L’activiste A. Diagana : « … Mohamed Ould Abdel Aziz envoie un double message… »

REGARD D’UN ACTIVISTE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE. Abass Diagana a bien voulu se prêter aux Questions de la Rédaction de Farafinainfo.com. Et est revenu sur les faits marquants de l’Actualité [sociopolitique] de la Semaine écoulée en Afrique et au Moyen-Orient spécialement le propos attribué à Mohamed Ould Abdel Aziz, ancien Président de la République Islamique de Mauritanie, les dirigeants de la CEDEAO qui approuvent la création d’un Tribunal Spécial à Banjul. Et la chute brutale de la dynastie al-Assad en Syrie.  [Actu de la Semaine en 3 Questions].

 

Diagana Abass, activiste de la Société Civile

 

« En Mauritanie, elle résulte souvent d’un cumul de facteurs structurels et humains … »

1)– Que pensez-vous de cette déclaration attribuée à l’ancien Président de la République Islamique de Mauritanie Mohamed Ould Abdel Aziz par Info Plus: « Je peux jurer sur le Saint Coran que 50% des fonctionnaires ne peuvent pas justifier leur richesse » ?

 

Mohamed Ould Abdel Aziz, ancien Président de la République Islamique de Mauritanie 

Il est souvent attendu d’un président qu’il incarne à la fois une vision pour le pays et la capacité de mettre en œuvre cette vision à travers une gouvernance exemplaire. Toutefois, il arrive que certains dirigeants tombent dans le piège du laisser-faire, tolérant des dysfonctionnements qu’ils auraient pourtant le devoir de corriger ; la complaisance à tous les niveaux, le népotisme et le clientélisme. Cet état de fait, qui relève d’une forme de responsabilité indirecte, devient d’autant plus problématique lorsqu’ils se positionnent ultérieurement comme critiques de pratiques qu’ils ont eux-mêmes favorisées.

Une administration en proie à l’incompétence

L’incompétence au sein de l’administration publique n’est pas une problématique nouvelle. En Mauritanie, elle résulte souvent d’un cumul de facteurs structurels et humains : nominations par favoritisme, manque de formation adéquate, ou encore absence de mécanismes d’évaluation. Lorsqu’un président arrive au pouvoir, il hérite de ces défis. Néanmoins, s’il est conscient de ces lacunes, sa mission est d’instaurer des réformes structurelles pour assainir et redynamiser l’administration.

Dans ce contexte, la tolérance à l’incompétence peut s’apparenter à un choix délibéré, qu’il soit dicté par un manque de courage politique, des compromis avec des alliés ou une volonté de maintenir un équilibre institutionnel fragile. Nous avons assisté à des nominations des commissaires de police, des gouverneurs, des procureurs, de hauts fonctionnaires de l’Etat, des ambassadeurs, sans aucun niveau. Toutefois, ce choix n’est jamais sans conséquence : une administration affaiblie conduit inévitablement à une perte d’efficacité dans la mise en œuvre des politiques publiques, au détriment des citoyens. Abdel Aziz a assisté à cela sans y remédier, au contraire il l’a encouragé à sa façon. Mohamed Ould Ghazouani, lui, n’essaye même pas d’en parler, il n’a fait que suivre le même chemin que ses prédécesseurs

Le laisser-faire : une stratégie ou une faiblesse ?

Mohamed Ould Abdel Aziz a fermé les yeux sur les failles administratives pendant plus de dix ans, parce que cela arrangeait son gouvernement, il a perpétué une culture d’irresponsabilité et de laxisme. Ceci, nous l’interprétons comme un acte passif ou, pire, comme une stratégie. En effet, certains dirigeants préfèrent s’entourer d’individus moins compétents pour limiter les oppositions ou garantir une loyauté sans faille. C’était le cas de Aziz, et c’est le cas de Ghazouani aujourd’hui.

Cependant, ce choix comporte des risques majeurs. L’histoire montre que les pratiques de laisser-faire finissent par se retourner contre leurs instigateurs. À long terme, elles minent la confiance des citoyens envers l’État, affaiblissent les institutions et créent un cercle vicieux où l’incompétence devient la norme. Aujourd’hui pour mieux s’instruire, les Mauritaniens inscrivent leurs enfants à l’étranger : au Sénégal, au Maroc ou en France.

Il est paradoxal, pour Abdel Aziz, de s’offusquer de pratiques qu’il a contribué à normaliser. Une telle posture soulève des questions sur sa propre responsabilité morale et politique. Peut-on dénoncer un système dont on a été l’un des architectes ou au moins un complice silencieux ?

Ce type de comportement fragilise davantage l’image de l’homme d’État qu’il fut. En agissant ainsi, Mohamed Ould Abdel Aziz envoie un double message : il reconnaît l’existence des problèmes mais refuse d’assumer la part de responsabilité qui lui incombe. Cette attitude peut être perçue comme une tentative de réécriture l’histoire, une manière de détourner l’attention de ses propres échecs.

 

« La justice est l’un des leviers les plus puissants pour garantir la stabilité sociale. »

 

2)– « La Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a approuvé la création d’un tribunal spécial à Banjul, la capitale gambienne (pour se pencher sur les crimes commis sous le magistère de l’ancien Président gambien Yahya Jammeh », rapporte Le Monde. Est-ce un pas vers le procès de l’ancien homme fort de la Gambie ?

 

Yahya Jammeh, ancien Président Gambien

 

Dans une société fondée sur les principes de droit, la justice occupe une place centrale. Elle représente non seulement un pilier de l’État de droit, mais aussi une garantie fondamentale pour les citoyens, en particulier les victimes.  Cette position, bien qu’évidente en théorie, nécessite une analyse approfondie pour en comprendre les implications pratiques et philosophiques.

Le rôle de la justice et des institutions régionales comme la CEDEAO dans la société

La justice est l’un des leviers les plus puissants pour garantir la stabilité sociale. Lorsqu’un crime est commis, il ne touche pas seulement les victimes directes, mais ébranle également le tissu social dans son ensemble. Il incombe à la justice gambienne et à la CEDEAO de faire un arbitrage, et cela passera forcement par un procès, celui de Yahya Jammeh et ses sbires. L’absence de sanction face à un crime envoie un message dangereux : celui de l’impunité. Cette situation peut entraîner une perte de confiance des citoyens envers les institutions et favoriser un sentiment d’insécurité, comme cela est le cas en Mauritanie.

Une justice efficace repose donc sur deux principes essentiels : la responsabilité et la réparation. Responsabiliser un auteur de crime revient à reconnaître qu’il existe des conséquences à ses actes, Yahya Jammeh ne peut pas échapper à la justice, tant pour lui que pour la société. Il appartient à la justice gambienne et à la CEDEAO d’aller jusqu’au bout de l’affaire. La réparation, quant à elle, vise à redonner aux victimes, dans la mesure du possible, un sentiment de reconnaissance et de dignité.

Ainsi, les décisions qui seront prises (par la CEDEAO) viseront à ne laisser aucun crime impuni, et constitueront une avancée importante. Ceci montre que, même face aux obstacles, les mécanismes judiciaires peuvent et doivent garantir que la vérité et la justice triomphent.

L’importance de combattre l’impunité

Dans de nombreuses régions du monde, l’impunité demeure un problème majeur. Que ce soit en raison d’un manque de moyens, de corruption ou de pressions politiques, certains crimes restent inexpliqués ou non sanctionnés. Cette réalité nourrit un cycle de violence et de désespoir, où les auteurs d’actes répréhensibles se sentent protégés et les victimes abandonnées. On peut toujours citer le cas de la Mauritanie.

Pour briser ce cycle, il est impératif d’instaurer des systèmes judiciaires solides, transparents et indépendants.

Cependant, l’absence d’impunité ne signifie pas une application aveugle de la justice. Chaque cas doit être traité avec discernement, en respectant les droits des accusés et en veillant à ce que les jugements soient fondés sur des preuves irréfutables.

Une avancée salutaire pour les victimes et la société

Pour les victimes, voir leurs agresseurs confrontés à la justice est une étape cruciale dans leur processus de guérison. Cela leur permet de retrouver une part de dignité et de sentir que leur souffrance n’a pas été ignorée. Une société qui ne protège pas les victimes, ou qui banalise les crimes, échoue dans sa mission fondamentale de protéger ses citoyens.

En ce sens, la décision de la CEDEAO de ne tolérer aucun crime impuni envoie un signal fort : elle témoigne d’un engagement à défendre les plus vulnérables et à restaurer un sentiment de sécurité collective. Ce type de démarche ne bénéficie pas uniquement aux victimes, mais contribue également à renforcer la cohésion sociale en réaffirmant l’importance des valeurs communes.

 

« Ce type de gouvernance, bien que parfois déguisé sous un discours de stabilité ou de progrès, n’est rien d’autre … »

 

3)Quel regard portez-vous sur la chute brutale et rapide de Bachar al-Assad, le désormais ancien Président syrien refugie à Moscou, la capitale russe ? La chute de la dynastie al-Assad, après 54 ans de règne sans partage sur la Syrie, resonne-t-elle à Nouakchott ?

 

Bachar al-Assad et son père

 

La gouvernance d’un président qui dirige un pays d’une main de fer, à l’instar de son père avant lui, soulève des questions fondamentales sur la nature du pouvoir, la transmission autoritaire, et le droit des peuples à vivre sous un régime démocratique. Lorsque le pouvoir devient un héritage familial et s’exerce sans limites, il s’éloigne de sa finalité première : servir le peuple. Une telle situation appelle à des mesures fortes, notamment la destitution, l’arrestation et le jugement de ceux qui abusent de leur position pour instaurer un régime de peur et d’oppression.

Le poids de l’autoritarisme familial

L’histoire a démontré que l’autoritarisme, lorsqu’il est transmis comme un héritage familial, a des conséquences profondes et souvent néfastes sur la société. En s’inspirant du modèle paternel, un président peut perpétuer des pratiques de répression, de censure et de centralisation excessive du pouvoir. Cette continuité renforce des systèmes politiques où les droits humains sont bafoués, où les oppositions sont muselées, et où l’intérêt général est sacrifié au profit d’une élite restreinte. Le récent évènement de la Syrie, qualifié de salutaire, réaffirme l’idée que nul crime ne doit rester impuni. Bachar a dirigé ce pays avec une main de fer, comme son père l’avait fait, sans état d’âme. Malgré la vague de changement dans les pays arabes appelé printemps arabe, M. Assad n’a jamais pris conscience : à titre d’exemple, mort par immolation devant la primature du diplômé chômeur et vendeur de légumes ambulant Mohamed Bouazizi le 04 janvier 2011 ce qui entraina la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011, il s’en est suivi celle Moubarak le 11 février 2011 en Egypte, puis Mouammar Kadhafi le 20 octobre 2011, … et celle de Bachar le 08 décembre 2024. Evidemment on peut citer entre autres la fragilisation de son pouvoir par la guerre Russie-Ukraine ou encore Israël-Hamas.

Dans ces contextes, les institutions sont souvent affaiblies ou transformées en outils au service du pouvoir en place. Le parlement, la justice et les médias, qui devraient servir de contre-pouvoirs, se retrouvent sous contrôle, privant ainsi les citoyens de moyens d’expression et de défense. Ce type de gouvernance, bien que parfois déguisé sous un discours de stabilité ou de progrès, n’est rien d’autre qu’une atteinte à la souveraineté populaire.

La nécessité d’une rupture : le rôle de la justice et de la société civile

Face à un dirigeant qui reproduit un modèle de gouvernance autoritaire, la société et les institutions internationales ont un rôle crucial à jouer pour exiger des comptes. La destitution et l’arrestation d’un tel président ne sont pas simplement des actes punitifs ; ils symbolisent une volonté collective de tourner la page sur un régime d’oppression et de restaurer un État de droit.

La chute rapide de Bachar doit servir de leçon pour tous ces pays qui subissent la dictature de leurs dirigeants ; je suis sûr qu’un pays (pas n’importe lequel) suivra.

La justice, dans ce cadre, doit être impartiale et indépendante. Il ne s’agit pas de sombrer dans une logique de vengeance, mais de garantir que les crimes commis sous ce régime – qu’ils soient économiques, politiques ou sociaux – soient jugés de manière transparente. Le jugement d’un président autoritaire doit permettre de :

  1. Rendre justice aux victimes : Cela inclut les opposants emprisonnés, les familles endeuillées et les citoyens privés de leurs libertés fondamentales.
  2. Restaurer la confiance dans les institutions : En démontrant que personne n’est au-dessus de la loi, même pas un chef d’État, la justice renforce la crédibilité des systèmes démocratiques.
  3. Prévenir de futurs abus : Une condamnation juste et exemplaire envoie un signal clair à tous les dirigeants présents et futurs : les abus de pouvoir ne resteront pas impunis.

 

Rédaction de Farafinainfo.com

 

Farafinainfo à l’honneur : Le journaliste Chahreddine Berriah, lauréat