Pour diverses raisons, essentiellement économiques surtout, Hapsa Faye, Khady Sy, Ramatoulaye Sané et d’autres femmes sénégalaises ont émigré en terre islamique de Mauritanie. N’ayant aucune qualification professionnelle, elles deviennent des domestiques plutôt que des secrétaires de direction, comme elles aiment se faire passer à Nouakchott. Et tout au long des mois, ces «secrétaires de direction» se tuent, à petit feu, à la tâche ménagère dans les maisons nouakchottoises pour un salaire mensuel de misère.
Dure, dure, la vie de domestique à Nouakchott, pour ne pas dire en Mauritanie. Les femmes domestiques sont indéniablement les premières à se lever et les dernières à se coucher dans les maisons nouakchottoises, du moins, pour la plupart d’entre elles. Très tôt le matin, elles prennent d’assaut les routes et ruelles de la capitale mauritanienne. Certaines rallient, à pied, leur lieu de travail. Par contre, d’autres, qui ont du charme à revendre, viennent s’amasser au niveau des ronds-points très fréquentés par des automobilistes et font des auto-stops pour ne pas débourser le moindre ouguiya en frais de transport. Parce que le salaire de domestique – et non de secrétaire de direction comme elles aiment se faire passer – est très maigre pour faire face à trop de frais : le loyer, le manger, le soin…
Silence, on travaille
A quelques encablures du ministère du Pétrole et de l’Energie, les femmes domestiques sont massées autour du grand rond-point, attendent patiemment les voitures et scrutent le moindre geste des automobilistes qui passent. Les plus patientes finissent toujours par trouver une bonne volonté. A une dizaine de mètres d’elles, Hapsa Faye se fraie un chemin entre les maisons de l’îlot K pour aller au travail. Mise en confiance, cette Sénégalaise, divorcée d’un mariage forcé et mère d’une petite fille de quatre ans, raconte sa vie : «Juste après mon divorce, j’ai travaillé à Dakar comme domestique pour subvenir à mes besoins. Malgré le divorce consommé, mon ex-mari ne me collait pas la paix. Pour tourner définitivement cette page sombre de ma vie, j’ai décidé de rejoindre ma cousine Fatou en Mauritanie et y travailler. Auparavant, je travaillais et vivais dans une famille mauritanienne. Et je revenais chez ma cousine par quinzaine. Je bossais de 6 heures du matin à 23 heures, voire très tard dans la nuit. Au début, je ne m’occupais que des travaux ménagers de la maison. Au fil du temps, j’ai commencé à faire le cumul de fonctions de domestique et de nounou. Parce que ma patronne, employée dans un établissement financier de la place, voyageait fréquemment à l’étranger. Et ses deux enfants restaient avec moi ; c’est vous dire que je prenais soin de la maisonnée tous les jours en l’absence de la maîtresse des lieux. Ces deux enfants, je les traitais comme ma propre petite fille. Quant à leur mère, elle était devenue une grande sœur pour moi. De plus en plus, je me sentais membre de cette famille.» Une erreur fatale commise par Hapsa Faye ? D’ailleurs, Hapsa l’a ouvertement reconnue : «Sincèrement, je n’aurais jamais dû me comporter comme un membre à part entière de la famille de mes employeurs mauritaniens. C’était une erreur de ma part ! Je la reconnais peut-être un peu trop tard. Mais, c’est la vie.» Pour avoir osé hausser le ton devant l’un de ses petits protégés et, surtout pour avoir rendu, mot pour mot, les propos injurieux de ce dernier, la «pauvre» domestique sénégalaise a été mise à la porte par sa patronne musulmane de manière vraiment pas très catholique : «L’enfant ne cessait de m’insulter. Et quand j’ai répondu aux propos injurieux de ce dernier, sa mère s’est mise en colère contre moi. Elle a jeté mes affaires dans la rue, tout en me remettant la somme de 26 000 UM, soit 52 000 FCfa. Ce qui représente une bonne partie de mon salaire mensuel de 30 000 Ouguiyas, soit 60 000 FCfa.» A en croire notre interlocutrice, elle n’est pas rentrée en possession du restant 4 000 UM, soit 8 000 FCfa, de son salaire jusqu’à présent.
Misérabilisme et solidarité
Infernal travail pour un salaire mensuel de misère. Jetée dans la rue et rentrée en possession d’une partie de son salaire mensuel, qui dépasse à peine le SMIC (Salaire minimum interprofessionnel de croissance) en Mauritanie, qui est de 21 500 UM, soit 43 000 FCfa. Hapsa Faye s’en est tirée à bon compte. C’est le moins que l’on puisse dire. Car, certaines domestiques se voient accuser de vol et sont généralement traînées dans les commissariats de police, voire devant les tribunaux à Nouakchott. Aujourd’hui, Hapsa partage une minuscule chambre avec sa cousine et d’autres domestiques sénégalaises dans la Moughataâ (commune) de Sebkha, communément appelée le 5e arrondissement. Comme Hapsa, sa cousine, Fatou Ndiaye, ses copines, Khady Sy et Salimata Kane, nombreuses sont les domestiques sénégalaises qui vivent en colocation dans les quartiers périphériques de la capitale mauritanienne. Nonobstant le travail d’enfer que ces filles domestiques sont obligées d’abattre à longueur des journées, elles ne reçoivent qu’un salaire mensuel de misère à la fin des mois. Le salaire de domestique est généralement compris dans la fourchette de 10 000 UM (20 000 FCfa) à 35 000UM (70 000 FCfa). Mais rares sont celles qui perçoivent un salaire de 70 000 FCfa, à moins qu’elles ne travaillent pour le compte des expatriés occidentaux ou orientaux. Comme en attestent les propos de nos interlocutrices. Ramatoulaye Sané se souvient de son arrivée en terre islamique de Mauritanie. «J’ai foulé le sol mauritanien pour la toute première fois, le 23 avril 2008. Avant, j’étais à Ziguinchor et j’y ai travaillé durant quatre ans dans une usine de la place. Pour des raisons de lock-out, je suis allée rejoindre ma grande sœur à Dakar. Chez elle, j’y ai fait la connaissance d’un Mauritanien. Ce dernier m’a fait comprendre qu’il était à la recherche d’une cuisinière. Et il m’a proposé un salaire de 50 000 FCfa. Il m’a également promis l’augmentation dès le début de mon deuxième mois de service chez lui.» Une promesse d’augmentation qui n’a pas été tenue par ce citoyen d’un pays où tous les habitants sont de croyance musulmane, comme d’ailleurs Ramatoulaye. Qu’à cela ne tienne, elle y est restée et a travaillé durant sept mois, malgré la dureté des travaux domestiques. «Je faisais tous les travaux domestiques dans la maison : le linge, le repassage, la cuisine, l’entretien du jardin et de la maison. Je crois que j’ai tenu durant tout ce temps à cause de ma foi, sinon le travail de domestique est effroyable en Mauritanie», c’est le commentaire fait par la native de Ziguinchor pour un salaire de 25 000UM (50 000 FCfa) de ses dures journées de travail. Un salaire qui n’arrive pas à couvrir ses besoins. Et ce n’est pas Céline Dione qui dira le contraire : «Mes premiers jours furent très difficiles à Nouakchott. J’arrivais à peine à suivre le rythme de travail de 7 heures du matin à très tard la nuit. J’étais la première à me lever dans la maison et je me couchais quand tous les membres de la famille partaient au lit. Maintenant, je suis «robotisée» dans les travaux domestiques, et tant mieux pour moi. Je reconnais quand même que le travail de domestique n’est pas facile. Et mon traitement salarial de 26 000 UM (52 000 FCfa) ne représente rien par rapport au travail que je fais tous les jours dans la maison de mon patron. Aujourd’hui, nous menons une vie de bonnes à tout faire, mais qui sait de quoi demain sera fait ? Etant une très bonne chrétienne, j’ai la foi et je ne désespère pas de recevoir un jour l’aide du Seigneur.»
Violence et voie de fait : «Cent (100) filles domestiques sont victimes de violence.
Certains de nos employeurs n’ont aucun respect pour nous, les filles domestiques. Cela est valable aussi bien pour les domestiques mauritaniennes que celles étrangères. Ils nous font subir toutes sortes de maltraitances : violences verbales et physiques», martèle, sans cesse, Hapsa Faye. Même son de cloche dans les locaux de l’AFCF (Association des femmes chefs de famille). Nebghouha Mint Abdallahi, chargée de la protection et du suivi juridique des filles domestiques mineures, révèle : «Du mois d’août 2009 à nos jours (Ndrl, le jeudi 18 juillet 2010), nous avons assisté à 900 filles domestiques mineures, âgées, de 6 à 18 ans, à Nouakchott, dont 100 sont victimes de violences : maltraitance et exploitation, à la fois, inhumaines et dégradantes.» Et pour enfoncer le clou, Mint Abdallahi entre dans les détails statistiques : «Parmi ces 100 filles domestiques victimes de violence, 30% sont victimes du retard de paiement de salaire mensuel, 40% de la maltraitance et de l’exploitation et les 30% restantes sont victimes du viol, de l’accusation de vol, de la menace, de la violence physique et verbale.» Dans le lot des filles domestiques mineures, qui sont accusées de vol ou qui font l’objet de maltraitance, on y trouve des mineures sénégalaises, entre autres, Aminata Ndiaye a été accusée de vol d’un téléphone portable par sa patronne. Tout comme, Fatou Guèye, elle a été accusée de vol de 400 000 FCfa. Ainsi que Fatou Guèye Diaw, elle a été accusée de vol de bijoux par sa patronne. Quant à Diéynaba Samba Bâ, elle a été maltraitée par son employeur. Il faut d’ailleurs rappeler que L’Obs a consacré plusieurs articles sur les cas des domestiques sénégalaises en Mauritanie, notamment celui récent sur Fatou Guèye Diaw sous le titre : «Accusée de vol de bijoux : Une mineure sénégalaise passe 5 jours au commissariat de Tevragh -Zeina avant d’être libérée.»
Camara Mamady L’obs.sn