Dr. Mory M. Diakité : «Tous les putschistes manœuvreront pour (…), volontairement ou involontairement,… »

Ce lundi 13 mai 2024, la Rédaction de Farafinainfo.com revient sur les faits marquants de l’[Actu de la Semaine en 3 Questions] en Afrique particulièrement la reconduction du Président Faure Gnassingbé pour un 4ème mandat à la tête du Togo sans aucun suspense. Les premiers pas du nouveau Président sénégalais Bassirou Diomae Faye. Et l’élection du Général Mahamat Idriss Déby à la Présidence de la République.

Dr. Mory Mandiana Diaité 

 1)– Faure Gnassingbé, Président de la République du Togo, qui était candidat à sa propre succession, est reconduit pour un quatrième mandat à la tête du Togo sans aucun suspense après avoir obtenu la majorité absolue 72,3% selon la Commission Nationale Electorale Indépendante (CENI), mais l’opposition conteste. Quel commentaire faites-vous de la longévité politique du fils héritier d’Etienne Eyadéma Gnassingbé ?   

Faure Essozimna Gnassingbé

La situation politique au Togo est similaire à celle du Tchad avec quelques exceptions près. Les deux pays sont gérés par une dynastie familiale depuis plusieurs décennies. De Deby père au Deby fils, de  Gnassimbgé père au Gnassimbgé fils. De part et d’autre, c’est du père au fils, et peut être même qu’on assistera, un jour, de la transmission du pouvoir au petit-fils, donc du grand-père au petit-fils. Une monarchie qui ne dit pas son nom. En cette période marquée par l’influence grandissante de la Russie et de la Chine dans le continent et le recul de la démocratie de type occidental, tout laisse à présager que ces familles demeureront encore au pouvoir pour longtemps dans ces pays. D’autres chefs d’Etat ayant déjà passé des décennies au pouvoir tenteront l’aventure pour reproduire le modèle chez eux. Tous les putschistes manœuvreront pour rester au pouvoir contre vents et marées, volontairement ou involontairement, selon les circonstances. Mais puisqu’on ne peut aller au paradis sans mourir, pour ces régimes militaires métamorphosés, les élections servent simplement de prétexte pour embellir la dictature, qui n’est malheureusement pas progressive. L’échec de la démocratie en Afrique noire, à l’exception de quelques pays majoritairement anglophones, s’explique par l’ingérence à outrance de la France dans les affaires politiques internes du continent. La surprise, c’est quand le président sortant, surtout s’il bénéficie du soutien de la France, reconnaît sa défaite et accepte de quitter librement le pouvoir. En d’autres termes, les élections dans ces pays n’avaient pas d’enjeu, car le vainqueur était connu d’avance. On savait que l’Union pour la République (UNIR) du président Faure Gnassingbé allait largement remporter le scrutin organisé en fin avril, comme ce fut le cas au Tchad. Une victoire qui s’ajoute à celle que son parti a enregistrée aux dernières législatives. Comme au Tchad, au Togo également il y a eu de réforme constitutionnelle qui a fait basculer ce pays d’un régime présidentiel à un régime parlementaire. Par cette réforme, le pouvoir réside désormais entre les mains du président du Conseil des ministres, qui est le chef du parti majoritaire à l’Assemblée. Ce poste revient de facto à Faure Gnassingbé, le président d’UNIR, qui conserve la majorité absolue avec 59 sièges sur 91. Le parlement connaît par ailleurs une forte hausse du nombre de députés indépendants, 18 d’entre eux décrochant un siège. L’Union des forces de changement (UFC) et quatre autres formations se partagent les quelques sièges restants. Malgré la majorité absolue obtenue, le scrutin constitue un échec relatif pour l’UNIR, car n’ayant pas parvenu à obtenir la majorité des quatre 4/5 des sièges nécessaires à une modification constitutionnelle par seule voie parlementaire, même en comptant sur ceux de son allié l’UFC, et ce malgré le boycott d’une grande partie de l’opposition. Extraordinairement, le 8 mai 2019, cependant, le gouvernement parvient à faire voter à la quasi-unanimité une révision constitutionnelle permettant à Gnassingbé de se maintenir jusqu’en 2030.

 

2) – Quel regard portez-vous sur les toutes premières décisions prises par le nouveau Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye ?

Les Présidents Bassirou Diomaye Faye du Sénégal et Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire 

En ce qui concerne les premières décisions prises par Bassirou Diomaye Faye, je ne vais pas être large, d’autant plus que le duo Faye-Sonko inspire la tranquillité et la confiance, tant au sein de l’opinion nationale sénégalaise dans son écrasante majorité que celle africaine. Aucune œuvre humaine n’est certes parfaite, mais ce sera étonnant pour moi de voir ce duo d’enchainer des faux pas dans la gestion du pouvoir. Toutes les promesses électorales ne sont pas réalisables, mais ces deux hommes d’Etat feront le meilleur d’eux-mêmes pour satisfaire le peuple sénégalais et renforcer la position de leur pays à l’échelle internationale. Sinon, l’une des premières décisions du Bassirou Diomaye Faye a été l’annulation de toutes les décisions prises lors de la dernière réunion du Conseil des ministres présidée par Macky Sall, le 29 mars dernier, juste quelques jours avant la passation de service. Si j’ai bonne mémoire, c’était au cours de son tout premier conseil des ministres tenu le mardi 09 avril 2024, qu’il a pris cette décision. Tous les 25 ministres y étaient présents, ainsi que le Premier ministre Ousmane Sonko.

Au cours de cette réunion, il a exprimé sa reconnaissance infinie et sa profonde gratitude au Peuple Sénégalais, qui lui a fait confiance, avec son élection au premier tour avec 54, 28 % des suffrages exprimés. En outre, il a rappelé la nécessité de la mise en œuvre de son ambitieux projet pour la transformation systémique du Sénégal, décliné en cinq (5) axes prioritaires de l’action gouvernementale. Conforment à ses promesses électorales, il a également ordonné la renégociation des accords de pêche, ainsi que les contrats d’exploitation de pétrole et de gaz avec l’UE et la publication des rapports de la Cour des Comptes, de l’Inspection générale d’Etat et de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) des cinq (5) dernières années (2019, 2020, 2021, 2022 et 2023). Ces différents rapports qui révèlent des actes de mauvaise gouvernance avaient été oubliés dans les tiroirs des autorités sous l’ère  Macky Sall.

Cependant, ils doivent être vigilants pour éviter de donner l’occasion aux ennemis de s’infiltrer  entre eux, afin de les distraire et les détourner de l’essentiel, qui est la mise en œuvre de leurs projets de société. Les reformes ne plaisent pas à tout le monde, surtout si elles ont un enjeu géopolitique stratégique. Les puissances occidentales sont sans état d’âme ; si leurs intérêts sont menacés, elles n’hésiteront pas à monter des pièges et manipuler l’opinion publique contre eux à travers la société civile, afin de redéfinir le jeu politique en leur faveur. Tous les régimes sérieux gouvernent pour leurs peuples, et le régime de Diomaye Faye s’inscrit dans ce sens, qui est une exception régionale. Le Sénégal est réputé être un havre de paix, sauf que la tentative désespérée de Macky Sall de s’éterniser au pouvoir a failli remettre en cause cette réputation historique. Heureusement qu’il y avait un homme, un patriote engagé, en l’occurrence Ousmane Sonko, pour barrer la route à la dictature par la manipulation juridique de Macky Sall.

 

3) – Le Chef de la junte militaire, Général Mahamat Idriss Deby, est élu Président de la République du Tchad avec 61% des suffrages, mais «son» Premier-Ministre, Succès Masra, conteste les résultats. Que peut-on retenir de cette élection présidentielle tchadienne qui vient de normaliser la gouvernance du fils du défunt Marechal Idriss Déby Itno ?

 

Général Mahamat Idriss Déby 

L’élection de Mahamat Idriss Déby ne constitue pas une surprise pour un observateur de l’évolution démocratique en Afrique, d’autant plus que les conditions dans lesquelles il a été porté à la tête de la junte militaire qui a pris le pouvoir à la mort de son père étaient anti-démocratiques. Dans un premier temps, il était censé ne pas participer aux prochaines élections. Mais, comme il fallait s’y attendre, à l’issue du referendum organisé le 17 décembre 2023, qui a abouti à l’adoption d’une nouvelle constitution, il a changé d’avis et s’est porté candidat. L’appareil électoral étant sous le contrôle des caciques du régime en place, il était prévisible qu’il remporte ces élections dès le premier tour pour éviter des complications. Mais le scrutin présente tous les symptômes de mascarade électorale. Quoiqu’il en soit, c’est parti pour une longue période d’incertitude pour ce pays longtemps caractérisé par une instabilité politique chronique, dans laquelle la position de la France sera déterminante.

Pour rappel, après la mort de son père en avril 2021 survenue lors d’une offensive des rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad, à la tête d’un Conseil militaire, Mahamat Idriss Déby est monté au pouvoir. Quelques mois plus tard, l’opposant Yaya Dillo Djérou, président du PSF, a été assassiné lors d’un assaut mené par l’armée tchadienne, le  28 février 2024. Il était accusé par le gouvernement de tentative d’assassinat contre le président de la Cour suprême. Cousin de Mahamat Idriss Déby et candidat à la présidentielle, il avait au paravent bénéficié du ralliement de l’oncle du président, Saleh Deby Itno. Dillo avait qualifié l’accusation de «mensonge» et de «mise-en-scène» afin de l’écarter de la course. Le 4 mars 2024, Succès Masra, Premier ministre d’alors et autrefois farouche opposant de Deby fils dès les premières heures de la transition, a présenté ses condoléances et annoncé une « enquête internationale » pour « situer les responsabilités ». Deux semaines plus tard, la coalition « Nous le Peuple » qui soutenait la candidature de Yaya Dillo demande le report de l’élection présidentielle, et l’ouverture d’un dialogue national inclusif. Finalement, la campagne électorale a été marquée par le duel entre un Mahamat Idriss Déby en quête de légitimité électorale et son Premier Ministre, Succès Masra, qui mène une véritable campagne, au point de susciter l’inquiétude des observateurs dans le contexte d’une instabilité croissante de la région. Les deux candidats rassemblent des milliers de personnes lors de leurs meetings respectifs, tandis que Padacké était perçu comme un potentiel faiseur de rois en cas de second tour. Excellent orateur, Masra était  donné favori dans les sondages. Pour plus de transparence, Succès Masra avait intimé à ses électeurs de photographier les procès-verbaux du dépouillement du scrutin afin d’éviter le détournement de leurs voix. Mais l’Agence nationale de gestion des élections (Ange) a finalement interdit la photographie, arguant que le code électoral tchadien ne prévoit pas l’affichage des procès-verbaux dans les bureaux de vote, ni leur remise aux mandataires des candidats. Les candidats ne peuvent ainsi y avoir accès qu’auprès de l’Ange, après la fin du dépouillement. Ce duel Deby–Masra était vraiment un scénario auquel on s’attendait le moins. Il a été qualifié par le politologue Tchadien Evariste Ngarlem Toldé comme une « exception tchadienne », tellement c’est rare de voir un tel scenario. Les premiers couacs en prélude à ces élections, ont commencé lorsque le Conseil constitutionnel a rejeté dix candidatures dont celles des principaux opposants, et en a accepté dix autres, dont celles de Déby, Masra et Albert Pahimi Padacké. Il a juste coupé la poire en deux. Cette manière de trancher est caractéristique des institutions foncièrement dépendantes du pouvoir exécutif

Rédaction de Farafinainfo.com  

 

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