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Reporter, témoin des faits

Colère : Tout est prêt pour la sixième dictature (Par Tierno Monénembo)

Il a fallu 9 ans au sanguinaire Sékou Touré pour obtenir ce qu’il cherchait depuis son arrivée à la tête de l’Etat en 1958 : le pouvoir absolu. Son bouillant épigone le fameux lieutenant-colonel qui nous gâche la vie depuis le 05 Septembre 2021 lui l’a eu en une seule petite année. Comment expliquer cette ascension fulgurante ? Par le génie sans pareil de notre colossal légionnaire ou par la colossale nullité de nos élites qui, à la manière des éponges et des limaces, ont décidé depuis longtemps de s’aplatir et d’absorber sans gémir toutes les conneries qui passent.

Convenez avec moi que le génie de Mamadi Doumbouya, personne ne peut y croire et que la faillite de nos gradés et de nos diplômés, elle, est absolument indéniable. Vous ne verrez pas dans toute l’Afrique des intellectuels aussi inconscients et aussi amorphes que les nôtres : aucune idée, aucun idéal, aucune préoccupation historique et culturelle ! Nos grands clercs n’ont d’autres mots à la bouche que vieux tacots, kilos de riz, parcelles et sauce-gombo ! Quant à nos officiers, mon dieu, quant à nos officiers, inutile d’en parler ! En 65 ans d’Indépendance, nous en sommes à notre troisième régime militaire et seulement un misérable coup d’Etat ! Des militaires qui ne font des putschs que contre les cadavres, on en trouve qu’en Guinée ! Des militaires qui ont peur de la mort, on en trouve qu’en Guinée ! Ne parlons pas de nos marabouts qui ne savent rien faire d’autre que tendre la sébile et lécher les mains tachées de sang de nos oppresseurs. Karamokos guinéens, avez-vous entendu parler du remarquable travail abattu par l’imam Dicko au Mali ?

La facilité avec laquelle les dictatures s’installent chez nous s’explique aisément. Quand la catégorie sociale chargée de conduire le destin d’un peuple démissionne forcément, l’Histoire patine. Aligner au pouvoir des hommes aussi catastrophiques que Sékou Touré, Lansana Conté, Dadis Camara, Sékouba Konaté, Alpha Condé et Mamadi Doumbouya c’est le comble de l’idiotie (ou peut-être de la malédiction) et comme nos intellectuels ne ressentent jamais une autre douleur que celle de la faim décidément, nous ne sommes pas sortis de l’auberge.

L’avenir qui s’annonce me semble en effet de la même odeur et du même goût que les périodes les plus sombres de notre triste histoire. En arrêtant ou en exilant les principaux leaders politiques, en interdisant le FNDC et en embastillant ses valeureux dirigeants, Mamadi Doumbouya a réuni dans ses mains tous les leviers du pouvoir. Plus rien ne peut l’empêcher de dicter sa volonté et de mettre en branle sa machine répressive. La Transition que l’on nous monte en épingle n’est que du bluff. La lutte contre la corruption menée par les magistrats aux ordres de la CRIEF, la récupération des biens de l’Etat, le folklorique procès de Dadis Camara, c’est de la poudre aux yeux tout cela, juste pour amuser le bon peuple afin de mener à bout son projet satanique : confisquer le pouvoir pour lui-même ou pour un individu de son clan (c’est ce qu’avait fait Sékouba Konaté lors de l’élection-bidon de 2010).

Sur le papier, nous revenons à l’ordre constitutionnel dans deux ans, sur le terrain, ce sera beaucoup plus difficile pour ne pas dire beaucoup plus glissant. Le futur devient imprévisible quand un seul individu dispose de toutes les manettes de l’Etat. Or, en Guinée, il en a toujours été ainsi : l’irresponsabilité de nos universitaires conjuguée à l’analphabétisme généralisé offrent au premier petit lièvre parvenu au sommet du pouvoir des crocs de tigre et des griffes de lion. Ce qui fait que le pouvoir absolu n’est plus un événement fortuit mais un élément constitutif de nos mœurs politiques. Nous n’avons jamais songé à établir des garde-fous pour dire à nos dirigeants « au-delà de cette ligne, votre ticket n’est plus valable ». D’où les camps Boiro et les massacres du 28 Septembre à répétition.

Mamadi Doumbouya se retrouve dans la même situation que ses horribles prédécesseurs : un chef omnipotent, jouissant à sa guise des énormes richesses du pays et ayant droit de vie et de mort sur ses habitants. Le voilà donc fin prêt notre sixième dictateur ! De nouveau, il va y avoir du sang et des larmes ! Et comme toujours, nos crapauds-brousse seront les premiers à osciller au bout de la corde. Aujourd’hui comme hier, ce sont nos intellectuels eux-mêmes qui fabriquent leurs bourreaux.

Tierno Monénembo, in Lynx