Niché sur une plaine et surplombant la Méditerranée, le village de Bider est réputé par ses agriculteurs et ses éleveurs de bétails jusqu’au jour où, en raison de la sécheresse, l’augmentation des prix de matériels, d’engrais et de produits agricoles, la majorité de ces travailleurs de la terre ont quitté la région pour un avenir meilleur. Ceux qui sont restés, quelques familles, se sont converties en transformateurs d’argile. Depuis, Bider est connue pour les mains d’or de ses potières.
Reportage de Chahreddine Berriah
Fin février. L’hiver refuse toujours de se pointer. A l’exception du froid, le soleil semble chasser cette pluie tant souhaitée en cette saison.
Pour arriver au village, à partir de la ville de Maghnia (ville frontalière avec le Maroc), nous devons parcourir environ 50 kilomètres en voiture. Des deux côtés de la route, les arbres sont anémiés, la terre est tristement ocre à force d’avoir soif.
Nous quittons l’asphalte pour parcourir un kilomètre sur une piste poussiéreuse. En haut de la crête, nous attend Halima, âgée de 68 ans.
Un silence enveloppe la bourgade. Quelques maisons suspendues sur une plaine semblent inhabitées. Pourtant, à l’intérieur, des occupants, des femmes, pour la plupart, s’occupent à mater l’argile pour en faire des chefs d’œuvre.
« C’est notre terre, celle de nos ancêtres, nous ne pouvons pas l’abandonner, nous ne pouvons pas nous extraire de nos racines, malgré les vicissitudes de la vie » explique d’emblée, fièrement Halima, mais avec, cependant, un peu de tristesse dans sa voix.
Aussitôt, nous sommes entourés par nos hôtes.
Samira, la trentaine ayant quitté sa scolarité après son échec au baccalauréat, avoue ne pas regretter de n’avoir pas quitté son village « C’est un peu comme en période de guerre, si on quitte son chez soi, c’est une trahison. Ma famille a décidé de rester sur notre terre natale, lutter contre les caprices de la nature et survivre avec ce qu’on a, les restes de notre richesse, cette terre, malgré son aridité, nous offre son argile pour créer des objets (assiettes, tasses, vases… ) et les vendre dans les villes limitrophes »
Mimoun, 70 ans, le père Samira, a gardé ses quelques chèvres, une vingtaine de poules et son pauvre petit jardin potager. « Je n’ai pas le choix, je suis né et grandi ici, si je pars ailleurs, c’est comme si on sortait un poisson de l’eau. Je serai mort. D’ailleurs, sans moyens financiers, que ferais-je dans une autre région, où loger ma famille, de quoi je la nourrirais ? Ceux qui sont partis, sont des gens aisés, ils peuvent refaire leur vie. Ma famille et moi, nous avons toujours vécu modestement, notre situation s’est dégradé un peu plus, mais nous acceptons notre sort. Mais, ce qui est sûr, c’est que nous avons la foi en Dieu et nous sommes heureux… » justifie-t-il dignement.
Cinq enfants tapent bruyamment sur un ballon. Ils sont scolarisés dans une école primaire à trois kilomètres de leur domicile. Un chien, affalé près d’un poulailler, est effrayé à chaque fois que le ballon est jeté.
« Nous sommes des cousins et tous, nous aurions souhaité habiter en ville où l’on peut tout trouver à proximité, mais nos parents ont préféré rester. Ce n’est pas grave, un jour ou l’autre, nous serons obligés de quitter nos parents et notre village pour aller terminer nos études au lycée, puis à l’université inchallah » indique timidement Karim, neuf ans.
Reconversion
Les familles, qui sont restées, ont presque toutes réservé une pièce de leurs maisons en atelier de poterie.
Khadidja, 52 ans, un tatouage sur le front, nous explique plus en détail le retour aux activités artisanales de leurs ancêtres « En vérité, la poterie est une activité qui existe depuis toujours chez nous, mais on s’en occupait peu quand les choses allaient bien. Aujourd’hui, pour vivre ou plutôt survivre, on est retourné à nos anciennes habitudes, au métier de nos grands-parents. Les plus jeunes d’entre nous, ont bénéficié d’une courte formation, notamment sur les tours. En plus, l’association Ayadi d’Alger nous a aidés avec du matériel moderne (fours et tours électriques), un matériel qui nous fait gagner du temps, augmente notre production et la précision dans la finition de nos produits… ».
Vers 17h, Ahmed, 57 ans, rentre de son travail de manœuvre en bâtiment.
« Vous voyez, j’ai acheté de la ville voisine un sachet de lait, des œufs, du poulet et des baguettes de pain. Il fut un temps où tout cela était produit par nos mères et nos épouses, le lait venait de nos vaches et chèvres, les galettes de nos champs de blé, les oeufs de nos poules etc… Aujourd’hui, on achète presque tout dans les épiceries de la ville voisine»
Ahmed se dirige vers le lavabo pour se laver et dit avec un ton d’humour « L’eau potable, nous l’avons presque quotidiennement, mais nous n’avons pas vraiment le droit d’irriguer nos petites terres. De toute façon, on ne s’en plaint pas, elle est juste suffisante pour nous alimenter et l’utiliser dans notre activité »
Bider est alimentée en eau potable à partir de la station de dessalement de l’eau de mer de Souk Tléta, à quelques 20 kilomètres plus loin.
La nuit tombe. Les étoiles éclairent davantage Bider. Des ateliers de fortune, on entend le ronronnement des moteurs de tours se confondre avec les chants traditionnels des femmes artisanes.
« On travaille tard le soir pour produire plus, car nous sommes concurrencés par les produits industriels moins beaux, mais moins chers. La crise financière est nationale et ceux qui continuent d’acheter nos poteries sont ceux qui aiment l’art et veulent sauvegarder ce patrimoine, c’est aussi une manière de nous aider à exister… » nous apprend Mimoun.
Halima, qui ne se fait plus d’illusions quant à son avenir et celui des siens, estime que « nos enfants, je sais qu’un jour ils quitteront pour aller en ville, quant à nous, nous nous contentons de ce que nous avons, nous n’allons pas mourir de faim, nos parents ont supporté pire que ce que nous endurons.
Nous avons interrogé l’adjoint maire de Marsat Ben M’hidi, le chef lieu de commune à laquelle est rattachée administrativement Bider, sur le sort de ces villageois. « Vous savez, nous ne vivons pas une catastrophe naturelle pour que l’Etat prenne des dispositions au profit des citoyens. La sécheresse touche le pays en entier et ces villageois ne sont pas vraiment en situation de danger. En plus, le gouvernement vient de publier une loi profitable aux chômeurs, âgés entre 19 et 40 ans, entrant en vigueur dès ce mois de mars et qui leur permet d’obtenir une pension mensuelle. En fin, cette situation d’aridité est passagère, j’espère. La météo annonce de fortes pluies, les barrages seront remplis et les choses rentreront dans l’ordre… »
Un discours optimiste d’un élu qui est loin de convaincre totalement la petite population, mais qui n’a d’autre choix que de compter sur elle-même.
Nous dévalons la pente pour quitter Bider, avec la promesse d’y retourner l’année prochaine. Halima, Samira, Mimoun, les enfants seront-ils toujours là ?
Reportage de Farafinainfo.com réalisé par C.B