La déclaration des Forces Vives de Guinée : Entre ambitions démocratiques et défis politiques

TRIBUNE. Depuis le coup d’État du 5 septembre 2021, qui a conduit au renversement du président Alpha Condé, la Guinée traverse une période d’incertitude politique, comme à chaque transition politique. La prise de pouvoir par le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), dirigé par le colonel (devenu Général plus tard) Mamadi Doumbouya, a été initialement ovationnée par une bonne partie de la population, notamment les militants de l’opposition d’alors et les militants et promoteurs de la démocratie libérale, fatigués des « dérives autoritaires » du régime précédent. Cependant, les espoirs d’une transition rapide vers un régime démocratique se sont peu à peu dissipés, en raison de l’absence de calendrier cohérent, clair et précis pour les élections et des tensions croissantes entre la junte et divers acteurs politiques et sociaux.

C’est dans ce contexte que les Forces Vives de Guinée (FVG), qui regroupent des partis politiques et des organisations de la société civile, se sont constituées en une force de contre-pouvoir majeure. Leur récente déclaration, visant à contester la légitimité de la junte militaire au-delà du 31 décembre 2024, illustre une volonté manifeste de rompre avec l’ordre militaire en place. Dans ce cadre, les FVG ont également demandé aux représentants des structures membres des FVG de démissionner dans toutes les instances de la transition. Cette initiative marque une escalade significative dans leur stratégie d’opposition et souligne leur volonté de ne pas cautionner un processus qu’elles jugent illégitime. Cette précision est importante, car elle illustre une stratégie supplémentaire adoptée par les Forces Vives de Guinée (FVG) pour affirmer leur opposition au régime militaire en place. En demandant aux représentants des structures membres des FVG de démissionner de toutes les instances de la transition, elles cherchent probablement à :

  1. Délégitimer les institutions de transition : Ces démissions pourraient être perçues comme un rejet de la légitimité des organes contrôlés ou influencés par la junte militaire, renforçant ainsi leur position en tant que force d’opposition.

L’exemple des forces d’opposition en Birmanie après le coup d’État militaire de 2021 pourrait servir d’école pour la Guinée. Les membres élus du Parlement, regroupés dans le Comité Représentant Pyidaungsu Hluttaw (CRPH), ont refusé de reconnaître la junte et ont appelé à des démissions massives, ce qui a contribué à délégitimer le régime militaire aux yeux de la communauté internationale.

  1. Envoyer un signal fort de désapprobation : Cela marque une rupture claire avec le processus en cours et souligne leur volonté de ne pas cautionner un système qu’elles jugent non démocratique.

En Afrique du Sud, le refus des leaders de l’ANC d’intégrer des institutions sous contrôle de l’apartheid dans les années 1980 a renforcé leur légitimité et accru leur soutien populaire.

  1. Mobiliser l’opinion publique : En prenant cette position radicale, les FVG peuvent galvaniser davantage leurs partisans et inciter une mobilisation citoyenne plus large contre le régime.

La mobilisation tunisienne en 2011 démontre comment des actions cohérentes, accompagnées de slogans clairs et d’objectifs communs, peuvent rassembler divers groupes sociaux pour faire pression sur un régime autoritaire.

  1. Créer une pression internationale : Ce geste pourrait également attirer l’attention des acteurs internationaux, les incitant à intensifier leurs efforts pour encadrer la transition et éviter une escalade des tensions.

La pression exercée par la CEDEAO sur la Guinée lors des crises politiques précédentes, en 2007 et 2029 notamment montre l’impact potentiel d’une mobilisation internationale, surtout lorsqu’elle est renforcée par des actions locales fortes.

Cependant, cette stratégie comporte des risques à forte probabilité, notamment :

  • La perte d’influence directe au sein des instances où les décisions clés sont prises.
  • Le risque de fragmentation interne si tous les membres des structures des FVG ne soutiennent pas unanimement cette initiative.
  • Une réaction potentielle de répression de la part du régime en place, qui pourrait voir cela comme un affront direct.

Dans ce cadre, les FVG pourraient s’inspirer des écrits de Gene Sharp, notamment From Dictatorship to Democracy, pour structurer leur résistance non violente de manière stratégique, en évitant de tomber dans des conflits internes ou des réponses désorganisées. Les travaux de Samuel Huntington dans Political Order in Changing Societies soulignent également l’importance de maintenir la cohésion dans un mouvement de transition, tout en établissant un dialogue avec des acteurs internationaux crédibles.

Pour maximiser leurs chances de succès, les Forces Vives de Guinée devraient concentrer leurs efforts sur les points suivants :

  • Renforcement institutionnel : Travailler avec des experts nationaux et internationaux pour concevoir des textes fondateurs légitimant leurs revendications.
  • Création d’un conseil de transition : Former un organe consultatif réunissant toutes les composantes politiques et sociales pour superviser le processus de transition.
  • Élaboration d’une feuille de route : Prévoir un calendrier électoral transparent et des mécanismes de suivi inclusifs du processus.
  • Partenariat avec des médiateurs internationaux : Collaborer avec la CEDEAO et l’Union africaine et leurs partenaires pour garantir le cadre de dialogue et le respect des engagements qui y seront pris.
  • Formation des citoyens : Organiser des campagnes de sensibilisation sur les droits civiques et les stratégies de mobilisation non violente.
  • Communication stratégique : Déployer une campagne nationale et internationale pour mobiliser l’opinion publique et attirer le soutien extérieur.
  • Mise en place de réseaux locaux : Renforcer les coalitions régionales pour garantir l’unité d’action sur l’ensemble du territoire.
  • Impliquer des observateurs neutres : Faire appel à des organisations internationales pour superviser et valider le processus.

Conclusion

La déclaration des FVG traduit une aspiration forte à un avenir démocratique en Guinée. Cependant, leur succès dépendra de leur capacité à structurer leurs actions autour de principes clairs et d’objectifs réalistes. Une mise en œuvre rigoureuse des recommandations énoncées renforcerait leur crédibilité et ouvrirait la voie à une transition démocratique durable, s’inspirant des succès et des écueils observés ailleurs.

Sekouba MAREGA

Politiste, Analyste politique

 

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