L’étudiant activiste F. Kaké : “Un dirigeant qui écarte ses adversaires (…) ne mérite pas d’être qualifié d’homme de paix”

REGARD D’UN ÉTUDIANT ACTIVISTE.  Fellah Kaké, étudiant activiste de son état, répond aux Questions de Farafinainfo.com et se prononce ainsi sur les informations marquantes de la semaine écoulée en Guinée, en Afrique et dans le Monde. [ACTU DE LA SEMAINE EN 3 QUESTIONS]

 

Fellah Kaké, étudiant guinéen en Philosophie et activiste panafricain

 

« Ni Alassane Ouattara, ni le récipiendaire du prix, n’ont incarné, à ce jour, les véritables valeurs susceptibles d’initier une dynamique porteuse de paix durable. »

 

1)Alassane Quattara, Président de Côte d’Ivoire appelle à la “paix et la stabilité” en décernant le prix Felix Houphouët-Boigny – Unesco pour la paix à Antonio Costa, président du Conseil européen. Quel commentaire pouvez-vous faire sur l’attribution de ce prix ?

En ce qui concerne l’appel à la paix lancé par Alassane Ouattara à l’occasion de la remise du Prix Félix Houphouët-Boigny à António Costa, ancien Premier ministre portugais et actuel président du Conseil européen, je considère cela comme un non-événement. En effet, la paix ne se réalise pas à travers des prix symboliques, mais se concrétise par une série d’attitudes sincères et cohérentes envers elle.

Ni Alassane Ouattara, ni le récipiendaire du prix, n’ont incarné, à ce jour, les véritables valeurs susceptibles d’initier une dynamique porteuse de paix durable.

Prenons le cas d’Alassane Ouattara : son accession au pouvoir s’est faite dans un contexte de rébellion, avec le soutien manifeste de certaines institutions européennes, notamment pour défendre les intérêts de la France en renversant son prédécesseur, Laurent Gbagbo. Dès lors, il est difficile de ne pas voir dans cet appel à la paix une mise en scène hypocrite, voire une tentative de légitimer une gouvernance contestée au nom d’un semblant de stabilité.

Aujourd’hui au pouvoir, cet appel à la paix semble surtout servir ses intérêts : consolider un statu quo profitable aux puissances étrangères, au détriment de la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Un homme qui manipule la Constitution dans l’indifférence complice de ce même Conseil européen afin de s’octroyer un mandat supplémentaire, ne peut être perçu comme un artisan de paix. Une telle démarche est au contraire une source de tensions et de conflits potentiels.

Un dirigeant qui écarte arbitrairement ses adversaires politiques dans le seul but de se maintenir au pouvoir ne mérite pas d’être qualifié d’homme de paix. Il incarne plutôt la duplicité, voire le profil d’un pompier pyromane, qui prétend éteindre les incendies qu’il a lui-même allumés.

De plus, lorsqu’un chef d’État menace d’intervenir militairement contre des États souverains, simplement parce que leurs peuples ont décidé de rompre avec des régimes soumis à des puissances impérialistes notamment les État de l’AES, il devient difficile de croire à son engagement pour la paix et la stabilité régionales.

L’appel à la paix d’Alassane Ouattara, dans ces conditions, relève davantage de la duplicité que d’un engagement sincère. Il n’a, jusqu’ici, posé aucun acte significatif en faveur de la résolution des crises majeures comme le terrorisme au Sahel ou le drame humanitaire dans le Nord-Kivu, en République Démocratique du Congo. Quant à António Costa, l’on ignore encore clairement son rôle concret pour la paix sur le continent africain.

 

« Depuis la nomination de M. Ousmane Gaoul comme ministre et le départ de M. Cellou Dalein Diallo du pays, le parti traverse une série de crises internes … »

 

2)– AFFAIRE GAOUAL-UFDG : le Tribunal de Première Instance (TPI) de Dixinn déboute l’UFDG et ordonne la réintégration de Gaoual au sein de ce parti. Quel regard portez-vous sur cet accompagnement politique entre Cellou Dalein Diallo et Ousmane Gaoual Diallo, qui est marqué par une relation complexe, de rupture et de conflit ouvert après l’exclusion de Gaoual de l’UFDG (Union des Forces Démocratiques de Guinée) en 2022 ?

Pour le cas d’Ousmane Gaoul, peut-être qu’étant aujourd’hui en position de force en tant que ministre et porte-parole du gouvernement, nous pourrions assister à un scénario différent de celui de Bah Oury, après cette décision de justice.

Toute entité bien structurée, qu’elle soit politique ou sociale, est régie par des statuts et règlements. Ces derniers définissent non seulement les objectifs et missions de l’entité, mais aussi les comportements attendus de chaque membre pour assurer son bon fonctionnement. Au-delà de ces aspects fondamentaux, ces textes permettent à chaque adhérent qui y souscrit librement d’être protégé contre les abus de pouvoir et d’autres formes d’injustice, telles que l’exclusion arbitraire.

Depuis la nomination de M. Ousmane Gaoul comme ministre et le départ de M. Cellou Dalein Diallo du pays, le parti traverse une série de crises internes, même si certains refusent de l’admettre. L’exclusion d’Ousmane Gaoul, qu’il a qualifiée d’injuste, l’absence prolongée du président du parti, le mémorandum des fédéraux qui a entraîné le remplacement de Joachim Baba Milimouno à la tête de la Cellule de Communication, la mise sous observation du parti par le MATD  (Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, ndlr), et plus récemment, le remplacement du fédéral de Kankan pour avoir, semble-t-il, accepté un “cadeau” de Mamadi Doumbouya, sont autant d’éléments qui interrogent sur la stabilité et la cohésion au sein du parti.

À cette série d’événements s’ajoute la récente décision de justice ordonnant la réintégration de M. Gaoul, au motif que son exclusion ne respectait pas les statuts et règlements internes du parti.

Je pense que, de manière générale, au-delà des violations des droits des citoyens en Guinée, les partis politiques et les organisations de la société civile ne donnent pas l’exemple en matière de respect des droits de leurs membres. Cela engendre fréquemment des tensions internes. Dès lors, il est légitime de s’interroger : la justice a-t-elle ordonné la réintégration d’Ousmane Gaoul parce qu’il a été exclu de manière arbitraire, sans respect des procédures ? Ou est-ce parce qu’il bénéficie aujourd’hui d’un certain rapport de force ?

Il est utile de rappeler qu’en 2015, dans une situation similaire, Bah Oury avait été exclu alors qu’il était vice-président du parti. À l’époque, Ousmane Gaoul déclarait : « Cette décision de justice n’a aucun intérêt, ni dans les règles, ni dans les faits… On a divorcé avec Bah Oury et c’est terminé. Je ne sais pas maintenant comment ils vont l’installer, peut-être avec les militaires, etc. » Une façon pour lui de rejeter une décision de justice pourtant favorable à Bah Oury, mais que le parti n’a jamais respectée, faute de position de force du concerné.

Reste maintenant à voir si cette nouvelle décision de justice en faveur d’Ousmane Gaoul sera respectée, simplement parce qu’il est en position de force.

Quoi qu’il en soit, cette attitude récurrente du parti soulève des questions légitimes : que peut-on attendre de lui, une fois au pouvoir, en matière de respect de la Constitution et des droits des citoyens ?

 

« … voir le Sénégal et la Mauritanie s’unir pour exploiter ensemble une ressource énergétique située entre leurs frontières constitue d’abord un espoir. »

 

3)– “Nous sommes réunis aujourd’hui (..) sur cette plateforme qui symbolise bien plus qu’un site industriel. Ici au cœur du terminal GTA à la frontière de deux pays frères se lève une nouvelle ère pour le Sénégal, la Mauritanie et pour toute l’Afrique de l’Ouest. Ce projet est d’abord l’histoire d’une ambition partagée, forgée dans la volonté de maitriser notre destin énergétique, économique et souverain. En exploitant nos ressources, nous avons choisi de ne pas rester à la périphérie du progrès. Mais d’en devenir des acteurs majeurs…”, a dit Bassirou Diomaye Faye, Président sénégalais en compagnie de son homologue mauritanien, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, à l’issue de leur visite de la plateforme gazière Grand Tortue Ahmeyim (GTA). N’est-ce pas une déclaration forte voire progressiste ?

Le discours de Diomaye Faye dans le cadre d’exploitation énergétique avec la Mauritanie. Il est certes beau d’entendre nos dirigeants parler d’intégration, mais il serait encore mieux que cette intégration se réalise concrètement à travers des projets structurants impliquant plusieurs pays africains.

Il est inconcevable qu’au XXIe siècle, plus de 60 ans après les indépendances, seuls deux ou trois États africains parviennent à se mettre ensemble pour exploiter nos ressources. Cette exploitation devrait avant tout bénéficier aux Africains, plutôt que de continuer à accorder nos mines et autres ressources énergétiques à des multinationales étrangères. Si l’Afrique avait adopté cette approche dans tous les domaines, notamment les télécommunications, le transport, l’agriculture, l’exploitation minière et énergétique, les pays étrangers et leurs entreprises n’auraient pas pu continuer à piller nos ressources et à s’enrichir sur le dos des Africains.

Malheureusement, nos dirigeants semblent avoir plus confiance en ce qui vient d’ailleurs qu’en leurs propres frères africains. Sinon, le Rwanda n’aurait pas orchestré le génocide dans le Nord-Kivu depuis des années à cause du cobalt, alors que le président (Félix) Tshisekedi avait proposé à Kagame de s’unir pour exploiter cette ressource naturelle, afin que les retombées économiques profitent aux Congolais et aux Rwandais.

Ainsi, voir le Sénégal et la Mauritanie s’unir pour exploiter ensemble une ressource énergétique située entre leurs frontières constitue d’abord un espoir : celui que les États africains commencent à comprendre les enjeux géopolitiques mondiaux. C’est aussi un moyen d’éviter les tensions souvent sources de terrorisme, notamment lorsque des ressources naturelles sont découvertes dans un pays africain frontalier d’un autre. L’exemple des tensions entre l’Algérie et le Mali en est une illustration.

Alpha Condé avait proposé une démarche similaire le 29 mars 2017, lors de la deuxième Conférence internationale sur l’émergence de l’Afrique tenue à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Il avait appelé ses pairs à s’unir pour exploiter ensemble les ressources naturelles africaines comme le gisement de fer de Simandou, en répartissant les bénéfices entre les pays impliqués. Il avait également évoqué un projet de chemin de fer devant relier Conakry, Bamako et Ouagadougou. Malheureusement, ces propositions sont restées au stade des discours, sans réelle mise en œuvre.

C’est pourquoi le discours du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye suscite un nouvel espoir : celui d’une Afrique qui se libère progressivement de l’exploitation par les firmes internationales.

Cependant, si ce projet n’est pas bien structuré, la prospérité que nous espérons pourrait se transformer en cauchemar à l’image de la fin tragique d’Air Afrique, que nous avons connue dans les années 1960 et 1970.

 

Rédaction de Farafinainfo.com

Farafinainfo à l’honneur : Le journaliste Chahreddine Berriah, lauréat