon a débuté dès mon plus jeune âge à Nouadhibou. Je m’invitais et je venais jouer avec les jeunes garçons du quartier, malheureusement il n’y avait ni club, ni structure. Donc ce n’est qu’à Nouakchott que j’ai pu intégrer un club de football avec l’aide de mon oncle Harouna Diallo, qui m’a mis en contact avec un de ses amis coachs. Autant vous dire que je me suis concentrée sur le football assez tôt, disons en 2005. Je quittais l’école l’après-midi pour ainsi aller au terrain de foot pour m’entraîner. J’y arrivais la première très souvent. En cette période, il y avait peu de filles, qui jouaient au foot donc j’étais obligée de m’entraîner avec les garçons. A la base, c’était un groupe d’amis, qui se retrouvait pour jouer au foot sur le terrain Camara dans notre quartier. Comme la présence des filles était fluctuante, on était dans l’obligation de jouer avec ou contre les garçons. Et cela a contribué à améliorer nos performances techniques et physiques. Mais en réalité, il était très difficile dans une société traditionnelle voire conservatrice de pratiquer un sport d’hommes avec des hommes. Certaines personnes le voient d’un mauvais œil.
Quel est ton parcours footballistique jusqu’à maintenant ?
C’est le parcours d’une fille, qui se cachait pour aller jouer au foot, c’est un parcours sinueux avec des hauts et des bas. Ce n’est vraiment pas facile avec pression sociale et familiale. A un moment donné, on m’a ramené au village afin que j’arrête le football et que je me concentre sur mes études. Ainsi durant l’année 2016, je n’ai pas du tout pratiqué le foot. C’est avec la création du département du foot féminin qu’une de mes amies footballeuses de talent aussi du nom de Fatou Niang, dite Thiolito a parlé de moi à Mme Oumou Kane, la présidente du foot féminin. Cette dernière a pris contact avec moi et ma famille, par le truchement d’un autre oncle Amadou Diallo. Donc ce dernier qui a convaincu ma mère afin que je vienne continuer le foot. Deux ans après, j’ai été sacrée « meilleure joueuse » du championnat après avoir marqué 7 buts et raté 6 journées. J’ai été désignée « meilleure joueuse » une fois, mais cette année c’est la consécration avec le tout premier ballon d’Or féminin de la Mauritanie.
Comment êtes-vous devenue joueuse ?
Je suis devenue footballeuse à la suite d’une forte abnégation, surtout la volonté de réussir. Peut-être que j’ai un peu de talent que j’essaie de travailler au quotidien. Malheureusement, il y a eu des sacrifices au niveau de mes études. Mais aussi mon statut de joueuse, je le dois au soutien de quelques membres de ma famille et d’encadreurs dévoués. Même si je dois avouer qu’il m’arrivait de me déguiser en garçons afin de pouvoir jouer à mes débuts vu qu’il n’y avait pas beaucoup de filles joueuses.
Quelle a été la réaction de vos parents en voyant leur petite fille devenir joueuse de foot ?
Mon père est un taiseux de façon générale, mais les peu de fois qu’il évoquait cette question il me dissuadait et me demandait d’arrêter de perdre mon temps derrière le foot. Quant à ma mère, par peur pour mon éducation scolaire, elle a été plus ferme. Elle sollicita un de mes oncles (Harouna Diallo, qui est actuellement en Belgique) afin qu’il m’oblige à me concentrer sur les études et d’arrêter le foot. Mon oncle qui avait un ami (Abdoul Razak, Paix à son âme), qui venait de former en équipe de foot féminin, m’a mis en contact avec ce dernier pour qu’il m’encadre tout en m’obligeant à continuer mes études. Je note que j’ai un grand-père Daillo Youssouf qui était en avance sur mon temps, car il me suivait aux entraînements et nous aidait dans la logistique en mettant à notre disposition des packs d’eaux. Cependant, je peux dire que mon père est fier de moi aujourd’hui, il a été informé de ma distinction comme première femme Ballon d’Or en Mauritanie. Après l’événement, il m’a appelé pour me féliciter ainsi que l’ensemble de ma famille aussi bien paternelle que maternelle. Cela m’a fait plaisir aussi, car c’est une forme de reconnaissance de mon travail.
Comment faites-vous pour subvenir à nos besoins en République Islamique de Mauritanie sachant que le foot féminin n’est pas encore professionnel ?
Le foot féminin n’est pas professionnel qu’on le souhaiterait. Personnellement, j’aimerais m’expatrier afin de devenir une joueuse professionnelle (un rêve devenu réalité, car elle évolue au Sénégal), car le foot, c’est ma vie et c’est ma passion. Et j’aimerais vivre de ma passion et réaliser mes rêves. Jour au foot ne nourrit pas sa femme en terre mauritanienne pour l’instant.
Dossier réalisé par Camara Mamady