Mon point d’ accord avec mon confrère Maître Takioullah Eidda, avocat de M. Mohamed Ould Abdel Aziz, ancien Président de la République (A. Gourmo Lo)
Comment faire la différence pratique (qualification) entre » actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions » par le Président de la République (article 93 de la constitution) et les autres actes qu’il peut également accomplir pendant qu’il est en fonction, mais qui ne seraient pas de même nature juridique que les premiers?
La différence entre ces 2 catégories d’actes est essentielle dans le débat en cours actuellement, puisqu’ elle détermine le sort que chacun de ces actes subira, en termes de tribunaux compétents notamment.
Certains ont pu défendre, au tout début de la querelle sur la compétence de la commission d’ enquête parlementaire pour entendre le Chef de l’ Etat, que celui-ci échappe à toute juridiction, pour quelque acte que ce soit, sauf à être traduit devant la Haute Cour de Justice, pour Haute Trahison. Pour tous les autres actes, il pourrait avoir fait tout ce qu’il veut sans jamais avoir à être traîné devant aucun juge d’aucune juridiction. Ce serait là, le sens même de l’immunité dont bénéficierait l’ ex Chef de l’ Etat par la vertu de cet article 93. C’est la thèse absolutiste de mon ami et collègue Ould Khabbaz. Ainsi sauf à le faire juger pour Haute trahison devant la Haute Cour de justice, le Président de la République échapperait à toute autre justice, la justice ordinaire, pour tous les autres actes accomplis durant son mandat.
Depuis la constitution de la fameuse commission parlementaire, je m’évertue, en solitaire, de démontrer la non pertinence de cette approche absolutiste dont la mise en œuvre aurait conduit à l’impunité totale de faits de délinquance ordinaire notamment par crimes économiques du Chef de l’ Etat,- impunité contraire à la lettre et à l’ esprit même de cet article 93 de la constitution, ainsi qu’ aux valeurs morales et religieuses de notre pays.
Aujourd’hui, de manière parfaitement inattendue, cette thèse de l’impossibilité de traduire le chef de l’Etat devant des juridictions ordinaires est battue en brèche par…le principal avocat de l’ ancien Chef de l’ Etat, Maître Takioullah Eidda en personne. Que l’on me pardonne de citer de longs passages du texte publié très récemment par mon confrère sur sa page Facebook. Que dit-il?
L’immunité absolue dont bénéficie le Président de la République » ne couvre et ne s’applique évidemment pas aux actes de nature privée posés par le Président de la République pour lui même ou dans la gestion courante de ses affaires personnelles, lesquelles demeurent du ressort des tribunaux de droit commun ». Il assène » Les actes de nature privée posés par le Président, AVANT, DURANT, ET APRES l’exercice de son mandat, ne sont pas couverts par l’immunité de l’article 93. ». Ainsi, pour mon éminent confrère et avocat principal de M. Ould Abdel Aziz, l’art 93 de la constitution n’est absolument d’aucun secours pour son éminent client, lorsque les actes qui lui sont reprochés sont hors de ceux qualifiés d’actes accomplis dans l’exercice de la fonction présidentielle proprement dite. Ces actes que mon confrère appelle à bon escient » actes de nature privée », entraînent la compétence des juridictions ordinaires, civiles ou pénales. Et Maitre Takioullah d’insister sur le fait que l’ancien Chef de l’Etat ne pourrait y échapper: » il est tenu de répondre devant le tribunal compétent de droit commun, civil ou pénal, mais une fois sa charge présidentielle arrivée à son terme ».
Pour ne laisser planer aucun doute quant à la profondeur de son raisonnement juridique, en parfaite phase avec le mien, il va illustrer ses propos par des exemples concrets difficilement contestables. Voilà ce qu’il dit : » Par exemple si avant ou durant la exercice de son mandat, le Président porte atteinte physiquement à un membre de sa famille; vend ou achète de la drogue; agresse une mineure; commet une fraude fiscale.., il doit répondre devant le tribunal de son geste à la fin de son mandat (exemple de Chirac avec les emplois fictifs de Paris). Il en va aussi des contrats qu’il a signé(s) pour la gestion de ses propres biens ou ses affaires personnelles: par exemple les contrats de louage ou ceux liés à la gestion de ses meubles ou immeubles ou encore aux soins ou prestations qu’il a reçu(s). ».
On pourrait ajouter sans difficultés, qu’il en va évidemment de même, d’ actes de corruption active ou passive, de concession, de trafics d’influence, de devises, d or, de vol, de blanchiment d’ argent et recel, de commissions occultes et autres actes d’enrichissement sans cause ….qui débordent du rapport de la Commission d’ enquête parlementaire et qui constituent sans doute la substance de l’ enquête préliminaire pour crimes économiques ouverte par le parquet à l’encontre de M. Mohamed Ould Abdel Aziz, ancien Président de la République. Exactement comme le demande ici avec pertinence, son avocat, Maitre Takioullah Eidda. Dommage que ces 2 autres collègues français, n’aient pas eu la même finesse d’esprit et d’analyse.
En somme, l’ex Président devra parfaitement répondre devant les juridictions ordinaires si les enquêtes laissent penser qu’il a commis des actes privés constitutifs de crimes économiques. Pour celà, il devra se plier à la procédure de l’enquête préliminaire de police. Sans préjuger que d’autres faits puissent entrer dans la 1ère catégorie : Haute trahison devant la Haute Cour de Justice ultérieurement. En temps et en heure.. (ci- après en vidéo ce que j’affirmais il y a plusieurs mois, à propos des 2 catégories d’actes du Chef de l’Etat et de leur traitement différent devant la justice)
Abdoul Gourmo Lo, Homme politique, Juriste & Professeur de Droit en France