Sonko – Diomaye : La politique jouée, la politique vécue !

Lecture stratégique du tandem

PS : Bonne nouvelle pour les partisans de Pastef : le duo n’est pas en train d’exploser, ce que vous voyez semble être une stratégie, non un effondrement. Elle pourrait faire partie d’une stratégie politique beaucoup plus fine qu’il n’y paraît.

« La politique est le seul théâtre où le plus fameux personnage peut en même temps être le dramaturge de sa pièce. »

Introduction :

Des mois après la victoire du tandem Diomaye – Sonko, la vie politique sénégalaise semble se dérouler comme une pièce savamment écrite, où les acteurs principaux sont à la fois dramaturges et acteurs pour démontrer une ingéniosité politique nouvelle.

Les récents événements notamment le Tera Meeting et la controverse autour du remplacement d’Aïda Mbodj par Mimi Touré à la tête de la coalition ont relancé les débats sur une éventuelle dissension entre le président Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko.

Mais au-delà des apparences, cette « rupture » pourrait bien relever d’une mise en scène stratégique, destinée à consolider le pouvoir symbolique de Sonko et à préserver son capital politique en vue de 2029.

Cette contribution propose une lecture stratégico-symbolique de cette situation, envisagée comme un dispositif de communication politique, plutôt qu’un conflit réel de leadership.

  1. Une dramaturgie politique programmée

Reprenant Erving Goffman (La mise en scène de la vie quotidienne, 1959), les individus ont une « front stage » (façade publique) et une back stage (coulisses), nous pensons que les politiques jouent le plus ! Nous lisons le tandem Diomaye–Sonko comme un duo dramaturge-acteur : l’un incarne l’État, l’autre met en scène la contestation, dans un jeu de rôles où le public en particulier l’électorat devient spectateur et juge des situations et conjonctures mais aussi des comportements.

Les tensions apparentes entretiennent la narration héroïque et consolident la croyance dans l’authenticité du pouvoir.

Le Tera Meeting peut s’inscrire alors comme une expérience de dramaturgie politique. Sonko, en effet, y chercherait à la fidélité émotionnelle de sa base et la capacité de Diomaye à exister en tant qu’acteur autonome.

Ce dispositif politique repose sur la mise en spectacle du désaccord, une stratégie éprouvée de captation d’attention et de contrôle du récit collectif.

  1. Une stratégie rationnelle de préservation du capital symbolique

Ousmane Sonko a bâti son fort capital politique autour de trois dimensions structurantes intéressantes à noter que sont :

​1.​L’intégrité morale : « l’homme neuf », non compromis par le système ;

​2.​Le charisme prophétique : celui dont les annonces semblent toujours se réaliser (légitimité charismatique au sens de Weber) ;

​3.​La centralité personnelle du « Projet » : on reconnaît le projet en sa personne, d’où l’hyper-personnalisation du pouvoir, où tout succès ou échec politique se mesure à son image.

Conscient que les résultats socio-économiques tangibles du gouvernement risquent de ne pas se matérialiser à court terme, Sonko semble adopter une stratégie de dissociation contrôlée.

En se plaçant dans un rôle d’opposition interne, il se protège symboliquement de l’usure du pouvoir tout en conservant la loyauté émotionnelle de ses partisans. En effet, l’homme incarne à la fois le pouvoir et l’opposition, dans ses discours. Il semble bien avoir emprunté la logique machiavélienne.

III. Trois scénarios possibles

La stratégie décrite ci-dessus pourrait déboucher sur les trois situations réfléchies suivantes :

​1.​Le retrait volontaire : Sonko démissionne et se recentre politiquement sur la préparation de 2029.

​2.​Le limogeage calculé : Diomaye l’écarte, mais Sonko capitalise sur la victimisation et l’élan populaire.

​3.​La crise orchestrée : sous la pression médiatique, Diomaye démissionne et Sonko tire profit d’une élection anticipée avant l’usure de la popularité.

Ces scénarios participent d’une stratégie de gestion des perceptions, où la fiction politique devient un instrument de survie et de légitimation.

  1. Études comparées : la stratégie du double rôle

Les cas de De Gaulle ou de Gül – Erdoğan montrent que les dirigeants ont souvent orchestré des tensions internes pour affirmer leur autorité.

Charles de Gaulle (France, 1946 -1958) mit en scène son retrait avant de revenir en sauveur : il contrôlait la dramaturgie depuis la position suprême.

​•​Recep Tayyip Erdoğan et Abdullah Gül, la stratégie de « bon policier / mauvais policier » (Turquie, 2009 – 2014) : les deux hommes affichaient parfois des désaccords visibles sur des questions de sécurité intérieure mais ces tensions ne débouchaient jamais sur une rupture réelle.

Cependant, la spécificité du cas Sonko–Diomaye est que le dramaturge n’est pas chef d’État mais Premier ministre.

Diomaye, en effet, incarne la légalité présidentielle, tandis que Sonko incarne la légitimité populaire et charismatique comparable à ce que Bourdieu (1982) nomme le pouvoir de consécration, la capacité de définir ce qui est légitime. On a un cas qui présente une dissymétrie entre légitimité institutionnelle et charismatique (Weber, Bourdieu).

Dans cette inversion du jeu institutionnel, le Premier ministre devient le véritable dramaturge du président. Dans les faits, le pouvoir symbolique précède le pouvoir légal, et la narration remplace la hiérarchie.

  1. La théorie du fusible politique inversée : une lecture rosanvallonienne du tandem Sonko – Diomaye

Dans les régimes semi-présidentiels, la relation entre chef de l’État et Premier ministre est souvent régie par une logique de responsabilité différenciée, où le second peut jouer le rôle de fusible politique face à certaines situations.

Le concept, issu de la pratique de la Ve République française (De Gaulle, Mitterrand, Chirac), désigne cette figure que l’on « fait sauter » pour préserver l’image du chef de l’État lorsque l’opinion publique s’érode.

Le fusible absorbe la colère, incarne le changement et offre un répit au sommet du pouvoir sans bouleverser la structure du régime.

Dans notre présent cas sénégalais, cette logique semble inversée car Diomaye Faye pourrait devenir le fusible symbolique de Sonko.

Cette inversion s’explique par le déséquilibre des légitimités faisant que Diomaye détient la légitimité institutionnelle, Sonko conserve la légitimité charismatique.

Autrement dit, l’un gouverne, l’autre incarne.

Et lorsque le gouvernement rencontre des difficultés, il devient possible pour le second Sonko de se poser en victime d’un système qui ne l’écoute pas, préservant ainsi son image d’homme de vérité et d’intégrité.

Pierre Rosanvallon nous fournit un cadre d’analyse éclairant. Dans La Contre-démocratie (2006), il montre que la démocratie moderne repose sur une tension permanente entre pouvoir de gouverner et pouvoir de juger car les citoyens exercent un contrôle symbolique constant sur leurs dirigeants, sous la forme d’une « contre-légitimité ».

Le fusible politique fonctionne alors comme une offre de réparation symbolique, on sacrifie une figure pour restaurer la confiance collective, sans remettre en cause véritablement le système.

Appliquée au Sénégal, cette grille rosanvallonienne pourrait révéler le tandem Sonko -Diomaye comme une construction narrative de la responsabilité au lieu d’une simple cohabitation politique.

Sonko chercherait à anticiper la défiance démocratique ; il aménage la possibilité de se délier, au moment opportun, du coût politique du pouvoir tout en conservant le monopole de la confiance morale.

Le fusible politique devient ainsi un outil de contre-usure démocratique, un moyen de réinjecter de la foi populaire dans la temporalité politique longue (vers 2029), sans rupture du régime.

En ce sens, la théorie du fusible, relue à la lumière de Rosanvallon, éclaire la spécificité sénégalaise : une inversion des rôles où le chef du gouvernement demeure l’incarnation charismatique, et le chef de l’État, le garant sacrificiel de la continuité.

  1. De la dramaturgie du pouvoir à la capture symbolique de l’État

Les théories contemporaines de la gouvernance, notamment celle de la capture de l’État (state capture theory) (Kaufmann et Al., 2000), mettent en lumière la manière dont des acteurs privés ou politiques parviennent à influencer ou détourner les institutions publiques pour en faire des instruments de pouvoir. La capture ne consiste pas seulement à corrompre, mais à reconfigurer les règles mêmes du jeu, à transformer l’État en outil d’un projet particulier (économique, idéologique ou symbolique).

Et souvent, dans les régimes post-autoritaires ou en transition, cette dynamique s’exprime souvent par une confusion entre l’intérêt public et la légitimité partisane, où le contrôle des récits, des nominations ou des valeurs de référence devient un levier de pouvoir.

C’est là qu’apparaît la spécificité du cas sénégalais : il ne s’agit pas d’une capture économique comme en Afrique du Sud (ère Zuma) ou en Europe de l’Est, mais d’une capture symbolique c’est-à-dire un phénomène où la légitimité charismatique et morale prend le pas sur la légitimité institutionnelle.

Ousmane Sonko, figure centrale de cette recomposition, ne capture pas l’État par les ressources, mais par le récit.

Il en redéfinit le sens, la moralité, le langage et la représentation collective.

Son influence s’exerce à travers une forme de pouvoir de consécration (Bourdieu) : la capacité à désigner ce qui est juste, légitime et digne du peuple.

En ce sens, il restructure l’imaginaire du pouvoir autour d’un principe de pureté politique et de résistance morale, faisant de l’État un espace de mise en scène du projet éthique.

Cette capture symbolique de l’État s’articule ainsi avec la dramaturgie du pouvoir et la logique du fusible politique :

​•​La dramaturgie assure la narration continue du pouvoir et du conflit ;

​•​Le fusible politique garantit la préservation du charisme face à l’usure institutionnelle ;

​•​La capture symbolique transforme la croyance populaire en capital politique durable.

Ce triptyque (dramaturgie, fusible, capture) nous permet de comprendre comment une stratégie de légitimation peut fonctionner sans rupture réelle ni renversement, en installant une domination douce, fondée sur la confiance émotionnelle et la maîtrise du récit collectif.

VII. Quid des partis se réclamant de l’opposition ?

L’opposition, pour rester pertinente, devrait déjouer cette dramaturgie.

Plutôt que d’alimenter le débat sur la « séparation » du duo, elle gagnerait à reformuler le débat public autour de la performance économique, sociale et institutionnelle du gouvernement, et non autour de ses tensions internes. Ceci semble être la seule manière d’éviter d’être absorbée dans le récit politique que le tandem contrôle encore.

Conclusion

Le cas Sonko – Diomaye révèle que la scène politique sénégalaise entre dans une ère de post-gouvernementalité émotionnelle, où la narration du pouvoir devient plus déterminante que son exercice concret. Cette prétendue « séparation » entre Diomaye et Sonko semble moins relever d’un conflit que d’une technique de communication politique avancée. Elle s’inscrit dans une culture électorale sénégalaise marquée par une forte charge émotionnelle et symbolique, où le mythe du leader persécuté demeure un levier d’adhésion puissant.

Cette stratégie, inspirée de pratiques historiques mais adaptée au contexte sénégalais, témoigne de la sophistication croissante des formes de leadership charismatique en Afrique contemporaine.

Dans ce théâtre du pouvoir, le dramaturge n’est plus au sommet, ni celui qui l’écrit spécifiquement pour les acteurs, il est au centre du récit. Sonko reste le maître du jeu et le public suit activement le « game ».

Par Sokhna Fatou Kiné DIENE,

Étudiante-chercheuse en Politique Comparée à Sciences Po Paris

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