TRIBUNE SCIENTIFIQUE, Penser la PAUVRETÉ autrement : “En Guinée, une lecture multidimensionnelle pour une action transformatrice”

#Farafinainfo_Tribune. Il est d’entré de jeu important de rappeler aux Guinéens que la pauvreté est un concept ancien mais en perpétuelle redéfinition, un prisme par lequel se lit non seulement l’état d’un pays, mais aussi l’ambition collective de progrès social.

Elle demeure, pour la Guinée comme pour bien d’autres pays en développement, une problématique majeure aux implications multiples :  °économiques, °sociales, °politiques et °culturelles.

Mon intention dans cette tribune est de partager une compréhension contemporaine, élargie et intégrée de la pauvreté, en m’appuyant à la fois sur mon expérience de terrain au sein du PNUD et sur les apports d’experts reconnus dans le domaine du développement humain.

■ 1. DE LA PAUVRETÉ MONÉTAIRE À LA PAUVRETÉ HUMAINE : Une évolution conceptuelle.

Longtemps, la pauvreté fut définie de manière strictement monétaire et, on pensait donc qu’: « un individu est pauvre lorsqu’il ne dispose pas de ressources financières suffisantes pour subvenir à ses besoins de base » mais, cette approche, portée notamment par la Banque mondiale, repose sur des seuils définis internationalement tel que le seuil de 1,90 dollar par jour, utilisé pour identifier les situations de pauvreté extrême.

Cependant, cette lecture s’est révélée insuffisante pour rendre compte de la complexité des privations vécues par les populations. Comme l’affirme Amartya Sen, Prix Nobel d’économie, « la pauvreté ne peut être simplement comprise comme une privation de revenu, mais plutôt comme une privation de capacités » (Sen, 1999). Ce basculement d’une approche de la pauvreté en termes de moyens vers une approche en termes de capabilités marque une rupture épistémologique dans la pensée du développement.

Dans cette optique, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), dans son Rapport mondial sur le développement humain de l’année 2000, distingue trois formes de pauvreté :

▪ LA PAUVRETÉ EXTRÊME : l’incapacité à satisfaire ses besoins alimentaires essentiels ;

▪.LA PAUVRETÉ GÉNÉRALE : la difficulté à répondre à ses besoins alimentaires et non alimentaires (logement, habillement, énergie…) ;

▪ LA PAUVRETÉ HUMAINE : définie comme l’absence de capacités humaines de base : analphabétisme, malnutrition, mortalité prématurée, mauvaise santé maternelle, entre autres.

Ainsi, la pauvreté humaine va bien au-delà des ressources financières. Elle renvoie à une privation d’opportunités fondamentales : santé, éducation, participation citoyenne, accès à l’emploi décent.

■ 2. UNE APPROCHE MULTIDIMENSIONNELLE, INDISPENSABLE POUR LA GUINÉE.

La pauvreté, en Guinée, ne peut être réduite à une seule ligne de revenu. Elle se vit dans les quartiers périphériques de Conakry et presque dans beaucoup de zones de l’intérieur du pays sans eau potable, dans les zones rurales privées d’infrastructures scolaires, dans les foyers où les jeunes, pourtant diplômés, ne trouvent pas d’emploi digne.

Selon le Rapport national sur le développement humain en Guinée (2020), plus de 55 % des Guinéens vivent sous le seuil de pauvreté monétaire. Mais si l’on applique l’Indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM) développé par le PNUD et l’Université d’Oxford, ce chiffre grimpe à près de 70 %, en intégrant des facteurs comme l’accès à l’éducation, les conditions d’habitation ou l’accès à l’électricité. L’IPM permet ainsi d’identifier des pauvres « non visibles », qui, bien qu’ayant un revenu, sont privés d’autres dimensions essentielles du bien-être.

Témoignage éloquent d’un acteur communautaire de Nzérékoré, lors d’un atelier sur la gouvernance locale : « Ici, ce n’est pas que l’argent qui manque. Ce sont les soins, les écoles pour nos enfants, la voix pour parler aux autorités. Si on n’est pas écouté, comment sortir de la pauvreté ? »

Ce témoignage souligne l’importance de considérer la pauvreté comme un enjeu de participation, d’inclusion et de dignité. Il interpelle la gouvernance et le contrat social qui lient l’État à ses citoyens.

■ 3. VERS UNE TRANSFORMATION STRUCTURELLE : Agir sur les CAUSES, pas seulement sur les SYMPTÔMES.

Admettre que la pauvreté est multidimensionnelle impose de revoir notre manière d’agir. Il ne s’agit plus seulement de distribuer des revenus ou des aides, mais d’intervenir de manière systémique sur les secteurs suivants :

▪ L’éducation, comme vecteur d’autonomisation et de liberté ;

▪ La santé, pour garantir à chaque citoyen une vie digne et productive ;

▪ Les infrastructures de base, pour désenclaver les régions et créer des opportunités locales ;

▪ La gouvernance inclusive, pour donner une voix aux plus vulnérables dans les décisions qui les concernent.

La Guinée a besoin d’un modèle de développement endogène, centré sur l’humain. L’Agenda 2030 des Nations Unies et ses Objectifs de Développement Durable (ODD) qui prend malheureusement fin cette année 2025 nous avait invité clairement : « Ne laisser personne de côté » n’est pas un slogan, mais un engagement opérationnel et, comme le résume Sachs (2015), spécialiste des ODD : « Le développement durable ne peut être atteint sans une éradication effective de toutes les formes de pauvreté. Mais cette éradication passe par un accès universel aux services sociaux, à l’énergie, à l’emploi et à la justice. »

En dépit de tout ce qui précède, les parties prenantes du processus de développement devraient s’inviter individuellement et collectivement à penser ensemble la pauvreté en Guinée en considérant que la pauvreté, en Guinée et ailleurs, ne peut être abordée uniquement par des chiffres. Elle est vécue, ressentie, subie dans la chair des citoyens. Elle est aussi structurelle, institutionnelle, culturelle. Il nous faut donc une lecture plurielle, fondée sur la science, l’expérience de terrain et l’écoute des communautés.

À tous les Guinéens et précisément aux autorités de la transition encours , je lance ici une invitation : Faisons de ce débat une opportunité collective pour penser un modèle de développement centré sur la dignité humaine, et non sur les seuls agrégats économiques. La Guinée n’est pas condamnée à la pauvreté. Elle est riche de ses ressources naturelles, mais surtout de ses ressources humaines. Il nous faut, ensemble, changer notre regard sur ce qu’est « être pauvre », pour mieux agir et transformer l’avenir.

Aimé Stéphane MANSARE

Expert consultant en Sciences sociales du Développement

Chef de Bureau PNUD Nzérékoré

 

Farafinainfo à l’honneur : Le journaliste Chahreddine Berriah, lauréat