𝗟’𝗔𝗨𝗧𝗢𝗥𝗜𝗧𝗔𝗥𝗜𝗦𝗠𝗘 𝗗𝗘 𝗟𝗔 𝗧𝗥𝗔𝗡𝗦𝗜𝗧𝗜𝗢𝗡 𝗘𝗡 𝗚𝗨𝗜𝗡É𝗘 : Analyse des dynamiques politiques post-coup d’État

OPINION. Depuis son indépendance en 1958, la Guinée a connu plusieurs transitions militaires, chacune marquant profondément son paysage politique et social. Le premier coup d’État, survenu en 1984 après la mort du président Sékou Touré, a porté au pouvoir le Comité Militaire de Redressement National dirigé par Lansana Conté. Ce régime, initialement accueilli avec espoir, s’est progressivement mué en un pouvoir autoritaire caractérisé par la centralisation et la corruption.

Après la mort de Lansana Conté en 2008, un autre coup d’État a installé le Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD) dirigé par Moussa Dadis Camara. Cette période a été marquée par de graves violations des droits humains, notamment le massacre du 28 septembre 2009, et une gestion opaque des ressources publiques. Enfin, le renversement d’Alpha Condé en septembre 2021 s’inscrit dans cette continuité de transitions militaires.

Ces épisodes ont entraîné des conséquences lourdes sur le développement démocratique de la Guinée, consolidant des pratiques autoritaires et une méfiance généralisée envers les institutions publiques. Cependant, un élément récurrent de ces transitions est l’incapacité des acteurs politiques, notamment les opposants, à tirer les leçons des expériences passées. Plutôt que de promouvoir des réformes institutionnelles solides, les opposants ont souvent cherché à profiter de ces changements pour consolider leur propre position, ignorant les risques inhérents à l’installation de régimes militaires.

La récurrence des coups d’État témoigne ainsi de l’incapacité des élites politiques à instaurer des mécanismes durables de gouvernance démocratique. Ce contexte historique fournit une grille de lecture essentielle pour analyser les dynamiques actuelles.

Cet article analyse les dynamiques qui ont accompagné la transition de 2021, en mettant en évidence le rôle des différents acteurs politiques et sociaux dans la consolidation de l’autoritarisme en cours. Nous explorerons successivement le soutien initial des opposants au régime Condé, l’échec des idéaux démocratiques portés par certains acteurs, le retour des opportunistes historiques, et l’impact de l’indifférence de la communauté internationale. Cette analyse s’appuie sur des sources académiques et des exemples concrets pour mettre en dialogue différents auteurs.

𝟭. 𝗟𝗲𝘀 𝗼𝗽𝗽𝗼𝘀𝗮𝗻𝘁𝘀 𝗮𝘂 𝗿𝗲́𝗴𝗶𝗺𝗲 𝗖𝗼𝗻𝗱𝗲́ : 𝗱𝗲 𝗹𝗮𝗱𝗵𝗲́𝘀𝗶𝗼𝗻 𝘀𝗮𝗻𝘀 𝗿𝗲́𝘀𝗲𝗿𝘃𝗲 𝗮̀ 𝗹𝗮 𝗺𝗮𝗿𝗴𝗶𝗻𝗮𝗹𝗶𝘀𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻

Dès le lendemain du coup d’État, de nombreux opposants au régime d’Alpha Condé ont exprimé une satisfaction quasi unanime avec le fameux narratif « 𝑵𝙤𝒖𝙨 𝙥𝒓𝙚𝒏𝙤𝒏𝙨 𝙖𝒄𝙩𝒆 ». Des figures politiques majeures comme Cellou Dalein Diallo, leader de l’UFDG (Union des Forces Démocratiques de Guinée), ont salué la chute d’un régime qu’ils jugeaient autocratique et illégitime (Camara, 2022). Cependant, cette approbation sans réserve a contribué à légitimer les militaires au pouvoir, sans pour autant les contraindre à transmettre le pouvoir au civil dans les meilleurs délais.

Cette dynamique s’inscrit dans une logique de court-termisme politique. Comme le souligne Collier (2010), les opposants dans des contextes similaires tendent souvent à soutenir les transitions militaires en espérant en tirer profit, mais ce calcul se retourne fréquemment contre eux. En Guinée, les militaires ont rapidement marginalisé ces opposants, notamment par la récupération de certains de leurs domaines fonciers, par des arrestations et des restrictions activités politiques, illustrant une volonté ferme de concentrer le pouvoir. Plus important encore, ces opposants semblent ne pas avoir tiré les leçons des transitions militaires précédentes, où les mêmes dynamiques avaient abouti à des régimes autoritaires, comme cela fut le cas après les transitions de 1984 et 2008. Leur incapacité à anticiper les conséquences de leur soutien tacite aux militaires reflète un manque de stratégie politique à long terme.

𝟮. 𝗟𝗲𝘀 𝗶𝗹𝗹𝘂𝘀𝗶𝗼𝗻𝗻𝗶𝘀𝘁𝗲𝘀 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗱𝗲́𝗺𝗼𝗰𝗿𝗮𝘁𝗶𝗲 𝗹𝗶𝗯𝗲́𝗿𝗮𝗹𝗲 𝗲𝘁 𝗹𝗲́𝗰𝗵𝗲𝗰 𝗱𝗲 𝗹𝗮𝗹𝘁𝗲𝗿𝗻𝗮𝗻𝗰𝗲

L’idéal d’une démocratie libérale basée essentiellement sur l’alternance politique a été défendu par certains groupes, mais sans une véritable stratégie de renforcement institutionnel. Cette vision réduite de la démocratie, que Diamond (1999) qualifie de « minimaliste », a permis aux militaires justifier la prise du pouvoir par les armes.

Cependant, la démocratie libérale occidentale, telle qu’elle est conceptualisée, n’est pas nécessairement adaptée aux réalités africaines en général et guinéennes en particulier. Comme le démontre Huntington (1991), les processus de démocratisation doivent être ancrés dans des réalités culturelles et institutionnelles locales. De même, Bayart (1989) et Otayek (1993) ont souligné que les modèles importés risquent de créer des structures déconnectées des besoins et des dynamiques sociales locales.

Par ailleurs, l’alternance démocratique, souvent présentée comme un principe fondamental de la démocratie, n’est pas un critère déterminant ou décisif, surtout dans les jeunes démocraties. Huntington (1991) argue que l’alternance politique peut être une conséquence, mais pas une condition préalable à une gouvernance démocratique stable. Dans le contexte guinéen, cette quête exclusive d’alternance a souvent occulté les enjeux plus fondamentaux liés à la consolidation institutionnelle, comme la création de contre-pouvoirs efficaces et la promotion d’une culture politique participative.

À travers le monde, des exemples concrets illustrent les limites de l’alternance démocratique comme critère exclusif de démocratie. En Russie, l’alternance politique est absente, même si les élections organisées sont souvent qualifiées de « façade légitimant un régime autoritaire » (Fish, 2005). En revanche, au Kenya, les alternances régulières depuis 2002 n’ont pas résolu les problèmes structurels de corruption et de clientélisme (Cheeseman, 2008). Au Mali, les alternances politiques n’ont pas empêché les crises de légitimité et les interventions militaires répétées au pouvoir politique, comme en 2012 et 2021 (Wing, 2013). Ces exemples montrent que sans institutions solides et culture démocratique, l’alternance seule ne garantit pas une gouvernance démocratique effective.

En Guinée, cet échec s’illustre par le maintien des pratiques autoritaires, notamment la répression des manifestations et la restriction des libertés civiles. L’exemple de la dissolution de plusieurs partis politiques et ONG critiques du régime militaire en 2022 illustre cet écart entre le discours démocratique et la réalité autoritaire (Bangoura, 2023).

𝟯. 𝗟𝗲 𝗿𝗼̂𝗹𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝗼𝗽𝗽𝗼𝗿𝘁𝘂𝗻𝗶𝘀𝘁𝗲𝘀 : 𝘂𝗻𝗲 𝗰𝗼𝗻𝘀𝘁𝗮𝗻𝘁𝗲 𝗵𝗶𝘀𝘁𝗼𝗿𝗶𝗾𝘂𝗲

Depuis l’indépendance de la Guinée en 1958, chaque régime a vu émerger des figures opportunistes, prêtes à s’adapter pour conserver leurs privilèges. Ces acteurs, souvent issus des élites politiques ou économiques, ont joué un rôle déterminant dans la consolidation de l’autoritarisme, comme l’a documenté Bah (2014).

Ainsi, une corrélation marquée existe entre l’opportunisme politique et les détournements des biens publics en Guinée. Les institutions stratégiques, telles que la Douane, la Direction Générale des Impôts, la Banque Centrale de la République et l’Office Guinéen de Publicité, ont souvent été les cibles privilégiées des pratiques clientélistes. Par exemple, les enquêtes sur la Douane ont révélé des fraudes systématiques sur les importations, avec des détournements estimés à soixante-dix-sept milliards de francs guinéens en recettes fiscales (Bangoura, 2023). À la Banque Centrale, des scandales liés à la gestion des réserves monétaires et à l’attribution opaque de crédits bancaires ont également éclaté, mettant en lumière la complicité des élites politiques opportunistes.

De même, l’Office Guinéen de Publicité (OGP) a été régulièrement critiqué pour des détournements de fonds via des contrats publicitaires fictifs ou gonflés. Ces pratiques sont alimentées par l’absence de mécanismes robustes de reddition des comptes et par une culture politique où les alliances opportunistes priment sur l’intérêt général. Chabal et Daloz (1999) ont décrit ce phénomène comme une « politique du ventre », où l’État devient une ressource à exploiter plutôt qu’une structure de gouvernance.

Dans le contexte actuel, les opportunistes occupent des postes stratégiques au sein de la transition. Leur présence assure une continuité des pratiques clientélistes et renforce la captation des ressources par un petit groupe au détriment du bien commun. Cette dynamique est également observée dans d’autres contextes africains, comme l’ont montré Chabal et Daloz (1999) dans leur analyse des États postcoloniaux.

𝟰. 𝗟𝗶𝗻𝗱𝗶𝗳𝗳𝗲́𝗿𝗲𝗻𝗰𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝗮𝗰𝘁𝗲𝘂𝗿𝘀 𝗶𝗻𝘁𝗲𝗿𝗻𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝗮𝘂𝘅

La communauté internationale, et en particulier la CEDEAO, a adopté une position ambiguë face à la transition guinéenne. Si des sanctions ont été imposées dans un premier temps, leur portée est restée limitée, et les discours diplomatiques ont privilégié une approche conciliante (Touré, 2023).

Cette indifférence, que Clapham (1996) attribue souvent à des calculs géopolitiques, a permis aux militaires de consolider leur pouvoir. L’exemple de l’absence de réactions fortes aux violations des droits de l’homme, comme les arrestations arbitraires de leaders politiques, illustre ce manque de pression internationale.

𝗖𝗼𝗻𝗰𝗹𝘂𝘀𝗶𝗼𝗻

L’autoritarisme de la transition en Guinée trouve ses racines dans un ensemble de dynamiques interdépendantes : le soutien initial des opposants au régime Condé, l’échec des idéaux démocratiques, le rôle des opportunistes historiques, et l’indifférence de la communauté internationale. Ces facteurs, conjugués, ont créé un terreau favorable à la consolidation d’un pouvoir militaire autoritaire. Pour en sortir, il est essentiel de repenser les approches institutionnelles, d’exiger une véritable responsabilisation des acteurs politiques, et d’encourager une société civile forte et autonome.

 

𝗦𝗲𝗸𝗼𝘂𝗯𝗮 𝗠𝗔𝗥𝗘𝗚𝗔

𝑷𝙤𝒍𝙞𝒕𝙞𝒔𝙩𝒆, 𝘼𝒏𝙖𝒍𝙮𝒔𝙩𝒆 𝒑𝙤𝒍𝙞𝒕𝙞𝒒𝙪𝒆

 

Farafinainfo à l’honneur : Le journaliste Chahreddine Berriah, lauréat