Dossier – Célébration de l’indépendance de la Guinée – Diallo Telli, de son vrai nom Boubacar Diallo Telli, s’est mis au service de son pays, la Guinée juste après son accession à la souveraineté nationale et internationale. Il a considérablement contribué à l’adhésion de la République de Guinée à l’ONU (Organisation des Nations Unies) et fut le premier Secrétaire Général de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine). Diallo Telli est tristement mort au tristement célèbre Camp Boiro. Quel triste destin d’une éminence grise !
«La mort de Diallo Telli», livre d’Amadou Diallo feuilleté par Abdoulaye Baldé
Le 18 juillet 1976, Diallo Telli a dîné au Palais Présidentiel et échangé avec le Président Ahmed Sékou Touré. Un dîner presque d’adieu. La preuve entre les lignes de cet échange. «Mon cher Telli, j’ai au moins une qualité qu’il faut me reconnaître, c’est de ne jamais me laisser surprendre…,» aurait dit le Responsable suprême de la révolution à son invité. Et ce dernier de demander : «Mais qui veut te surprendre, Président ?» Mais il n’aura que cet «Au revoir Telli» comme réponse à sa question pour ainsi dire que les carottes étaient complétement cuites pour lui, car il fut arrêté le 24 juillet 1976. Amadou Diallo a écrit dans son livre «La mort de Diallo Telli : «Après mes aveux, ont été arrêtés Diallo Telli et des personnalités telles que le Dr Alpha Oumar Barry , ministre du domaine des échanges , ami de Telli , Alioune Dramé, ministre du plan et des statistiques, ami aussi de Telli, Camara Sékou dit philo, ancien ambassadeur de Guinée en Algérie, Sy Savané Souleymane, le lieutenant Alhassane Diallo, officier du Cmp Samory et Hadja Bobo, c’est à dire à partir du 24 juillet et des jours qui ont suivi. D’autres personnes, qui figuraient sur la liste des 90, ne furent pas arrêtées, mais privées de leur fonction ou mises à la retraite anticipée, ou encore mutées. Parmi elles Cherif Nabaniou (ancien secrétaire fédéral de Conakry II avant de devenir ministre du Conseil islamique), Saïkou Thiam (ministre des Transports), tous deux arrêtés en août 1977 lors du mouvement des femmes et Abraham Kabassan Keïta, ministre des Travaux Publics. J’appris par la suite que depuis avril 1976, c’est à dire depuis mon arrestation, Siaka Touré avait assisté à tous les conseils de ministres à la seule fin de surveiller Telli. C’est Siaka lui-même qui me l’a dit. De même qu’il m’a répété à plusieurs reprises entre le 11 et 12 août, fin de sa première diète noire, que Telli refusait d’avouer. En même temps que la diète noire, Diallo Telli subissait les interrogatoires dans la cabine. Voulant absolument obtenir de lui qu’il admette sa « trahison », le Chef de l’État en personne demanda à ses exécuteurs des basses besognes que lui soient appliquées plus fréquemment et plus longuement possible les électrodes sur les parties génitales. Jusqu’à ce qu’il cède. Ce traitement inhumain lui a été infligé pendant dix-neuf jours. Pendant dix-neuf jours, Telli résista».
Aveux d’Amadou Diallo sur «le complot Telli»
Né à Diountou dans la région administrative de Labé, Amadou Diallo, qui est allé faire des études en France, a regagné sa Guinée natale en janvier 1976 et s’est mis à son service apportant sa pierre à l’édifice Guinée en construction. Il est devenu Chef du bureau d’études et Directeur financier de la SOGUIFAB (Société Guinéenne de Fabrication d’Ustensiles ménagers). Et il sera arrêté le 26 avril 1976. Il nous en dit un peu plus : «Au début de la quinzaine de juillet 1976, « j’avoue ». J’ai comploté avec les quatre-vingt-dix personnes inscrites sur la liste. Il convient de noter que le nom de certaines d’entre elles m’est parfaitement inconnu. Dès lors il me reste plus qu’à composer sur les directives de Sékou Touré et par l’intermédiaire de Siaka qui faisait la navette entre Boiro et la présidence, un faisceau de « preuves » de la participation de de X, Y, ou Z au vaste « complot Telli ». J’écris sous la dictée de Siaka lequel se conforme attentivement à des notes manuscrites. Je crois en reconnaître l’écriture : celle de Sékou Touré. Chaque élément du puzzle que nous élaborons est soumis au chef de l’État pour lecture et approbation. Lorsque notre travail ne lui convient pas, nous recommençons. Le Président n’est pas satisfait. Il trouve que c’est de la littérature. Il faut refaire. Après chaque séance, la déposition est dactylographiée et quelle que soit l’heure, généralement tardive, elle file directement à la présidence. Ainsi, sous la dictée de Siaka, j’ai écrit que, plus jeune, j’avais fréquenté l’école de Saint-Cyr en France, école où je n’ai jamais mis les pieds. Ce brillant passé militaire qui m’était attribué devait rendre crédible mon rôle d’intermédiaire entre Diallo Telli et l’opposition en vue d’un changement de régime. J’ai écrit que le coup d’État devait être réalisé par une partie de l’armée guinéenne et par des mercenaires basés à Dakar et à Abidjan. Ayant eu connaissance, grâce aux aveux du Capitaine Lamine Kouyaté, de cette somme de dix millions de francs CFA que nous réclamions à l’opposition extérieure, Siaka m’y fit faire allusion, mais cette fois pour préciser qu’elle serait utilisée dans le complot Telli. Il me demanda de définir le rôle qu’après le changement de régime Telli devait jouer à la tête de l’État. Son programme politique devait viser à l’instauration du capitalisme. Enfin, je dus écrire que nous avions envisagé d’accomplir une série de meurtres contre le chef de l’État, son épouse, Mamadi Keïta, Ismael Touré, Siaka lui-même et d’autres personnalités encore. Parallèlement à ces activités d’intermédiaire entre Diallo Telli, Siradiou Diallo et d’autres membres de l’opposition, et toujours selon mes « aveux », j’avais été recruté par les services de renseignements français qui me versaient des sommes folles. J’ai noirci des dizaines et des dizaines de feuilles de papier, après des séances de tortures qui me laissaient épuiser».
Lettres échangées entre Sékou Touré & Diallo Telli
Nonobstant sa détention au Camp Mamadou Boiro, Boubacar Diallo Telli et Ahmed Sékou Touré ont continué d’échanger des missives. Le Président de la République échangeait aussi avec d’autres personnalités comme Dr. Alpha Oumar Barry. Des missives publiées par l’auteur du livre, Amadou Diallo, qui met l’accent sur ces fameuses lettres afin de mettre à nu la version du complot. Pourtant, il avait fait des aveux : « J’ai comploté avec les quatre-vingt-dix personnes inscrites sur la liste… »
Les lettres de Sékou Touré
«Conakry, le ……. A Telli ! Tu es vraiment têtu. Moussa Diakité et Siaka m’ont fait parvenir tous tes soucis concernant le sens que veux donner à ta déclaration. Selon eux tu t’acharnerais à démontrer que tu as trahi notre pays et l’Afrique pour servir le PDG. Pour moi, le sort de la Guinée et de l’Afrique, est étroitement lié à celui des partis politiques révolutionnaire d’avant -garde dont le PDG demeure le creuset. A cet effet, je te demande d’aider la Révolution pour qu’à son tour le PDG te réhabilite aux yeux de la Guinée. Pour l’amour de Dieu notre créateur commun, je te demande de te mettre en accord avec Moussa et Siaka en vue de sortir les travaux de la commission dans l’impasse. Je prends Dieu comme témoin pour te garantir ma grâce. Ce testament auquel tu aspires, tu le réaliseras au milieu de ta famille En ré renouvelant mes profondes amitiés, je te demande de prendre courage. Prêt pour la révolution !» Ahmed Sékou Touré. Une autre lettre de Sékou Touré «Conakry, le 23 décembre 1976 A Telli ! Telli , Au-delà de nos responsabilités respectives devant notre peuple et l’histoire, nous pensons que tu es bien placé pour coopérer étroitement avec la Révolution. Si pendant dix-neuf jours de souffrances tu t’es obstiné à utiliser le Droit des autres pour prouver ton innocence, nous ne pouvons pas nous fier à cette littérature juridique. Comme tu as dû le constater, notre peuple est devenu un peuple majeur hautement responsable. Le CNR et nous-mêmes avons volontairement limités les dégâts. En effet, l’ex-colonel Lamine Diallo, l’ex-gouverneur, Ibrahima Diallo, Mountagah Baldé, Yaya Keïta, Sékou Yansané etc., Changerons de poste ou seront mis à la retraite, mais ne seront pas arrêtés. Nous précisons avec des preuves à l’appui que tous ceux-ci sont des complices actifs ou passifs du vaste complot que tu as ourdi contre notre peuple et ses légitimes représentants. Ton seul souci était de parvenir au pouvoir au sein d’un régime réactionnaire, tu n’hésites pas à entraîner le maximum de cadres même intègres dans ta trahison en vue d’obtenir à un soulèvement populaire où me Parti-État de la Guinée perdrait le contrôle de la situation. Nous proclamons solennellement notre volonté de mettre à ta disposition toutes les archives au sujet de la cinquième colonne. Sur toutes ces listes tu figures en tête. Nous n’avons pas peur de toi. Nous n’avons peur que de notre peuple et de Dieu. Nous pouvions te faire arrêter à l’aube de notre indépendance. Nous ne l’avons pas fait. Malgré ton comportement anti peuple, nous pensions qu’il nous appartenait de te donner la chance de te racheter aux yeux de notre peuple et de la glorieuse histoire. Ce faisant, nous avons agi contre la volonté de notre peuple et celle de nos proches collaborateurs. Jusqu’ici, nous continuons à penser que rien n’est perdu pour toi. Car si ton apport au Parti a été jugé très insuffisant, depuis notre indépendance, là où tu es aujourd’hui, tu peux faire des livres pour rendre service à ce parti qui t’a grandi. L’idéologie de notre parti n’étant pas une idéologie figée, nous te demandons de nous préciser exactement le rôle que tu pourrais jouer pour notre pays largement ouvert sur le reste du monde. En vantant tes mérites créés de toutes pièces, la presse réactionnaire compromet la visite que le nouveau Président de la République Française a accepté de rendre à notre peuple. Désormais, ton sort est lié à ta sincérité pour le Parti État de Guinée. En pensant que pour une fois tu sauras te mettre aux côtés de notre peuple, nous te rappelons que tu es encore utile à ta famille. Prêt pour la Révolution !»
Une des lettres de Diallo Telli
«Boiro, le 24 Décembre 1976 Au Président Ahmed Sékou Touré ! Cher Président, En recevant ta lettre datée du 23 mois courant, j’ai voulu y répondre par une longue et profonde lettre. Mais le nouvel environnement qui m’a été créé m’en empêcher. Toutefois, tu voudras bien m’entendre sur deux points: Un éventuel soulèvement populaire et mes nouvelles préoccupations. Concernant le premier point, l’histoire nous a montré que tous les régimes dont l’assise repose sur le mensonge et la force périssent par la force. Ce soulèvement populaire qui te hante, je ne l’ai jamais souhaité pour pays, mais il est inévitable. Il a été obtenu de moi une déposition dans laquelle je devrais être Président de la République de Guinée à la suite d’un coup de force. Très sincèrement entre nous soyons sérieux. Tu sais que j’ignore tout de ce scénario. Puisque je l’ignore, comment veux-tu que j’entraîne des personnes dans ma soi-disant trahison dont je ne l’existence tant au fond qu’a la forme. Toi et moi, nous sommes d’accord sur un point : Il y’a eu trahison. Mais c’est moi la victime. Car, selon moi, si j’ai trahi la Guinée et l’Afrique au profit PDG (Parti Démocratique de Guinée), ce dernier m’a trahi. Aujourd’hui effectivement, je me reproche d’avoir livré de nombreuses populations à une vaste campagne de haine. Mais Dieu est grand. Les populations soussous pour lesquelles j’ai une grande estime et admiration sauront restes plus grandes que toi et moi. Cher Président, Pour aborder le deuxième volet de ma lettre, tous ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas naïf. Depuis que je suis dans la cellule 54 au camp Boiro, mon seul souci est de savoir comment trouver la voie vers mon créateur. Pour cela, je m’emploie à le prier pour implorer son pardon. Je sais que j’ai été en partie victime de mon éducation et peut-être de ma religion. Car, dans une famille où il n’existe pas de morale sociale celui qui en a une est naturellement désigné comme victime. Mon unique sauveur est Dieu. Il est trop tard pour Lui demander de me sortir de Boiro. En dernière analyse, j’ai une grande part de responsabilité dans cette fin qui me guète. Je le prie tous les jours pour mon sang et mon innocence servent à bâtir une Guinée libre. Pour ce qui est de ma famille, je ne peux lui être d’aucune utilité aujourd’hui. Je n’ai jamais pu penser au respect, à l’amour, à l’estime et à la confiance que le beau peuple qui l’a engendrée m’a témoignés sans me reprocher tous les torts que lui ai causés. Malgré ton engagement par écrit de faire passer mon authentique déclaration à la radio, je doute que tu le fasses. Et pourtant elle revêt pour moi une grande importance, car à défaut d’un testament proprement dit, elle me permet de communier avec tous ceux qui m’accordent ce crédit moral que tu voudrais effacer. Tout en insistant avec force sur mon incapacité à être à la hauteur de ce qu’ils attendaient de moi, je voudrais leur dire que les guerres ont toujours imposé des sacrifices, et que la perte d’un soldat ne doit pas signifier l’abandon de la guerre. Je dois leur apprendre que ressemble à un de ces généraux dont la valeur réelle ne dépasse pas celle d’un soldat moyen. Je sais qu’ils se sont toujours montrés généreux avec moi, aussi face à ma ma triste fin je prie et leur reste reconnaissant. Je sais qu’au bout du chemin ils me trouveront au sein de leurs rangs, à la place du soldat moyen que j’ai été ne leur a donné ni ombrage, ni fruits. Qu’il soit abattu et donne du bois à leurs foyers. Un grand contemporain nous a appris que lorsque tout un peuple boit la même eau, écoute la même musique, lit le même journal, porte la même tenue, etc. Il est difficile aux individus qui le composent d’affirmer une personnalité. Je n’ai pas fait dérogation à cette règle. Mais j’ai la ferme conviction que cette personnalité existe et qu’elle émergera d’un des quatre coins de notre merveilleux pays et qu’elle donnera la parole à ses fils, afin qu’ils exposent à l’appréciation de la partie l’apport de chacun de nous. Parce que j’ai trahi la Guinée et l’Afrique au service du PDG, rien n’empêchera le poids de la patrie d’écraser mon corps afin d’en extraire le sang et l’âme que je suis indigne de porter. Le fils hors mariage que j’ai été pour la Guinée et l’Afrique ne mérite pas les honneurs de la patrie. Je demande tous les hommes et toutes les femmes de fouiller au plus profond de leur générosité afin d’implorer pour moi le pardon d’Allah. Merci à Allah qui m’a créé. Merci à la Guinée, à l’Afrique et aux hommes du reste du monde qui, malgré mes minces qualités d’hommes, ont voulu me faire naître, m’élever, m’aimer, et respecter en moi la créature d’Allah le tout Puissant. Je souhaite qu’après moi en Guinée, en Afrique ou en importe quel lieu du monde des enfants, des vieillards, des femmes ne paient plus de leur vie l’irresponsabilité d’hommes qui, au lieu de créer et d’entretenir la liberté, la torpillent. Vive la justice et la liberté !»
Ce sont quelques bonnes pages choisies du livre «Diallo Telli» d’Amadou Diallo pour évoquer la vie carcérale du tout premier Secrétaire Général de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) devenue l’UA (Union Africaine) depuis quelques années déjà.
Abdoulaye Baldé