Pourquoi les djéli disent souvent que le Manden se résume à trente personnes ? Combien parmi nous de nos jours comprennent réellement le fond de cette expression ?
Permettant de caser une personne ou un groupe de personnes dans la société, le patronyme est tellement important pour le maninka qu’il l’appela « Si » qui veut littéralement dire ‘’semence’’ ou ‘’souche’’. Et en traînant sur le mot, « Sii » prend le sens de ‘’vie’’.
L’histoire du Manden est riche et resplendissante. Elle est indissociable de l’histoire de ses patronymes. Parler donc de ce vaste Empire médiéval africain revient également à parler de l’histoire des patronymes. En effet, l’histoire des noms de famille du Manden restitue l’épopée du Manden, celle des batailles entre Soundjata Keïta, roi du Manden et Soumaoro Kanté, roi du Sosso. Ce dernier, selon certaines versions, était le fils de Diarra Diarrasso. Diarra Diarrasso était l’un des fils de Kani Diarrasso, avec Bourama Diarrasso. Il eut trois épouses : Kaya Touré, Daby Touré et Sansoun Touré. Cependant, dans la version de Mamadou Kouyaté transcrite par Djibril Tamsir Niane, le père de Soumaoro Kanté s’appelait Sosoe Kémoko.
Mais, d’où viennent réellement les noms de famille du Mandé ? Quelles sont leurs origines ? Les ancêtres mandenka ont-ils toujours eu des patronymes ? Comment les Mandenka sont-ils parvenus aux noms de famille ? Comment les membres d’une famille, d’un clan se distinguaient les uns des autres, avant la venue des noms de famille ?
Beaucoup de personnes pensent que les paronymes sont le fruit du hasard. Ils sont en réalité la résultante des exploits, des lieux de provenance, des totems, des métiers et autres, des premières personnes à les porter. Auparavant, les ancêtres mandenka n’avaient pas de patronymes. Les noms de famille sont apparus et se sont imposés au fil des années. Ils ont été construits.
Il y a des patronymes qui tirent leurs origines des djamou ou jamun en fonction des milieux. Ils sont pour la plupart composés de l’adjonction de deux substantifs : par exemple, Koulibaly vient de « Kourou » qui signifie ‘’tout le monde’’, et, « baly » qui veut dire : entêté, incontrôlable, à qui rien ni personne ne peut faire changer d’avis. « Kouroubaly » signifie ainsi : persévérant, buté. Avec l’usure du temps et la déformation linguale, il a été prononcé : Koulibaly. Un autre exemple, le patronyme Kourouma qui tirerait son origine des vocables : ‘’Kori ma’’ et qui signifie en maninkakan : invincible, celui que nul ne peut atteindre ou dompter.
En effet, au commencement, les ancêtres mandenka mettaient des signes ou indices distinctifs sur leur visage, sur les joues ou sur toutes autres parties visibles du corps, pour non seulement permettre aux membres du même clan de se reconnaître, mais également de se différencier les uns des autres au sein d’un groupe social. Les tatouages étaient ainsi les premiers signes de différenciation dans la communauté.
À mesure que le temps passait, les Mandenka se rendirent compte que les balafres ou signes distinctifs ou les tatouages qu’ils utilisaient avant pour distinguer les familles et les clans, exposaient généralement, en temps de guerre, les sofa ou soldats qu’ils envoyaient comme espions dans les autres royaumes. Ces tatouages et autres marquages indiquaient leur provenance, les empêchaient parfois d’accéder à certaines informations dans le camp adverse.
En outre, les tatouages ne résolvaient pas entièrement les préoccupations. La similitude des signes ou indices créait parfois la confusion entre les personnes et les clans. Pour remédier donc à cela, une autre formule plus adaptée fut échafaudée pour permettre aux clans de se reconnaître, sans pourtant être un handicap pour des besoins d’information dans les camps des ennemis. Les activités des personnes, leurs exploits, leurs métiers, leurs origines géographiques, leurs caractéristiques physiques ou morales, furent ajoutés aux prénoms. Cela permettait ainsi aux sofas, les soldats et espions, de se dissimuler et de se confondre, au besoin, aux populations du camp ennemi. Ce qui n’était pas possible avec les tatouages.
L’origine et la signification de chaque nom de famille sont enveloppées dans des récits que les maîtres de la parole ne cessent de transmettre de génération en génération. Dire par exemple que Condé, Oularé et Mara sont des frères, peut paraitre extraordinaire pour le profane qui vient de découvrir ces communautés. La tradition raconte pourtant que les porteurs de ces trois patronymes sont bel et bien de la même fratrie. Ils sont issus ou sont descendants d’un même ancêtre.
En effet, dans les sociétés du Manden, chaque patronyme a une signification, une origine dont les sources remontent souvent à l’ancien parler maninka. Il recèle toujours une valeur qui exprime l’identité ou les qualités d’une personne, les occupations ou les triomphes de ses ascendances. S’il ne fait référence ni aux prénoms de l’ancêtre ni à l’activité de la personne, il est généralement lié à son totem, ou rappelle ses origines, sa source, son audace, ses exploits ou le pacte qu’il aurait noué avec une autre personne ou avec un esprit de la forêt.
Aucun patronyme n’est le fruit du hasard. Les noms sont tous le fruit d’une circonstance ou se rapportent à quelque événement.
Au nombre d’une centaine, il est très difficile aujourd’hui de construire un répertoire fidèle et exhaustif des noms de famille du Manden. En effet, la dislocation de l’Empire du Mali a entrainé une dispersion des communautés à travers l’Afrique de l’Ouest. Coupés de leur souche et sous la pression de l’environnement linguistique, certains patronymes du Manden ont été travestis, parfois dilués dans ceux de leurs hôtes. Toutefois, on peut estimer à une centaine, le nombre de noms de famille du Manden.
Ceci, suite aux travaux du célèbre inventeur de l’alphabet N’ko feu Solomana Kantè décedé en 1987. D’autres recherches ont aussi permis d’élargir l’éventail de ces noms de famille.
Tiré du livre ‘’Manden Si ou les noms de famille du Manden et autres traditions des mandenkas, Sens, significations et origines’’
Par Sayon Mara, Juriste
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