Interview de Mme Nebghouha Mint Mohamed Vall, Ministre de l’Education Nationale

Publié le 9 juin 2013 par Camara Mamady «Un pays, dont le système éducatif n’est pas performant, ne peut jamais être un pays performant»

Pour de nombreux mauritanien, la Ministre de l’Education Nationale est la Dame de fer du Gouvernement de Zeine Ould Zeidane. Elle ne laisse personne indifférent. Ses détracteurs et ses soutiens ne se comptent pas. C’est cela aussi la vie d’un ministre. Mais même si l’on n’est pas d’accord avec elle, on ne peut que lui reconnaître un certain courage et une réelle volonté de changer les choses.

Parlez-nous, Madame la Ministre de l’Education Nationale de votre parcours scolaire ? 

J’ai fait une maîtrise d’économie à l’Université de Nouakchott. Dès l’obtention de ma maîtrise, j’ai été engagée au Ministère de l’Economie et de l’Emploi. C’était le nom ancien. Au cours de ma carrière au niveau de ce ministère, j’ai fait une formation pour obtenir un DSS en évaluation et suivi de projet. Après cela, j’ai occupé pour presque deux ans le poste d’attaché auprès du conseiller du Premier Ministre chargé des questions économiques. Et puis le retour au ministère des Affaires économiques et Développement pour occuper le poste de directeur adjoint de la programmation et des études jusqu’en octobre 2000. Où j’ai été nommée directrice de la planification, de la coopération au ministère de l’Education Nationale. Poste que j’ai quitté début 2004, juste après les élections présidentielles du 7 novembre 2003. J’ai ouvert un bureau d’études, où malgré moi, je me suis spécialisée dans l’éducation alors que ce n’était pas mon objectif premier. Il se trouve que pendant mon passage au ministère de l’Education Nationale, c’était la période où on faisait le programme décennal. Donc qui était une réussite dans toute la sous région. Nous avons été sollicités dans plusieurs pays de la sous- région, pour présenter l’expérience de la Mauritanie en terme de préparation d’un processus de ce type. Nous avons mobilisé assez rapidement le financement alors que d’autres pays qui avaient fini le processus avant, nous n’avaient pas réussi à mobiliser le financement. Ce qui fait que j’avais une certaine toute petite réputation dans certains pays de la sous- région.

Donc j’ai commencé à travailler sur le secteur de l’éducation. J’ai travaillé beaucoup sur le Bénin, un peu sur le Burkina Faso. J’ai travaillé avec la Banque Mondiale au Soudan pour la mise en œuvre d’un programme sur la région du Darfour dans la perspective de l’après guerre. Et j’ai également travaillé pour la Coopération française sur un certain nombre de thématiques jusqu’à la date de ma nomination au poste de Ministre de l’Education Nationale.

Nombreux enseignants se plaignent de la méthode « Mint Mohamed Vall ». Celle d’organiser les compositions juste au retour des fêtes. Concrètement quel est le résultat recherché par le ministère de l’Education Nationale en instaurant les examens après les congés ?

Par rapport au fait qu’on ait instauré les examens après les vacances scolaires, cela, c’est en partant de la situation du niveau des élèves. Nous avons des niveaux catastrophiques. Au début de la rentrée, nous avons expliqué aux associations des parents d’élèves que les élèves doivent mettre à profit les vacances scolaires pour mieux réviser leurs leçons dans l’espoir de très bien assimiler les différentes leçons tout au long du trimestre. Une manière de se préparer très bien pour les évaluations trimestrielles. Si c’est une bonne méthode ou non, nous le saurons à la fin de l’année.

Quand nous aurons évalué tout cela par rapport aux années précédentes. Nous saurons, est-ce que c’est bon ? Si c’est bon ! Nous continuons évidemment. Et si ce n’est pas bon, il faudrait envisager d’autres solutions. Ce qu’il faudrait comprendre, c’est que le système éducatif ne doit pas être un système figé. Il doit être un système dynamique c’est-à-dire que chaque fois que nous prenons des mesures, il faut que nous prenions le temps de les évaluer et de continuer avec celles qui sont bonnes et de changer les autres. Je pense que ce que vous me parlez tout à l’heure, c’est que pour la première fois cette année, nous avons organisé un concours blanc.

Concours d’entrée en 1ère année AS donc pour les enfants de la dernière année du primaire. Nous avons organisé un BEPC blanc. Et nous allons organiser la semaine prochaine un bac blanc. Mais tout se fera selon les règles de l’art. Cela est une nouveauté pour beaucoup de familles. Pourquoi, nous avons cela ? C’est pourvoir évaluer le niveau des élèves, qui sont en phase terminale d’un cycle et de pouvoir apporter pendant le dernier trimestre les correctifs nécessaires nous permettant de définir les zones où il y a des très faibles taux de réussite.

Par conséquent, nous devons renforcer l’apprentissage des élèves par des cours de rattrapages pour que nous ne trouvions pas à la fin de l’année lors des examens nationaux avec des résultats catastrophiques. C’est ça, l’objectif qui est recherché. Malheureusement, la plupart de nos méthodes ne sont pas bien comprises. Pourquoi ? Parce que nous demandons aux enseignants en peu plus. Nous leur demandons beaucoup plus que ce qu’ils avaient l’habitude faire les dernières années. Les plus anciens, parmi eux, avaient l’habitude de faire cela.

Nous demandons également aux élèves ce qu’ils n’avaient pas l’habitude de faire c’est-à-dire être présents tous les jours dans les classes et suivre convenablement les cours. Des habitudes qu’ils avaient perdues. Je pense qu’il faudrait un temps d’adaptation pour que tout le monde comprenne que tout cela est dans l’intérêt du système éducatif. Je pense que les gens comprennent de plus en plus pourquoi toutes ces choses sont faites. Les enseignants comprennent pourquoi nous exigeons d’eux trente heures de présence effective dans les classes. Alors qu’ils avaient l’habitude de faire au maximum dix-sept, dix huit voire vingt heures dans les classes.

Quant aux élèves, il leur faut un plus de temps pour qu’ils comprennent que maintenant ils terminent convenablement leur programme. Alors qu’avant la fin de l’année, ils n’avaient que la moitié de leur programme. Donc, ils avaient moins de choses à réviser pour les examens. Mais ceci va leur permettre d’être encore mieux l’année d’après, parce qu’ils auront fait tout le programme qui était prévu l’année d’avant. Cela demande un peu de temps, mais je crois que ça va venir (Eclats de rires).

Pourquoi avez-vous « refusé» de serrer la main du Président Mahmoud Abbas ?

Il ne faut pas dire que j’ai refusé. Non, je n’ai pas refusé. Comme vous savez, culturellement et traditionnellement en Mauritanie, les femmes arabo-berbères ne tendent pas la main aux hommes. Comme je considère qu’une femme qui travaille dans le gouvernement ne doit donner une image qui est fausse de l’image traditionnelle pour ne pas dire de l’image réelle de la femme mauritanienne, je me suis abstenue de tendre la main, donc je n’ai pas refusé. Il ne faut pas aller au-delà de ça.

Pour parler toujours de l’image, les Mauritaniens ont de vous l’image d’une femme très « dure ». Et ce ne sont pas les enseignants qui vont nous démentir. Etes-vous réellement une femme dure ?

Je ne vais pas répondre à cette question. Dire que je ne suis pas très dure ou je suis douce et très gentille. Peut-être, cela ne plaira certainement pas à d’autres. Je ne sais pas. Les gens le sauront, peut-être, en me côtoyant. Ils se feront eux-mêmes leur impression en me côtoyant. Et vous quelle est votre impression ?

Moi, Madame la Ministre ?! C’est par le truchement d’une consoeur journaliste américaine, que je me suis fait une idée de vous.

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter à la tête de ce ministère problématique, qui est le ministère de l’Education Nationale ?

Pas à moi. Mais qu’est-ce qu’on peut souhaiter pour le secteur. Moi, je souhaite pour le secteur que les parents prennent conscience de l’importance des études de leurs enfants, surtout de la nécessité de faire des sacrifices en conséquence et de jouer pleinement le rôle qui est le leur. Parce que l’école ne garde l’enfant que très peu de temps. Le gros des apprentissages se fait en famille. Je souhaite que le personnel éducatif soit très consciencieux dans son travail et qu’il sache que l’avenir de ce pays repose sur leurs épaules et que tous les Mauritaniens, qu’ils ne soient ni parent ou ni enseignant, portent beaucoup d’intérêt au système éducatif. Tout le monde doit respecter l’enseignant, c’est une personne formidable, auprès de laquelle on demande beaucoup de sacrifices. Il vit souvent dans des conditions très difficiles. De ce fait, c’est quelqu’un qui mérite notre égard et notre respect. J’espère que tout cela va amener le système éducatif de l’avant. Et que vous journalistes, vous fassiez beaucoup de sensibilisations. Il faudrait que les gens prennent conscience qu’un pays, dont le système éducatif n’est pas performant, ne peut jamais être un pays performant. Les pays qui se sont développés sont des pays qui ont le système éducatif performant et de qualité. Il y va de l’avenir de la Mauritanie.

Interview réalisée par Camara Mamady

Posté sur 5 avril 2008 par Maghreb Quotidien