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Reporter, témoin des faits

Algérie: Plaine de Maghnia, ces terres fertiles qui se meurent…(Reportage)

On est loin des années 1990 où Maghnia détenait le titre de “premier producteur de la pomme de terre à l’échelle nationale”

Reportage de Chahreddine Berriah

“La baisse pluviométrique, le niveau bas des barrages et celui des puits font que l’eau manque et c’est inquiétant. Nous forçons notre destin pour continuer à travailler nos terres, mais jusqu’à quand ?” s’interroge, dépité, le président de l’association des fellahs indépendants de Maghnia, Abdelhamid Bouhassoune.

Une menace à peine voilée qui nous enseigne sur les déboires d’agriculteurs livrés à eux-mêmes.

Région agricole par excellence, Maghnia, pourtant, ne réussit plus à nourrir ses 250 000 habitants. Une situation qui a ses explications.

Hamoud Zitouni, ancien directeur des services agricoles dans la wilaya de Tlemcen témoigne, en expert “la plaine de Maghnia est l’une des plus riches potentiels agricoles. Son problème capital est la rareté de l’eau. Sans eau, pas de culture intensive dans une zone particulièrement chaude. Sa distribution par les services de l’hydraulique est hasardeuse, son usage est encore peu rationnel et quelquefois anarchique. Le projet du Grand bassin réservoir mort né de Souani (25 km plus loin) est un témoin frappant de cette incapacité des pouvoirs publics. Seules la remise en état du périmètre irrigué et sa gestion rigoureuse et moderne peuvent sauver cette riche plaine de la mort. Mais, le gros effort à consentir sur au moins le moyen terme, est d’accompagner les agriculteurs dans l’usage des techniques modernes d’économie de l’eau”.

A la rareté de l’eau, s’ajoute l’envahissement du béton

Cependant, la mort lente de cette plaine est justifiée par mille et une raisons. En plus de la reconversion des terres fertiles en zones urbanisables, souvent d’une manière illégale, encouragée par des complicités au niveau des administrations, les agriculteurs estiment qu’ils n’arrivent plus à “rentabiliser leurs investissements, pour différentes raisons”.

A commencer par la nature qui fait des siennes: le barrage de hammam Boughrara d’une capacité de  de 177 millions de mètres cubes, qui devait irriguer les terres, enregistre un taux de remplissage ne dépassant pas les 50%, selon M. Smain Boumediene, le directeur des ressources en eau de la wilaya d’Oran, dans une déclaration faite à la presse en décembre dernier.

“Le déficit demeure ainsi important dans la majorité des barrages de la région ouest”, souligne la même source, tout en ajoutant que “l’apport des dernières pluies, variant entre 60.000 et 700.000 m3, est juste moyen, ne permettant pas de sécuriser l’alimentation en eau potable que pour une courte durée”.

Et comme un malheur n’arrive jamais seul, la station de dessalement de l’eau de mer de Souk Tlétat, dans  la wilaya de Tlemcen, d’une capacité de traitement de 200 000 m3/jour, est tombée en panne à cause de problèmes techniques.

Conséquence: plus de 200 000 habitants, représentant 12 communes, vivent de graves perturbation dans l’alimentation en eau potable.

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L’espoir de la région qu’était le périmètre irrigué de Maghnia, s’est transformé en cauchemar. La superficie de 7 000 hectares, est toujours en l’état, malgré une enveloppe de 4 milliards de dinars (l’équivalent de 4 millions d’euros) alloués par l’Etat  pour la réhabilitation et l’extension de la superficie du périmètre irrigué et de son système hydraulique. Une opération confiée pour sa gestion  à l’Office national d’irrigation et de drainage (ONID).

«On avait annoncé cet immense projet en grande pompe en avançant des chiffres étourdissants, comme l’emploi de 21 000 personnes, pour ne citer que cela, mais peu importe les chiffres, la plaine de Maghnia avait besoin d’être revalorisée et l’irrigation était indispensable. Sauf que passé le temps des discours, les quelque 600 agriculteurs que nous sommes ne voient rien venir. On ignore toujours où ça cloche ?” s’insurgent les fellahs.

Les agriculteurs expliquent avec amertume la baisse de la production des produits agricoles, notamment la pomme de terre, la tomate et les agrumes.

“ L’électrification rurale est un autre problème. Quant à la production, on a nos mains expertes et notre amour pour la terre, sauf que le secteur n’est pas vraiment organisé. A défaut de chambres froides en nombre suffisant et de marchés de gros, le fellah travaille selon des prévisions ne répondant à aucun critère scientifique ou économique à proprement parler. Un exemple, si un agriculteur met tout son argent et ses efforts dans la culture des pastèques et des melons et que l’année est mauvaise, le fellah se retrouve livré à lui-même. Perdant toutes ses économies, l’année d’après, il optera pour une autre culture, ce qui déséquilibre le marché…”

Le projet du périmètre irrigué… tombe à l’eau

Et ce n’est pas fini “ nous sommes soumis à un passavant, autrement dit, on ne peut acheminer nos produits d’une daïra à une autre sans passer par la douane pour obtenir l’autorisation de circuler. Une procédure administrative qui ralentit notre activité et nous met dans une situation de suspects».

Au début des années 2000, l’Etat a créé le Fonds national de régulation et de développement agricole (FNDRA), un fonds consistant à aider et subventionner les agriculteurs pour, espérait-on, produire plus et mieux.

60 millions d’euros ont été débloqués pour ce programme dans la wilaya de Tlemcen qui possède 124 000 hectares de terres emblavées. “Tout cela pour qu’une dizaine d’années plus tard, le prix de la pomme de terre, entre autres, a doublé” reconnaissent amèrement nos interlocuteurs.

Échec d’une politique sans véritable étude, ni contrôle. Pourtant, la plaine de Maghnia et son périmètre irrigué ont cette réputation de terres fertiles ayant obtenu, dans les années 1990, le titre de premier producteur de la pomme de terre à l’échelle nationale”

Quant aux ménages, il sont obligés de consommer les produits du sud algérien, cultivés à plus de 2 000 kilomètres et forcément à des prix dépassant tout entendement.

“On est nourri par le Sahara, alors que nos  terres sont capables de nourrir toute la région ouest. La faute n’est pas seulement à l’eau qui manque, mais aussi à une politique d’Etat basée sur l’improvisation et une gestion anarchique…” estime, dépité, Youcef  Benkaaba, avocat et père de famille.

Chahreddine Berriah

+++Cet article est publié dans le cadre « Initiative soutenue par MédiaLab, Environnement, un projet CFI »