Le 28 novembre ou le jour de la discorde nationale – par Dr. Alassane Dia

Je remets ici ce texte que j’avais publié pour la première fois, il y a de cela dix ans, avec l’amer constat que la question du génocide des années 1990 reste entière. Aujourd’hui encore, l’Etat cherche à étouffer la question à coups de millions injectés à une partie des victimes et ayant-droits. Mais un pays ne peut se construire sur les dénis : déni de justice, déni de vérité, déni de mémoire, déni de réparation.

Les sommes versées en catimini, censées réparer et définitivement enterrer, cette épineuse question du génocide qui, par ailleurs continue sous d’autres formes (génocide biométrique, génocide linguistique, etc.) ne concernent que les militaires, les fonctionnaires et les hommes d’affaire victimes de cette tragédie nationale. Quid des centaines de villages rayés de la carte, des centaines voire des milliers d’exécutions extrajudiciaires que symbolisent les fosses communes de Sorimalé, Wothie ou encore Teydoungal, qu’en est-il de ces victimes des viols organisés et des séances de tabassage, de tortures et d’humiliations publiques qui ont constitué le quotidien des habitants de la vallée du fleuve de 1989 à 1992, qu’en est-il encore de ces dizaines de milliers déportés dépossédés de tout ?  Qu’en est-il de nous autres victimes indirectes qui subissons, encore aujourd’hui les conséquences de cette page la plus sombre de l’histoire de notre pays. Assurément, cette nouvelle tentative du régime de Ould Ghazouani est une nouvelle fuite en avant, comme du reste, celle de son ancien ami et prédécesseur Ould Abdel Aziz, en 2009;

Mais le plus attristant aujourd’hui, c’est de voir de plus en plus de jeunes remettre en question la légitimité de la commémoration de la nuit tragique d’Inal Le plus triste, c’est de voir ces jeunes issus de ces communautés « génocidées » qui vivent aujourd’hui l’exclusion dans tous les rouages de la vie nationale, prendre la défense de ce système qui les écrase et taxer ceux qui restent débout d’extrémistes

Le 28 novembre ou le jour de la discorde nationale

Le 28 novembre ne peut plus symboliser ce jour historique de 1960 lors duquel naquit la Mauritanie indépendante. Depuis la sinistre nuit du 27 au 28 novembre 1990 qui a vu l’Etat Mauritanien exécuter par pendaison 28 militaires noirs dont la seule faute est d’appartenir à la mauvaise communauté, celle des non arabes, pour célébrer le trentième anniversaire de notre accession à l’indépendance, depuis cette sinistre nuit de 1990, le 28 novembre est devenu l’expression, par excellence, de la discorde nationale. Il ne sert à rien de se voiler la face et de continuer à foncer droit dans le mur.

Aujourd’hui, 35 ans après, les Mauritaniens n’ont toujours pas pris la mesure de la gravité de ce qui s’est passé dans ce coin perdu du pays. Les rescapés de ces évènements tragiques qui s’étendent en réalité de 1986 à 1992 et dont la sinistre nuit d’Inal constitue « l’apothéose », les veuves et les ayant-droit des victimes expiatoires de ce génocide, que l’on se refuse encore à qualifier comme tel, et la communauté négro-mauritanienne, dans son abstraction, continuent à en porter seuls le fardeau  Tout au plus trouvent-ils une oreille attentive auprès d’une infime partie des autres Mauritaniens qui s’empressent pour la plupart d’appeler au pardon et au dépassement. Les Mauritaniens doivent comprendre que ce à quoi l’on a attenté, ce n’est pas seulement l’existence de la communauté en question mais de la Mauritanie dans son ensemble. C’est seulement une fois que nous aurons tous intégré ce paramètre que nous pourrons porter pleinement, tous ensemble, le combat pour la reconnaissance pleine et entière du génocide et lui trouver une solution.

Si nous tenons à notre pays, à la construction d’une nation digne de ce nom, nous devons reconnaître que, à Inal, ce ne sont pas seulement (que l’on que me pardonne l’usage de ce mot qui ne sied pas au contexte) vingt-huit vies humaines qui ont été sacrifiées sur l’autel de la bêtise (in)humaine, c’est la Mauritanie qui a été assassinée. Le projet de nation mauritanienne fondé sur un Etat unitaire tel que conçu par les pères fondateurs à Aleg a signé son arrêt de mort et a été définitivement enterré à Inal.

Le pacte fondateur d’Aleg a certes été violé dès les premières années de l’indépendance par celui-là même qui était censé en être le premier garant, le Président Mokhtar Ould Daddah. En effet, le péché originel de la Mauritanie est le déni de la diversité à travers les propos du Président Ould Daddah : « […] la re-personnalisation de l’Homme Mauritanien […] doit reposer sur l’indépendance culturelle, elle-même fondée sur la réhabilitation de la langue arabe qui est la langue de culture et de religion de notre peuple ». C’est cette volonté de faire de la Mauritanie un pays exclusivement arabe qui est le point de départ de tous nos malheurs et qui a eu pour aboutissement logique l’épuration ethnique des années de braise. En réalité donc, le projet commun a été trahi dès le départ au profit de l’idéologie exclusiviste arabe même si l’on ne pouvait imaginer l’ampleur de la violence que prendrait l’aboutissement de cette trahison.

L’Etat mauritanien tel qu’il se présente aujourd’hui est la résultante de ces 65 ans d’exclusion. La dénégrification a atteint son summum dans tous les rouages de l’Etat et dans toutes nos institutions comme cela se reflète à travers les innombrables promotions dans les forces armées et de sécurité, les nominations hebdomadaires du conseil des ministres, ou, plus grave, la loi d’orientation de l’éducation nationale de 2022 dont le but ultime est l’arabisation totale du pays, pour ne citer que ces trois exemples. Mais le drame c’est que beaucoup de nos compatriotes se complaisent de cette situation et rechignent donc à la combattre. Nous devons comprendre cependant que personne n’a intérêt à ce que les choses perdurent.

La mise au ban de la communauté noire en appelle d’autres, le système incarné par l’Etat en a besoin pour survivre. Aujourd’hui les exclus ne se comptent plus simplement parmi les Noirs, bon nombre de tribus beydanes sont laissées sur la touche. Pire la Mauritanie est devenue une propriété aux mains d’une oligarchie qui a droit de vie et de mort sur tout. L’exclusion a atteint un tel degré que le repli identitaire s’est naturellement érigé en règle donnant naissance à des manifestes au sein de chacune de nos composantes nationales.

Il est donc plus que temps que nous nous retrouvions autour de l’essentiel et que nous sauvions notre 28 novembre en faisant en sorte que tous les Mauritaniens se le réapproprient et ressuscitent ainsi la Mauritanie pour le bonheur de tous. Cela suppose le règlement définitif du problème du génocide, de celui non moins central de l’esclavage et, plus en profondeur, ceux de la citoyenneté pleine et entière pour tous et de la place qui doit revenir à chacune de nos composantes nationales, indépendamment des considérations de nombre. Il ne tient qu’à nous de relever le défi, si nous tenons à vivre ensemble.

Alassane DIA,

Enseignant-Chercheur à l’Université de Nouakchott

Président de Touche pas à ma nationalité

 

Farafinainfo à l’honneur : Le journaliste Chahreddine Berriah, lauréat