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Guinée : 63 ans après l’indépendance, la Grande Interview de Sayon Mara !

DossierCélébration de l’indépendance de la Guinée – Il est juriste de formation. Un observateur cultivé et avisé de la société guinéenne, il en parle plus aisément en apportant un éclairage ou une réponse précise à une question sociétale. Il, c’est bien sûr Sayon Mara, qu’on ne présente plus. Rencontre avec un juriste qui ne s’arrête pas au droit. La preuve entre les lignes de ses réponses.

La Grande Interview réalisée par Camara Mamady

Comment peut-on vous présenter aux lecteurs du site panafricain d’informations générales, Farafinainfo.com ?

Sayon Mara, je suis juriste de formation.

Joyeux et bel anniversaire à la République de Guinée, qui  fête le 63ème anniversaire de son accession à l’indépendance. Avez-vous un souhait à formuler voire un vœu pieux à faire pour les prochaines années ?

Oui. C’est de dire aux Guinéens de sortir des débats vains et de se mettre au travail. Malgré nos potentialités naturelles, nous sommes encore sur la liste des pays les plus pauvres de la planète.

Pour les prochaines années, mon souhait le plus ardent est que les considérations subjectives ne soient plus les critères d’appréciation d’une personne, mais plutôt que chacun soit jugé de par ses capacités intellectuelles.

Aux gouvernants, je les adjure non seulement de revoir les relations qu’entretient notre pays avec les autres Nations du monde, mais aussi de retoucher notre politique de développement, car celle appliquée jusque maintenant, calquée sur le modèle purement occidental, ne tient aucunement compte de nos réalités. Conséquence, nous tournons en rond comme un poulet qui reçoit une pierre en pleine tête, ça va dans tous les sens, mais le développement escompté tardera toujours à venir.

Aussi, que nos gouvernants sachent que le FMI et la Banque Mondiale nous distraient et constituent de véritables goulots d’étranglement de notre économie.

Au Peuple aussi de réaliser que le développement n’est point l’affaire des autorités seulement. C’est l’affaire de chacun de nous.

Que retenez-vous de ces années de souveraineté nationale et internationale en tant que citoyen guinéen et juriste – observateur  de la scène politique guinéenne ?

Deux choses :

Si d’un côté on peut se réjouir du fait que notre pays est celui qui a envoyé le coup d’envoi de la rupture avec les liens de l’assujettissement au niveau des pays francophones, de l’autre, il faut dire qu’une bonne partie de ces années de souveraineté a été consacrée aux questions qui n’en valaient pas la peine du tout. C’est ce qui explique d’ailleurs notre retard aujourd’hui.

Quel regard portez-vous sur l’histoire sociopolitique de la Guinée ?

Mitigé ! En effet, de l’indépendance à nos jours, la vie politique guinéenne est perturbée par des politiques qui, de façon effrénée, sont à la conquête du pouvoir ou du fauteuil présidentiel. Plutôt que de travailler pour sortir notre patrimoine commun de l’ornière, nous passons l’essentiel de notre temps à résoudre des crises politiques. Pire, 63 ans de souveraineté après, nous continuons encore à tenir la France pour seule et unique responsable de notre retard. Alors que, nos dirigeants aussi ont une grande part de responsabilité dans ce que nous vivons.

De l’indépendance à nos jours, la République de Guinée a été dirigée par trois (3) Présidents de la République  (Ahmed Sékou Touré, Lansana Conté, Alpha Condé) et deux (2) Chefs de l’Etat (Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté).  Quant au Président du CNRD (Comité National du Rassemblement pour le Développement),  le Colonel Mamadi Doumbouya, attendons de voir plus clair ! Quelle lecture en faites-vous?

Le premier régime (2 Octobre 1958-26 Mars 1984):

Le premier régime a eu la malchance d’être l’instigateur de l’indépendance des pays francophones africains.

En effet, l’indépendance de la Guinée, le 2 Octobre 1958, a grandement ouvert la voie aux autres pays africains, notamment ceux francophones. Ce qui fait que le Président Sékou Touré était dans l’obligation d’agir, comme il l’avait fait, pour protéger notre indépendance contre les agissements et l’intention affichée et néfaste des autorités françaises de lui faire mordre la poussière. En clair, Sékou Touré n’avait autre choix que de se tourner vers les pays communistes, mais aussi d’être, en permanence, dans une position d’autodéfense.

Malgré le système de sabotage méticuleusement mis en place par la France contre le Président Sékou Touré, le régime de celui-ci a posé de vrais jalons qui pouvaient permettre à notre pays d’être parmi les pays les enviés aujourd’hui.

Plutôt que de capitaliser les acquis palpables du régime de l’homme du 28 Septembre, le deuxième régime, au nom d’un certain libéralisme, les a tous foulés aux pieds à la prise du pouvoir par l’armée guinéenne, le 3 Avril 1984. Les unités industrielles bazardées et vendues à de tierces personnes qui n’ont pas su relever le défi….

En clair, le premier régime a entre autres à son actif l’acquisition et la préservation de notre souveraineté, la construction des infrastructures de souveraineté, l’industrialisation du pays, le plein emploi et la croissance, une monnaie forte, la corruption presque zéro, une diplomatie rayonnante, la promotion des micros barrages, la Sécurité et la défense infaillibles, la scolarité pour tous, la Mécanisation de l’agriculture etc….

La deuxième République (3 Avril 1984-22 Décembre 2008):

Appuyés par la France, les dignitaires de la deuxième République ont ouvert une campagne de dénigrement et de diabolisation afin de faire disparaître les traces et les œuvres du père de l’indépendance, ce, pendant des années sans trop de succès, car l’homme de 1958 est toujours resté positivement présent dans la mémoire collective. Au lieu de pérenniser les acquis du premier régime, ils ont plutôt préféré jeter le bébé et l’eau du bain.

Comme acquis, nous avons entre autres la construction d’infrastructures routières (bitumage) et énergétiques (Garafiri), la libéralisation des initiatives (pluralisme politique, économique et sociale).

Si nous devons le pluralisme politique, économique et social à la deuxième République, il faut reconnaître que c’est sous cette deuxième République également que l’Etat avait pris un sérieux coup au point que des individus sont devenus plus forts que l’appareil étatique. Les commerçants devenus plus forts que l’Etat, montent les prix et les descendent comme ils veulent et comme bon leur semble.

À côté de ces acquis, il faut souligner l’Institutionnalisation de la corruption, le bradage des unités industrielles, l’affaiblissement des institutions, l’affaiblissement du système éducatif, le retour du chômage…

Pour les régimes de transition du Capitaine Dadis Camara et Sékou Konaté (23 Décembre 2008-21 Décembre 2O10) :

Cette période difficile a été ponctuée d’un côté par les massacres du 28 Septembre 2008, et de l’autre par l’organisation de la présidentielle en 2010 ayant finalement abouti à l’élection du Professeur Alpha Condé, candidat du RPG d’alors.

-Le troisième régime (21 Décembre 2O10-5 Septembre 2021):

Ce régime est celui qui a le plus investi dans le secteur énergétique (Kaleta, Souapity, Koukoutamba etc) dans notre pays.

En plus de l’augmentation des salaires, la réorientation des subventions, l’accroissement des investissements dans le secteur minier, la promotion du développement local à travers les fêtes tournantes, ce régime a énormément investi dans les infrastructures routières (routes nationales).

Si pour certains, ce régime est le meilleur des régimes qui se sont succédé à la tête de notre pays, d’autres par contre lui reprochent notamment le manque de rigueur dans la gestion de la chose Publique, l’impunité. Aussi, d’aucuns lui reprochent d’avoir manqué l’audace nécessaire pour impulser, dans le vrai de l’expression, un sang nouveau à l’Administration guinéenne. Certes, les têtes au niveau des Département changeaient parfois et certains hauts cadres, mais la quasi-totalité des services sont restés pris en otage par des gens qui ont horreur au changement, qui continuaient avec les anciennes pratiques rétrogrades.

Ibrahima Baba Kaké a écrit dans son livre «Sékou Touré, le héros et le tyran» : «Si la vie de Sékou Touré est exceptionnelle, c’est qu’il est de ces rares Hommes dont on n’a jamais fini de parler : en bien ou en mal». Ce titre de Jeune Afrique : «Sékou Touré, le meilleur, le pire et ce qu’il en reste» a donné un coup de jeune à cette citation de Kaké n’est-ce pas ?

C’est vrai ! Mais pour la grande partie de l’opinion nationale et internationale, Sékou Touré est un héros, un grand homme qui a eu l’audace de dire Non à la France du Général De Gaulle. Panafricaniste convaincu et convaincant, le Président Sékou Touré s’est toujours battu pour l’émergence du continent africain. En un mot, Sékou Touré est resté, malgré l’intention des falsificateurs de notre vécu commun, positivement buriné dans la mémoire collective.

Et nos confrères de J.A d’écrire ce chapeau introductif : «Icône du panafricanisme pour les uns, autocrate paranoïaque et sanguinaire pour les autres, le père de l’indépendance était un personnage ambivalent. Autant que l’est son héritage». Etes-vous d’accord ou non ?

Je ne partage pas tellement cet avis dans la mesure où le Président Sékou Touré était dans l’obligation d’agir comme il l’avait fait pour protéger l’indépendance de notre pays contre les agissements et l’intention affichée des autorités françaises de lui  faire mordre la poussière pour avoir dit Non à De Gaulle. Ce Non de la Guinée, il faut le reconnaître, est resté en travers de la gorge des français.

Donc, le Président Sékou Touré n’avait autre choix que d’être, en permanence, dans une position d’autodéfense, comme je l’ai dit un peu plus haut.

Comprenez-vous cette déclaration du Pr. Alpha Condé, ancien Président de la République de Guinée :«Je prends la Guinée là où Sékou Touré l’a lassée» si oui pourquoi ?

Bien sûr que je la comprends parfaitement. En effet, c’était une manière de dire qu’il prend, dans son entièreté, l’ensemble des faits ayant jalonné le parcours de notre pays, de l’indépendance à son temps.

Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) n’est pas de cet avis. Et la preuve entre les lignes de sa déclaration rapportée  par nos confrères de Guinée7 : «Alpha Condé, pour exprimer son mépris vis-à-vis de Lansana Conté, a affirmé qu’il prend la Guinée là où Sékou Touré l’a laissée. Il a tendance à faire passer par pertes et profits les 24 ans de pouvoir de Lansana Conté. Pour lui, il ne s’est rien passé de positif entre 1984, date de la mort de Sékou Touré et 2008, date du décès de Lansana Conté», est-ce vraiment une manière maligne de mépriser le «père» de la démocratie en terre guinéenne ou pas ?  

Pas du tout. Bon ! Je ne suis pas aussi surpris que Monsieur Cellou Dalein Diallo lise sous cet angle. C’est de bonne guerre. N’oubliez pas avant tout que c’est avec l’œil d’un farouche opposant que le Leader de l’UFDG a interprété à sa façon cette sortie du Professeur Alpha Condé. Une manière pour lui de chercher à gagner les cœurs notamment des populations de la Basse Côte.

Que pensez-vous de cet autre écrit de nos confrères de RFI : «Il aura fallu attendre 26 ans après la mort de Sékou Touré pour que le peuple guinéen se rende enfin librement aux urnes. Que s’est-il passé entre son successeur Lantana Conté et le président de la République fraîchement élu Alpha Condé ? L’émission Archives d’Afrique retrace pendant plusieurs semaines l’histoire contemporaine de la Guinée

Je suis parfaitement d’accord, car la présidentielle de 2010 est, si je peux me permettre, l’élection la plus libre de l’histoire de notre pays. Aucun des candidats en lice à l’époque n’était au pouvoir. L’arbitrage était assuré par des hommes qui n’étaient pas candidats, contrairement aux autres présidentielles qu’on a connues où les Présidents sortants étaient toujours candidats à leur propre succession.

Camara Mamady