DOSSIER – Semaine Mauritanienne de l’Indépendance – Journaliste, écrivain & analyste politique, Mohamed Sneiba, qui est tout aussi enseignant, consultant et correspondant de presse, est un fin connaisseur de la scène sociopolitique mauritanienne. Rencontre avec «Sneiba», l’un des doyens de la presse mauritanienne…
La République Islamique de Mauritanie fête ses 60 ans de souveraineté nationale. Qu’est-ce que l’on peut lui souhaiter de mieux pour les prochaines années ?
A la veille de ses 60 ans d’indépendance, la Mauritanie, comme la majorité des États africains, donne l’impression de n’avoir pas su profiter de ce « détachement » de la France. Oui, détachement puisqu’il ne s’agit pas d’une indépendance pleine et entière, au sens économique et politique du terme. La France continue peu ou prou à veiller sur ses « droits » d’ancienne métropole. Alors, ce qu’on souhaite de mieux pour la Mauritanie est non pas de rompre ces liens historiques mais de pouvoir agir en toute souveraineté, de défendre ses intérêts et de travailler pour un meilleur développement dans le cadre d’une gestion démocratique consensuelle.
Quelle appréciation faites-vous de la gouvernance du Président Mohamed Ould Ghazouani depuis son élection à la magistrature suprême ?
C’est un peu risqué de faire le bilan d’une année pour un quinquennat mais le principal acquis de cette gouvernance Ghazouani est l’apaisement de la scène politique nationale. Son approche est faite de soft power alors que celle de son prédécesseur est plus proche du « ça passe ou ça casse ». Il faut dire aussi que le pouvoir est en train d’engranger des points avec le déclenchement d’une enquête au niveau du parlement, puis de la justice, pour sur de grands dossiers économiques de la décennie 2009-2019.
En lisant votre livre «Quand tu ne seras plus là» on se rend compte que vous êtes plus qu’un observateur de la scène sociopolitique de la République Islamique de Mauritanie. On dirait même que vous êtes un visionnaire ?
En réalité, « Quand tu ne sera plus là » reprend le parcours de tous les présidents mauritaniens de Moktar Ould Daddah à Mohamed Ould Abdel Aziz. C’est le cycle des départs et arrivées accompagnés par le « soutien » non pas à un homme mais à un Système. Dans un pays où le pouvoir est encore détenu par les trois forces que sont la tribu, l’argent (le capital) et le savoir (l’élite intellectuelle), le maître mot est : « le président est parti, vive le président ». C’est cette vérité que j’ai tenté de rappeler à AZIZ, et j’espère que Ghazouani en tiendra compte pour ne pas fonder ses espoirs sur une notoriété factice qui ne s’appuie pas sur de réels soutiens.
Quel bilan faites-vous du parcours politique de la Mauritanie après 60 ans de souveraineté internationale ?
Sur le plan international, la Mauritanie marque des points. Elle a réussi plusieurs médiations, a organisé un sommet de l’UA (2016) et un autre de la ligue arabe l’année suivante. Elle entretient de bons rapports avec ses voisins immédiats et maintient sa politique de neutralité concernant la question du Sahara occidentale.
Quel regard portez-vous sur le système éducatif mauritanien ?
J’ai dit une fois que l’école mauritanienne est malade de ses réformes. Tout ce qui est entrepris depuis l’indépendance jusqu’à la réforme de 1999 ne répond, en fait, qu’à des considérations politiques à partir du clivage arabe-français. L’éducation est ainsi un champ de bataille entre nationalistes arabes et négro-africains parce que la question de la langue a son importance dans l’occupation des postes dans l’administration. Cette instabilité faisant passer le système éducatif mauritanien d’une filière à deux puis à une (avec l’enseignement des matières scientifiques en français) et de celles liées à la culture en arabe) a une part de responsabilité dans la baisse continuelle du niveau des élèves. Au bac 2020, le pourcentage d’amis est de 16% alors qu’au brevet, seuls 15000 élèves sur 70000 ont obtenu le diplôme !
Ce système éducatif mauritanien a-t-il des défaillances ? Si oui lesquelles ?
Les défaillances sont celles que je viens de citer, en plus du manque d’infrastructures, de la qualité de la formation des enseignants mais surtout du déséquilibre entre l’école en milieu urbain et en milieu rural. Tous les enseignants cherchent à venir à Nouakchott ou, à défaut, à être dans les villes pour profiter des écoles privées qui leur permettent d’avoir un autre revenu, leurs salaires ne leur permettant pas de vivre décemment.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la presse mauritanienne de l’avènement de la presse privée à nos jours en passant évidemment à la libéralisation des ondes ?
La presse – la presse indépendante – a, dans ses rapports avec la société mauritanienne actuelle – le beau rôle ! Elle use du pouvoir discrétionnaire que confèrent les mots au supposé journaliste pour distinguer ce qui va de ce qui ne va pas, sans que cela s’applique d’abord à la presse elle-même. Evidemment que cela pose le problème de conformité de la praxis journalistique avec ses principes et ses bases. Le rôle véritable de toute presse qui se respecte se résume, d’abord, en mon sens, en trois mots : informer, éveiller et éduquer. La presse indépendante, dans notre pays, est née à la suite de l’avènement de la démocratie, ou, si vous voulez, de ce qui en tenait lieu maintenant que nous venons d’éprouver notre système à travers une « transition » militaire 2005-2007 dont tout le monde ne disait que du bien, d’une « Rectification »-coup d’état, en 2008, dont les répercussions ont été vécues sous forme de crise politique profonde et, enfin, d’une alternance au pouvoir en 2019. Cette presse-là a réalisé, à ses débuts, le seul « succès » de ce nouveau mode de gouvernement, que les faits et les mentalités n’ont pas tardé à transformer en « démo-gâchis » : la libre expression dans les limites d’une législation sourcilleuse. Je pense donc que si la presse ne veut pas perdre le peu de crédit qu’elle s’est forgée en s’éreintant, elle doit balayer, comme on dit, devant sa porte. Une presse critique, même envers elle-même, est la meilleure des choses qui puisse nous arriver aujourd’hui ! Dans cette optique-là, les médias audiovisuels nés de la libéralisation des ondes en 2011 (soit deux décennies après la parution du premier journal indépendant mauritanien), profitent pleinement de cette liberté, alors que les journaux et sites « se donnent » au plus offrant pour survivre.
Interview réalisée par Camara Mamady