Un jour, alors qu’il pausait au bord du Bembéya comme cela lui arrivait chaque fois qu’il se sentait seul, bayant devant les petits poissons bruns qui s’ébrouaient dans une eau étonnement claire de la rivière, il entendit une voix de femme entonnant une élégie. Sans en comprendre encore les paroles, Demba se laissa griser par la mélodie tenue innocemment par cette voix de femme au timbre virile.
La voix venait d’un petit bosquet situé sur l’autre rive de la rivière. Il en fut si captivé qu’il se leva pour rejoindre le boqueteau et découvrir celle qui en était l’auteur. Au même moment, la chanteuse apparut, portant un plateau de galettes sur la tête et un petit pigeon blanc accroché à son épaule droite. Les paroles de la chanson devinrent plus audibles.
Balla ka kouloun nin gbè ta
Balla wara bagnè ninkan
Balla benda bidiningbè di
I lé bidinningbè kountè diya gnèla
I lé bidiningbè kuma fö nyè togna la
N’nya kèladi eh Allah.
Ces vers flagellèrent Demba au point qu’il se surprit à en reprendre le refrain. Il se sentait subitement proche de cette femme dont les paroles chatouillaient son intimité. C’était peut-être pour lui qu’elle chantait.
Balla s’est embarqué dans une petite pirogue blanche.
En longeant la rive du grand fleuve,
Balla découvre un petit pigeon blanc.
Il interroge le bel oiseau sur le sens de l’amour :
Dis-moi, petit pigeon blanc
L’amour a-t-il un sens ?
Oh rassure-moi que je ne mourrais pas jeune !
Pas avant de découvrir l’amour.
Demba se sentit brusquement possédé par une angoisse indicible, il transpirait, troublé par la présence de l’inconnue dont les dits le bouleversaient comme s’ils avaient été composés pour lui. La vendeuse affichait un sourire contagieux, elle ne semblait se soucier que de l’écoulement de ses galettes. Mais Demba sentait une invite dans son regard, une certaine complicité dans les mimes de la chansonnière.
Extrait ‘’Demba, l’étoile filante du Bembéya’’
Par Yamoussa Sidibé, Journaliste & Ecrivain