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Dr. Ousmane Sao : « Aucun pays au monde n’est prêt pour faire face au coronavirus »

Grande Interview  (1ère Partie) – Titulaire de deux doctorats, Sao Ousmane est de nationalité mauritanienne et citoyen du monde. Farafinainfo.com a rencontré ce jeune et brillant intellectuel qui est profondément amoureux de l’Afrique pour faire un tour d’horizon de l’actualité brûlante du Continent noir : le Coronavirus, la fièvre du 3ème mandat, les premiers pas du nouveau président de la Guinée-Bissau … Il en parle avec les mots, chiffres et dates.

Présentez-vous à nos lecteurs ?

Permettez-moi tout d’abord avant de répondre à vos questions, vous remercier les administrateurs de farafinainfo.com pour le choix porter sur ma modeste personne.

Je m’appelle Ousmane Sao, titulaire d’un doctorat en Géologie du quaternaire (option géologie de la préhistoire, reconstitution des paléoenvironnements et protection du patrimoine culturel mauritanien) et d’un second doctorat en sociologie politique et relations internationales (Organisation des Unités sociopolitiques, culturelles et juridiques de la population mauritanienne et relations internationales). De nationalité mauritanienne, j’ai fait mes études universitaires à l’Université de Nouakchott puis je suis parti en France pour mes études doctorales. Aujourd’hui, je préside l’association Cadre de Concertation et de Dialogue des Mauritaniens de la Diaspora (CCDMD). Cette association vise à valoriser et promouvoir la culture mauritanienne en France et en Européen établissant et en renforçant le lien de fraternité et d’amitié entre tous les mauritaniens en France et dans le monde. Elle s’est fait le credo de réfléchir sur les grandes questions qui font l’actualité et qui concernent en particulier celles de notre pays, la Mauritanie, afin de comprendre et proposer des solutions structurées et structurantes. Elle regroupe des experts de tous domaines comme dans le social, médical, sécuritaire, littéraire et histoire, et organise des journées de réflexions, conférences, séminaires entre autres, en collaboration avec d’autres associations et instituts spécialisés.

Quel regard portez-vous sur l’actualité sociopolitique de l’Afrique ?

En Afrique, il faut remarquer que depuis 2010, le nombre de guerres interétatiques a beaucoup diminué. Les conflits géopolitiques entre États sont aujourd’hui beaucoup plus rares, mais ce sont des conflits d’origine interne qui se produisent dans le continent. De plus, le risque sociopolitique dépend de la probabilité d’apparition de troubles dans le pays considéré, c’est-à-dire des événements où les divergences d’intérêt entre groupes sont révélées et se manifestent d’une façon plus ou moins déstabilisatrice pour l’économie du pays. En Afrique, les troubles sociopolitiques peuvent prendre diverses formes allant de tensions non violentes (équilibre précaire ou désaccord dans les relations entre groupes de personnes entraînant des risques de conflit, de crise et de rupture) aux cas de guerre totale (conflit armé qui mobilise toutes les ressources disponibles de l’État, sa population autant que l’économie, la politique et la justice).

Pour revenir à votre question, on peut constater que l’actualité africaine reste dominée par trois situations majeures à savoir le terrorisme religieux, la question de la révision de la Constitution et enfin et bien évidement l’actualité relative à la propagation du nouveau Coronavirus (Covid-19) qui nous préoccupe au plus haut niveau actuellement.

Malgré tout cela, on peut dire que globalement la situation sociopolitique du continent africain reste stable et encourageante, mais force est de reconnaître que nous rencontrons des situations difficiles très souvent incontrôlables.Le constat que j’en fais, est que le terrorisme gagne malheureusement du terrain avec la présence de plusieurs mouvements armés avec Al-Qaïda au Maghreb Islamique (actuel Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC)). Ce mouvement né en Algérie en 1998 dont l’idée principale est de chercher à installer en Algérie un Etat Islamique, est marqué par une zone d’opérations qui se propage vers l’Afrique de l’Ouest et le Sahel et concerne le Mali, le Niger, le Tchad et la Mauritanie. Il y a aussi le Mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) créé en 2011 au Mali (devenu Al Mourabitoun) lors de sa fusion avec d’autres mouvements terroristes du milieu dont «les signataires par le sang» de l’Algérien Moktar Belmoktar. Et il existe aussi d’autres Mouvements comme Ansar eddine au Mali (2012), le Front de Libération du Macina (FLM) sans oublier le Boko Haram ou Etat Islamique en Afrique de l’Ouest fondé en 2002 au Nigeria et reconnu comme un mouvement d’obédience salafiste djihadiste en quête à la fois d’un califat et d’une « application intégrale de la Charia ». Ce mouvement, après avoir revendiqué une affiliation aux talibans afghans et à Al-Qaïda, prêtera allégeance à Daesh en mars 2015 pour devenir ensuite Etat Islamique en Afrique de l’Ouest.

Face à cette menace terroriste, les Africains se doivent de mutualiser leurs moyens de lutte au niveau régional et sous-régional. Il est aussi indispensable d’intégrer les populations dans les stratégies de prévention et de lutte car leurs informations recueillies peuvent s’avérer précieuses sur le terrain au profit des forces de sécurité engagées dans cette lutte. Face à cette complexité des racines du terrorisme et de sa propagation,il est primordial d’établir une stratégie globale africaine à l’image du G5 Sahel dans tout le continent. Pour cela, il faut nécessairement penser au-delà des seuls effets militaires, gagner la paix nécessite aussi des succès sur le plan de la bonne gouvernance. Avant tout engagement militaire, il faut réfléchir à une stratégie et fixer des objectifs clairs et globaux pour éradiquer totalement ce fléau qui mine l’Afrique et son peuple. La sécurité passe aussi par le respect des pays donateurs qui, jusque-là traînent les pieds. Les armées africaines ont besoin de matériels et d’équipements pour lutter plus efficacement et durablement contre le terrorisme.

« .. la volonté de certains présidents africains de modifier ou de réviser la constitution de leur pays. »

Notre deuxième point d’actualité majeure est lié à la volonté de certains présidents africains de modifier ou de réviser la constitution de leur pays. Si en 1990, le vent de la démocratie avait soufflé sur le continent africain, aujourd’hui, on peut dire que c’est plutôt celui de la modification des constitutions qui nous préoccupe. Cette révision revêt une dimension importante dans l’évolution du constitutionnalisme africain, non seulement parce qu’elle constitue un élément moteur, mais surtout parce qu’elle démontre certaines conceptions du pouvoir politique dans le continent tout entier. Mais avant de parler de cette question, il est important à mon avis, de redéfinir le mot Constitution. La Constitution d’un Etat représente un ensemble de règles qui régissent l’organisation et le fonctionnement de l’Etat. Ce sont des règles d’exercice du pouvoir, des règles d’attribution des compétences aux organes de l’Etat, ce sont aussi des règles qui structurent un Etat. Toutes ces règles sont les éléments concrets de l’Etat qui couplés avec les droits fondamentaux des citoyens, déterminent les rapports entre citoyens et organes supérieurs de l’Etat.

Le problème de la révisibilité des Constitutions est assez délicat en Afrique. Puisque la Constitution étant considérée comme une loi suprême de l’Etat, et touchant aux droits et libertés fondamentales des citoyens, il faut mettre des gants pour porter atteinte à son intangibilité. En ce qui concerne cette révisibilité, le dilemme est intéressant car d’une part, la négation du droit de révision et l’immutabilité absolue des Constitutions entraînent très souvent un blocage de la vie politique, et exposent à un déphasage de celles-ci par rapport aux réalités politiques, économiques et sociales mouvantes. D’autre part, une Constitution qui n’évolue pas, est une Constitution morte et facile à enterrer. Mais la reconnaissance du droit de révision de la Constitution à tout vent, peut donner lieu à une instabilité constitutionnelle néfaste à la bonne marche de l’Etat.

La troisième actualité concerne la pandémie du nouveau Coronavirus(Covid-19) qui prend une proportion exponentielle aussi bien médiatique que sanitaire. Elle concerne désormais tous les continents. On se retrouve dans une situation de psychose presque mondiale.

L’Afrique est-elle prête pour faire face au Coronavirus (Covid-19) ?

A mon avis, aucun pays au monde n’est prêt pour faire face au coronavirus. Selon les informations reçues, dans le monde plus de 500 000 personnes ont été touchées par le Covid-19 et plus de 22 000 en sont mortes (OMS, 26 mars). Dans plusieurs pays occidentaux, l’épidémie est rapide et sévère et toutes les régions du monde sont touchées par le coronavirus. Ce qui amène les spécialistes à parler de pandémie. Face à cette pandémie, l’Afrique n’est pas en reste et l’idée de savoir que notre continent n’est pas à l’abri nous fait penser au pire des cas même si pour le moment dans la globalité des cas observés, la situation reste sous contrôle. Partout sur le continent africain, les autorités ont commencé à prendre des mesures pour éviter l’installation du virus dans leur pays et empêcher sa propagation. Des mesures restrictives sont prises par certains pays à savoir l’interdiction d’entrée sur le territoire, l’isolement obligatoire, les mesures de détection des symptômes à l’égard des voyageurs venant de l’extérieur. Selon les informations reçues, la situation semble maîtrisée. Les premiers cas sur le sol africain ont été détectés assez rapidement et les enquêtes épidémiologiques pour identifier les contacts des malades sont en cours. Mais en même temps, on est tous d’accord pour dire que les systèmes de santé en Afrique sont faibles et la stratégie mise en œuvre pour l’instant est de détecter les cas au plus tôt et de les isoler. Des mesures appréciables à leurs justes valeurs même si nous savons que l’Afrique vit avec ses réalités culturelles et économiques. Notre devoir est de rester serein et de continuer à sensibiliser les populations africaines à respecter les consignes données et surtout de rester solidaires aux personnes qui en ont le plus besoin.

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Quel commentaire faites-vous de la décision du Président ivoirien Alassane Dramane Ouattara de ne pas briguer un 3ème mandat ?

Cette décision est à saluer car elle permettra à mon avis de ramener le calme et la stabilité dans le pays. En effet, le 5 mars 2020, le Président Alassane Ouattara lors de sa rencontre avec le parlement ivoirien à Yamoussoukro, a décidé de ne pas se présenter à l’élection présidentielle d’octobre prochain. Par cette annonce, il dit vouloir donner la possibilité à des Ivoiriens plus jeunes de poursuivre la modernisation de son pays et d’assurer les conditions d’une passation de pouvoir d’un président démocratiquement élu à un autre pour la première fois dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Surtout nous savons tous qu’il y a quelques années de cela, la Côte d’Ivoire était au bord de la guerre civile.

En Guinée-Bissau, le président «élu» a été installé, mais rien est encore sûr dans ce pays n’est-ce pas ?

Il semblerait que la situation politique actuelle en Guinée-Bissau s’apaise de jours en jours. Depuis son investiture pour la magistrature suprême, le 27 février 2020, le nouveau président Umaro Sissoco Embalo s’est aussitôt mis au travail. Ainsi, le samedi 29 février 2020, dans la matinée, le Président élu a nommé son nouveau Premier Ministre, Nuno Nabian, le candidat arrivé 3ème au premier tour de l’élection présidentielle. Il a fixé son cap avec une tonalité sociale et de réconciliation nationale et internationale, ce qui justifie ses multiples et fructueux déplacements à l’étranger depuis son élection au cours desquels il a rencontré divers chefs d’Etat et investisseurs sérieux en Afrique et dans le monde. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union Africaine (UA) et la communauté internationale lui ont apporté leur soutien indéfectible. Même si rien n’est encore sûr dans ce pays, il a pris une sérieuse avance sur ses opposants.

« … il faut noter que la Guinée d’Alpha Condé a dirigé plusieurs médiations de la CEDEAO »

En République de Guinée, le projet de nouvelle constitution est d’actualité : quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Vous avez eu raison de me poser la question sur la Guinée Conakry, un pays de la sous-région membre de la CEDEAO et qui jouit d’une position géostratégique dans la gestion des crises en Afrique. Il ne faut pas oublier que la Guinée a une histoire exceptionnelle marquée par le Non historique en faveur de l’indépendance choisi par le peuple guinéen et son leader le 28 septembre 1958.

En dehors de ces faits historiques, il faut noter que la Guinée d’Alpha Condé a dirigé plusieurs médiations de la CEDEAO en Guinée Bissau en 2016-2019. En janvier 2017, lors du conflit électoral en Gambie, le Président Alpha Condé n’a pas hésité à se rendre à Banjul pour négocier le départ du Président sortant. Je vous rappelle aussi que lors de sa présidence de l’Union africaine en 2017, il s’était dit disposé à apporter son « intermédiation » dans la crise diplomatique qui opposait le Qatar à ses voisins. Ces actes concrets montrent l’esprit consensuel du Président guinéen.

Mais depuis un moment et comme vous le savez depuis octobre 2019, en Guinée Conakry, la tension n’a cessé de monter suite à l’appel à manifester lancé par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) rassemblant l’opposition et la société civile. Ce Front accuserait le pouvoir en place de manipulation en vue de permettre le Président Alpha Condé de briguer un troisième mandat lors de la présidentielle d’octobre 2020, ce que la Constitution actuelle ne lui permet pas. Contrairement aux affirmations de FNDC, les partisans du Président Condé justifient cette réforme par la volonté de « doter la Guinée d’une Constitution qui réponde aux besoins actuels dont les droits des Femmes, la lutte contre les mutilations génitales féminines, la gratuité de la scolarité, l’écologie, la répartition des revenus de l’État ». D’après les soutiens d’Alpha Condé, la nouvelle Constitution prévoit de réduire les institutions républicaines jugées budgétivores. Ensuite, elle prétend supprimer le poste de Premier Ministre et de créer un poste de vice-président qui sera le dauphin constitutionnel du Chef de l’Etat élu au suffrage universel sous le même ticket que le Président de la République. Une action décrite comme « nécessaire et urgente et à l’écoute du peuple guinéen » selon les termes du Président Condé. Pourtant, si l’on peut s’accorder sur la nécessité de réformes administratives, légales, réglementaires qui sont courageuses et ambitieuses, le contexte politique national actuel offre une autre lecture de l’urgence des autorités à conduire de telles réformes constitutionnelles.

De mon point de vue, le timing de cette révision constitutionnelle ne permet pas d’écarter définitivement toute velléité du Président Condé de briguer un troisième mandat à la tête de la Guinée. Il laisse d’ailleurs lui-même la porte ouverte à cette possibilité en refusant de se prononcer de façon tranchée sur la question, confortant les soupçons exprimés par une grande partie de l’opposition politique et de la société civile.

Que pourriez-vous souhaiter à la Guinée de Samory Touré, Alpha Yaya Diallo, Dinah Salifou Camara, Zégbéla Togba … ?

En tant que Mauritanien et foncièrement Africain, je souhaite à la Guinée tout d’abord la Paix car cette dernière constitue le levier indispensable du développement. Mais cette paix nécessite de la part des Guinéens, du pouvoir et de l’opposition,un engagement sans relâche et un dialogue que les générations d’aujourd’hui se doivent de poursuivre. Sans rentrer dans les considérations politiques, je conseillerais aux leaders politiques de mobiliser les acteurs de tous les secteurs de la société guinéenne pour promouvoir une culture de la paix et de sensibiliser l’opinion publique notamment les jeunes, aux moyens existants pour construire et consolider la paix et la non-violence dans la vie de tous les jours. Dans cette situation particulière, les informations que nous avons, montrent que ce sont principalement les jeunes qui sontles principales victimes. C’est désolant aussi de voir des politiciens utiliser cette force vive de la nation à des fins qui leurs sont propres. Il faut faire attention aussi à la manipulation des uns et des autres. En Afrique et principalement en Guinée, si l’on veut inverser les tendances et rompre avec la culture de la violence, c’est à la jeunesse qu’il faut inculquer de nouveaux réflexes à travers une efficace éducation à la paix, au civisme et au patriotisme. Enfin en Père de Nation, le Président Alpha Condé a une grande responsabilité en posant les jalons d’un dialogue constructif pour réconcilier les Guinéennes et les Guinéens entre eux. Ainsi, il laissera incontestablement une trace indélébile dans l’écriture de l’Histoire de la Guinée.

Faut-il vraiment craindre que le président Macky Sall du Sénégal ne soit atteint par le virus du 3ème mandat ?

Comme vous le savez, le Sénégal a voté le 20 mars 2016, une nouvelle constitution, dans le souci, disent-ils, de mettre à l’abri le pays du traumatisme d’un 3ème mandat. En effet, le Président Macky Sall a soumis à référendum la modification de l’article 27 de la Constitution en ces termes : « La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Le porte-parole du gouvernement a répondu à cette question, « il n’y a pas besoin d’être péremptoire sur la question, il faut s’en référer à la Constitution. Si vous lisez la Constitution, vous vous rendrez compte que les marges de manœuvre pour interpréter sont très minces, pratiquement inexistantes ». Donc voilà tout est dit sauf surprise bien-sûr…

Grande Interview réalisée par Camara Mamady