Toute sa vie il a refusé de toutes ses forces l’arbitraire, la domination, la compromission. Son credo fut constant et a toujours tenu dans un principe invariable : la résolution de la question nationale, la dignité pour toutes les composantes de notre pays. Il s’en est donné les moyens humains et l’indépendance financière. Nous avons en héritage son combat.
Né officiellement en 1934 à Mbout, instituteur de formation, longtemps économe notamment du lycée national de Nouakchott, Mohamed Abdallahi Ba plus connu Cheikh Moussa Ba était un des rédacteurs et acteurs du Manifeste des 19. Il fut, avec ses 18 autres camarades, arrêté le 11 février 1966 et emprisonné à Nbeyka. Mis à l’écart par le régime civil après sa sortie de prison, il comprit très vite que les militaires qui ont pris le pouvoir en 1978 s’éterniseraient. Il suggéra très tôt, fortement, à plusieurs jeunes élèves de son entourage – dont moi-même- d’intégrer l’armée pour poursuivre le combat pour retrouver la dignité perdue.
Certains comme son neveu Abdoul Ghoudouss Ba, ingénieur dans le civil, ont intégré la grande muette. Il est mort en détention politique dans la prison mouroir de Oualata. D’autres, comme un des auteurs de ce texte, ont emprunté le chemin de la lutte politique jusqu’en exil. Nous avons tous pris l’engagement d’aller jusqu’au bout de nos convictions en pensant au serment des 19 signataires du Manifeste «Jurons sur notre honneur de ne jamais transiger ni avec le devoir, ni avec la conscience, de ne jamais nous départir de nos positions justes et honnêtes, de nous maintenir dans ces positions jusqu’à la disparition totale de toute tyrannie, domination et oppression exercées sur la Communauté noire et jusqu’à ce que tout citoyen noir vive libre, digne et heureux en Mauritanie».
Très fin et stratège, notre regretté Mohamed Abdallahi Ba a toujours eu la ferme conviction que le combat politique ne pourrait aboutir sans une puissance financière qui va avec. Il a, à cet effet, tout mis en œuvre proprement, pour être à l’abri du besoin. Il créa dès le début de la deuxième moitié des années 1980 (1986 ou 1987) son groupe scolaire : les écoles privées BAMA (BA Mohamed Abdallahi) qui englobent les cycles de l’enseignement du primaire au lycée.
Rien ou presque ne prédisposait l’homme qui vient de disparaître ce jour, samedi 04/02/2023, né et grandi dans l’environnement de ceux qui ont construit la Mauritanie à ses débuts difficiles, à emprunter la piste périlleuse de la contestation honorable. Il pouvait s’accommoder du confort de la collaboration, de privilèges de tous ordres pour lui et pour sa progéniture. Il préféra l’intérêt du plus grand nombre dans la constance, le sens de l’honneur.
Fier de son héritage comme rarement on pouvait l’être, enraciné dans ses héritages négro-africain et maure, parfait connaisseur de la société maure et locuteur parfait de sa langue, il est parti sans retrouver cette Mauritanie plurielle d’antan. Féru d’histoire et détenteur d’archives, il nous a légués tous les précieux documents en rapport avec les événements de 1966 : l’original du Manifeste des 19, les procès-verbaux des réunions. Boubacar Diagana a eu un long entretien avec lui il y a quelques années et recueilli son témoignage.
Comme pour les autres signataires du Manifeste des 19 décédés, La Mauritanie perd, avec la disparition de Mohamed Abdallahi Ba, un visionnaire, un juste qu’elle s’est employée à méconnaître de toutes ses forces. En réalité, par-delà l’homme, c’est un combat, ce sont des communautés, des cultures, des identités qu’une certaine Mauritanie a toujours cherché à invisibiliser. Elle continue avec plus d’ardeur et de morgue plus de 60 ans après. Qu’Allah accueille ces grands hommes en son paradis. Des 19 visionnaires, il reste Daffa Bakary et Aly Kalidou Ba. Nous serions inspirés de les célébrer.
Nous adressons nos sincères condoléances à la famille, aux proches. Nos pensées pieuses vont à sa veuve gorgol Ndiéréby Kane, à ses enfants : Gatta, Diyé, Dianga, Samba Diom, Bongal, Waranka, Ndomo et Abdoul Ghoudouss, à ses nièces et neveux, Cheikh Moussa, Hamedou, Dieinaba, Sékina, Abdoul….. tous ceux qui sont proches et chers.
Ciré Ba et Boubacar Diagana– Paris, le 04/02/2023