KASSORY FOFANA : Isolé, mais pas seul ! [Par Tibou Kamara]

 » Persécuter un homme en politique, ce n’est pas seulement le grandir, c’est encore en innocenter le passé“ (Honoré de Balzac)

Il ne saurait y avoir de bonheur isolé dans la société, ni de destin solitaire au sein d’une nation. C’est peut-être parce que chacun de nous a trop souvent pensé à lui-même avant les autres que nous ne parvenons pas à avancer ensemble. Le « chacun pour soi », qui est un penchant naturel, entrave depuis toujours cette communauté de destin tant souhaitée par tous. Nous vivons dans un règne sans fin du manichéisme : le bien d’un côté, le mal de l’autre. À cela s’ajoute la doctrine prônée par ceux qui, convaincus de n’avoir rien à se reprocher, se sentent légitimes pour distribuer bons et mauvais points. Les libres penseurs, ces « âmes pures » et autres bien-pensants, s’arrogent le droit de décider qui est habilité à prendre la parole dans l’espace public et le débat national. Dans un pays où s’exprimer et se faire entendre, à toutes les époques, n’est pas sans risques et suscite souvent une levée de boucliers, les censeurs, procureurs autoproclamés et objecteurs de conscience indécrottables pullulent. On est si habitué à entendre un seul son de cloche et à se conformer à l’ordre établi que toute parole iconoclaste ou tentative d’émancipation dérange et déplaît aux grognons. Il n’est donc pas étonnant que certains apprentis sorciers cherchent à étouffer les voix qui s’opposent à leurs certitudes ou se transforment en répondeurs automatiques.

Il semblerait que lorsqu’on a « failli », ou qu’on ne s’est pas montré parfait, on soit condamné à la servitude du silence, à l’horreur du bannissement ou à l’indignité de la capitulation. Pourtant, le « péché », si capital soit-il, de servir sans asservir, reste préférable au confort douillet de la critique facile et plus noble que l’imprudence des éternels procès en sorcellerie. Lorsqu’on a du vécu, accumulé de l’expérience, surmonté des épreuves, bravé des tempêtes, trébuché, parfois même perdu son chemin, on est bien fondé et tout à fait outillé pour guider, prodiguer des conseils avisés et mettre en garde s’il le faut.

On ne souhaite pas que d’autres connaissent les mêmes revers que soi. L’expérience n’est pas rien : elle élève au-dessus du lot et confère à la parole une autorité qui lui assure un écho et une portée. L’expérience, c’est la maturité acquise après avoir éprouvé ses convictions, perdu ses rêves et confronté ses bonnes intentions à la dure réalité.

Quand on a connu plusieurs vies, fait un long apprentissage dans diverses situations, on finit par comprendre qu’il n’y a pas de monde idéal, ni d’hommes providentiels au-dessus de tout soupçon. L’humilité naît des hauts et des bas, la perspicacité se forge dans les déboires. Il faut accepter de grandir avant de prétendre donner des leçons ou faire la morale aux autres. On ne peut distinguer le bien du mal sans un bilan, sans avoir accompli un chemin. Ce n’est pas en s’en prenant aux « Grands » qu’on parvient à exister, ni en cherchant à s’élever à leur hauteur qu’on atteint leur dimension. Il y a ceux qui feront l’histoire et l’écriront, et ceux qui s’agiteront un moment sans laisser d’empreinte dans le temps ni s’immortaliser par leurs œuvres. Les premiers ne se font pas oublier ; les seconds disparaissent aussi vite qu’ils surgissent.

KASSORY : LE SILENCE NE SIGNIFIE PAS INDIFFÉRENCE, LA PRISON N’EST PAS UNE CONDAMNATION SANS RETOUR

À chaque jour suffit sa peine. Kassory Fofana, ancien Premier ministre, vient d’écoper d’une condamnation à cinq ans d’emprisonnement. Déjà trois longues années passées derrière les barreaux. Tant que la justice ne s’était pas prononcée, il n’était pas de bon ton de commenter cette affaire scabreuse, qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Espérons que son épilogue viendra rapidement, dans un dénouement heureux. Maintenant que le verdict est tombé tel un couperet le jeudi 27 février, le tabou est brisé. L’institution judiciaire se prévaut d’avoir un visage humain. Il ne peut en être autrement, car la justice est faite pour les hommes autant qu’elle est rendue par eux. Et, jusqu’à preuve du contraire, personne n’a une pierre à la place du cœur. Ceux qui rechignent à la compassion et se réjouissent du malheur d’autrui ne se mettent pas à la place des autres.

C’est lorsqu’on se sent seul, abandonné à soi-même, et confronté aux pires difficultés qu’on comprend le besoin des autres et mesure combien souvent les marques de soutien, de sympathie et de solidarité pansent les blessures et comblent de joie.

Amis, partenaires et proches de Kassory ont tous une pensée affectueuse pour lui et prient pour sa libération. Quoi qu’il ait pu faire ou dire, quoi qu’on lui reproche, à son âge, avec tout son bagage et sa carrière publique, ainsi qu’avec son état de santé précaire, il mérite de retrouver sa famille et ses proches après ces mois pénibles de détention.

Un homme public n’a pas que des amis et vit dans l’adversité quotidienne. Cependant, au-dessus des querelles de clocher et de chapelles, il y a une obligation d’humanité qui incombe à chacun et interdit de se délecter des ennuis que d’autres pourraient rencontrer dans leur odyssée. Il est donc possible de pleurer pour Kassory et d’implorer la grâce divine pour lui, au même titre que pour tous ceux qui sont dans la tourmente. Le malheur frappe à la porte de chacun, et du jour au lendemain, on pourrait tomber dans la fosse aux lions.

Assumer l’amitié et la fraternité apaise le cœur ; ne rien oublier de son passé et de ses convictions d’hier soulage la conscience. Ibrahima Kassory Fofana a été présent pour ses concitoyens tout le temps qu’il fut aux affaires, et s’est montré charitable envers tous. Il ne doit pas se sentir seul au monde en ce moment où il est en proie aux doutes et à l’anxiété, traversant un passage à vide, se demandant s’il reste des personnes qui se souviennent de lui, lui sont reconnaissantes de ses bienfaits et plaident sa cause dans les allées du pouvoir et auprès du Prince.

Même s’il faut rester le dernier des Mohicans, il ne faut pas abandonner Kassory à son sort peu enviable ni détourner le regard de son spleen.

Tibou Kamara

 

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