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Algérie : L’agriculture saharienne dite intensive, les nappes albiennes menacées

REPORTAGE. Le Sahara algérien, qui représente 84% du territoire national  s’étendant sur une superficie de 2 382 000 kilomètres carrés,  est une région susceptible d’assurer l’autosuffisance alimentaire du pays. Mais, à quel prix ?

 

Reportage de Chahreddine Berriah pour Farafinainfo.com

 

Depuis peu, l’Algérie a adopté une  nouvelle politique de mise en valeur agricole consistant à remplacer l’agriculture traditionnelle par des cultures modernes intensives. Le but : se tourner vers son vaste Sahara pour se nourrir

En 2020, une année après son investiture, le chef de l’Etat Abdelmadjid Tebboune avait annoncé la couleur en soulignant lors d’une réunion du conseil des ministres “l’impératif d’accélérer la création immédiate d’un Office de l’agriculture saharienne pour la mise en valeur de millions d’hectares de terres sahariennes afin de développer les agro-industries”.

Aussitôt, dans une interview accordée à la Chaîne 1, le ministre délégué chargé de l’Agriculture saharienne et des Montagnes, avait affirmé  que “l’Office national de l’agriculture saharienne, créé sur décision du président de la République, se consacrera au soutien de l’investissement dans la production des produits stratégiques, afin de garantir l’approvisionnement du marché national et réduire les importations”.

1,9 millions d’hectares de foncier agricole

Le programme est d’envergure, puisqu’il concerne une superficie totale de plus de 1,9 million d’hectares de foncier agricole qui a été déterminée au niveau du Sud du pays, avait fait savoir,  à l’époque, sur les Ondes de la Chaîne 3 (Radio algérienne) le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Abdelhamid Hemdani « Si nous arrivons à mettre en valeur 500.000 hectares dans les six ans à venir, nous réaliserons les objectifs fixés dans notre feuille de route sectorielle », tout en assurant que  “les moyens hydriques sont disponibles pour développer les cultures stratégiques escomptées telles que les céréales et les oléagineux”.

40 000 milliards de mètres cubes dans le sous-sol algérien

Selon les statistiques, près de 800.000 hectares ont été « octroyés aux investisseurs pour leur mise en valeur et la production agricole.

Lui emboîtant le pas, le ministre des ressources en eau avait indiqué, à son tour,  que “40 000 milliards de mètres cubes  sont dans le sous-sol algérien  dont 70% serviront à l’utilisation intensive des agriculteurs.

Et de nous interroger : s’il est vrai que les ressources naturelles (fertilité des terres, disponibilité de l’eau, climat…) sont favorables à un tel avènement, qu’en est-il, alors, de la menace sur les nappes albiennes, l’utilisation de son eau,  son impact sur l’environnement, sur le coût, sa répercussion sur l’alimentation du consommateur ?

Difficile de le savoir précisément, en ce sens que toute industrialisation est pollueuse et donc dangereuse pour l’environnement, même si le discours des ministres précités se veut assurant.

Contacté, Hamoud Zitouni, expert en agronomie et ancien directeur des services agricoles à Tlemcen (Ouest algérien) contredit l’enthousiasme des dirigeants “ Le volume théorique de ses nappes profondes est estimé, selon les études, entre 30 et 60000 milliards de m3. Une manne inespérée mais qui a ses revers : l’eau est puisée en grande profondeur, elle est saumâtre, chargée, chaude et surtout fossile (non renouvelable, comme les hydrocarbures !).  La forte évapotranspiration des cultures sous de hautes températures vient compliquer la problématique.  L’exploitationde l’eau albienne pour l’agriculture requiert des solutions adaptées à chaque problème. Alors, dire que le Sahara est la solution pour assurer l’autosuffisance du pays, je ne le crois pas. Un: c’est une énième illusion qu’on veut inculquer au peuple pour que celui ci reprenne confiance. Deux: l’agriculture intensive au Sahara est basée sur l’exploitation de grandes nappes d’eau fossile (non renouvelable) dont la contenance est estimée hypothétiquement à près de 50 milliards de m3. Trois: son extraction nécessite beaucoup d’énergie électrique. Quatre: cette eau est globalement plus ou moins saumâtre. Son usage en irrigation pollue par le dépôt de sel les surfaces cultivées. Ce qui nécessite au bout de deux à trois ans un déplacement des cultures sur d’autres endroits vierges. Cinq: aucune étude à ce jour ne permet d’évaluer avec suffisamment de précision les réserves en eau fossile du grand sud. Donc l’agriculture qui y est menée est extractive, comme le gaz et le pétrole. Six: l’agriculture oasienne basée sur l’exploitation des nappes peu profondes est la plus durable. Par contre, elle n’est pas très extensible même si l’on fait appel à l’irrigation moderne économisatrice d’eau »

M. Hamoudi suggère, plutôt, de « mieux préserver et mieux valoriser les terres agricoles et les ressources en eau du Nord. Le réchauffement climatique est déjà en train d’aggraver la problématique…”

Et de proposer dans le détail des solutions.

Pour amoindrir les coûts en énergie pour le pompage de l’eau, selon l’expert, l’énergie solaire pourrait contribuer à résoudre ce problème.

« Nécessité de mettre en place de grands bassins de refroidissement et de décantation, nécessité de déminéraliser suffisamment l’eau décantée pour éviter le colmatage des équipements d’irrigation et la salinisation du sol, nécessité d’économiser le précieux liquide pour préserver sa pérennité, en faisant appel aux meilleures techniques disponibles en la matière et en faisant payer l’eau à son juste prix pour son usage dans les cultures autres que stratégiques, subventionner l’eau et l’énergie pour produire de la pastèque, du melon et de la fraise hors saison n’est pas pertinent, nécessité de modérer l’usage de pesticides et d’en interdire les plus dangereux afin de préserver la qualité de l’eau lessivée vers les nappes superficielles, celles-ci étant généralement utilisées à l’alimentation humaine et l’abreuvement du cheptel, nécessité de mettre fin aux subventions à l’énergie électrique en orientant l’aide de l’Etat y afférente vers l’installation de solutions alternatives au réseau Sonelgaz (société nationale de l’électricité et du gaz) très coûteux (mini centrale photovoltaïque adaptée aux besoins de l’exploitation) au besoin subventionnées, mettre à contribution les expertises et les compétences nationales et, au besoin étrangères, pour promouvoir des cultures stratégiques, des espèces, variétés et techniques culturales adaptées aux conditions du sol, de l’eau et du climat du grand sud et respectueuses de l’environnement… »

M. Hamoudi conclut « A mon avis, il faut promouvoir des systèmes d’exploitation agricole inspirés du modèle oasien dephoeniciculture (culture du palmier) sous laquelle s’abritent d’autres cultures fruitières et maraichères. Cela me semble une voie possible et souhaitable d’agriculture durable et économiquement rentable. Les modèles productivistes et parfois spectaculaires basés sur l’exploitation forcenée de l’eau en zone aride ici et là dans le monde ont périclité (Arabie saoudite) ou sont en train d’être repensés et réformés (Californie) ».

Pour visiter des exploitations agricoles qui nourrissent une grande partie du nord du pays, nous nous sommes déplacés dans le sud-est algérien, une étendue désertique où est nichée M’zirâa, localité de près de 10 000 habitants (4 35 km d’Alger). Des champs à perte de vue. Elle s’illustre par ses produits maraîchers: piments, poivrons, tomates, aubergines, petits pois, melons, pastèques, fèves et cantaloups dont seule la tomate, à elle-seule,  représente le tiers de la production annuelle de l’Algérie, soit plus de 300 000 tonnes, d’où l’appellation “M’zirâa, le potager de l’Algérie.

Ali Tahraoui,  grand agriculteur, exploite  à titre individuel, en pleins champs et en sous serres, plus de 4 00 hectares de bonnes terres agricoles sur 6 000 hectares que compte la région  “traitées avec des engrais naturels et chimiques de bonne qualité et sont soumises au régime de la jachère pour permettre le renouvèlement de leurs potentialités” tient à préciser notre interlocuteur.

M. Tahraoui possède, également, cinq palmeraies qui donnent des palmiers dattiers de type Deglet Nour de renommée mondiale.

Satisfait de la richesse de ses terres et de ses produits, il bénit Dieu “Le problème d’eau ne se pose pas, puisque nous avons des forages ! »

Des forages puisés des nappes albiennes pour une agriculture saharienne intensive. Mais, pour combien de temps encore ?

Mardi 17 septembre 2024, le président Abdelmadjid Tebboune, fraîchement réélu, a déclaré dans un discours prononcé après sa prestation de serment au Palais des nations « Nous avons réalisé des avancées significatives dans la production agricole, notamment dans les cultures stratégiques, grâce à une carte agricole élaborée selon des critères scientifiques et à la poursuite de l’établissement de partenariats internationaux dans le secteur agricole avec des pays amis et frères leaders dans les filières stratégiques comme le lait et les céréales (…) en vue de réduire les importations »

Il a tenu à rappeler, également, son engagement visant à atteindre une autosuffisance « totale et complète » en blé dur vers fin 2025 et en orge et en maïs en 2026 ».

Qui aura raison de l’autre, la nature avec ses caprices ou l’homme politique avec ses ambitions ?

 

Avec notre Correspondant en Algérie & au Maghreb, Chahreddine Berriah

 

Farafinainfo à l’honneur : Le journaliste Chahreddine Berriah, lauréat