Farafinainfo.com
Reporter, témoin des faits

Il n’ y a jamais eu de rencontre ni de tête-à-tête entre le président Abdou Diouf et les FLAM.

Par Ciré Ba.

Dans des éléments audios largement partagés, il est fait état d’une rencontre entre le président Abdou Diouf et les Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM) à Dakar pendant les années de plomb. Au cours de cette rencontre qui pourrait être située entre 1989 et 1990, le président Diouf aurait manifesté clairement son intention de soutenir notre organisation et demandé des garanties quant au soutien des noirs mauritaniens à l’armée sénégalaise.

En ma qualité de chef de département communication et porte-parole des FLAM au moment du fait cité, je rétablis la vérité sous le contrôle de tous les membres du bureau national en exil à Dakar entre 1986 et 1992. Mon témoignage, fondé sur ma qualité, les faits réels et vérifiables, valide et complète celui de Kaaw Touré qui m’a remplacé à ce poste en 1992 si mes souvenirs sont précis, après mon départ en France en juillet 1990, et qui a été expulsé du Sénégal le 7 juillet 1999. Ce témoignage vise à lever toute ambigüté quant aux allégations graves selon lesquelles le président Abdou Diouf aurait voulu ou nous a soutenus. Des allégations de soutien distillées, çà et là encore aujourd’hui en Mauritanie, dans les milieux panarabistes prêts à et pour en découdre avec leurs compatriotes noirs et par extension avec le Sénégal considéré comme le prolongement de la question nationale mauritanienne.

Non, nous n’avons jamais rencontré le président Abdou Diouf à la présidence de la République du Sénégal et nulle part ailleurs. Wallah. Il le dit lui-même, à juste titre, dans ses Mémoires publiées aux Éditions du Seuil en octobre 2014. Lisons plutôt le président Diouf à la page 280 «Je n’ai jamais reçu les réfugiés mauritaniens, acte qui aurait été un facteur de conflit entre nos deux pays. C’était surtout une question de principe. En effet, je ne voulais surtout pas apporter mon soutien à des gens opposés à leur gouvernement. Cependant, en leur qualité de réfugiés, ils étaient correctement pris en charge. A l’occasion, mon état-major particulier, ou le ministre de tutelle, les recevait ».

Il poursuit « Il a fallu donc ces malheureux événements de Djawara pour vicier les rapports entre les deux pays, et surtout assombrir les excellentes relations que nous entretenions jusque-là avec le président Ould Taya. S’il n’y avait pas eu à la tête des deux Etats Maawiya Ould Taya et moi-même, la situation aurait été plus grave ». Ceci en dit long sur la posture du président Diouf à l’époque des faits. Il n’hésite pas par la suite à tirer à boulets rouges sur certains de ses compatriotes qu’il qualifie de va-t-en guerre. Citant Dr Hamath Ba et Aly Bocar Kane, membres du comité de suivi, il écrit » Tous les deux, gagnés par la passion qui avait pris le dessus sur la raison, m’ont vraiment accablé. Ils n’étaient pas les seuls va-t-en guerre dans ce contexte de crise. On en comptait un grand nombre » page 283. Il s’abstient tout de même de citer les autres membres du comité de suivi et les autorités religieuses qui soutenaient ce comité.

En réalité, le président Diouf se sentait seul. Il était seul dans sa posture de « capitulation » et s’en justifiera en page 284 dans ses Mémoires « En effet, après le conflit, lorsque tous les esprits recouvrèrent leur calme, nous apprîmes que les forces armées mauritaniennes étaient en réalité bien mieux armées que les militaires sénégalais. J’ai eu la confirmation du soutien de l’Irak grâce à mon ambassadeur à Paris, Massamba Sarré, qui lui-même a eu l’information de l’ambassadeur d’Irak à Paris. Ce dernier, lors d’une rencontre dans la capitale française, après s’être désolé de la situation entre les deux pays frères, lui avait affirmé qu’au cas où il y aurait une guerre entre le Sénégal et la Mauritanie, l’Irak serait du côté de la Mauritanie. La raison en était que ce pays faisait partie de la nation arabe. Il s’agit d’un soutien fondé non pas sur la religion, mais plutôt sur l’idéologie du Parti Baas, à savoir le nationalisme arabe ».

Un aveu étonnamment tardif dans la mesure où ce soutien militaire et multiforme de l’Irak à la Mauritanie se savait bien bien avant 1989, année du « conflit » entre les deux pays et de déportations de dizaines de milliers de noirs mauritaniens au Sénégal. En réalité le président Diouf « pris à la gorge » par les conséquences des ajustements structurels du Fond Monétaire International et contesté par une opposition très populaire avait toujours manifesté une tolérance relative et fluctuante à notre endroit dès notre installation sur le sol sénégalais à partir d’octobre 1986. Il n’avait pas besoin de vagues. Il ne voulait ouvrir sous aucun prétexte d’autres fronts surtout pas contre le régime militaire de Nouakchott dont les forces armées « s’apprêtaient à détruire Saint-Louis et ensuite Dakar » selon lui dans ses Mémoires, page 284. Pour rester au pouvoir, tout doit être lisse.

Fuyant la répression du régime du Colonel Maawiya Ould Sid’Ahmed Taya, c’est le peuple du Sénégal qui nous a accueillis et protégés. C’est ce généreux Sénégal qui a accueilli et protégé les dizaines de milliers de mauritaniens noirs déportés par le pouvoir génocidaire de Nouakchott en 1989. En de nombreuses circonstances, nous avons témoigné notre reconnaissance à l’endroit d’une partie du gouvernement du Sénégal de l’époque, de l’opposition, la classe maraboutique, les députés, la société civile, la presse, les intellectuels, les leaders d’opinion, l’homme de la rue, les familles qui nous ont pris en charge pendant ces longues années de souffrance. Pour autant, nous ne saurons en dire de même du président Abdou Diouf et de son puissant ministre de l’intérieur Jean Collin.

Forts de ces soutiens cités, nous avions entretenu des relations fortes parfois discrètes, fondées sur sur la confiance mutuelle qui ont permis à nos interlocuteurs de mieux connaître la nature du régime et du système d’exclusion qui nous à contraints à l’exil, tandis que s’ouvraient pour nous des portes jusque là fermées. Des portes ouvertes avec bien des pays dont une puissance majeure. Le secret et la confiance qui entouraient ces relations commandent de ne pas en dire plus.

Nous avions eu des opportunités présentées comme crédibles et de moindre mal de participer à un possible changement radical de la donne en Mauritanie. Nous avions fait le choix courageux ou naïf d’inscrire notre lutte à long terme pour l’avènement d’une Mauritanie juste et égalitaire entre ses composantes. Si nous avions épousé l’idée fortement suggérée de la division de la Mauritanie aujourd’hui d’actualité, fondée sur le décret du 8 décembre 1933 selon lequel la frontière entre les deux pays se situe en profondeur en Mauritanie, des moyens conséquents auraient été mis à disposition. Cette question de frontière, un temps posée comme préalable à toute discussion en vue de la reprise des relations diplomatiques avec la Mauritanie, fut progressivement assouplie avant d’être abandonnée.

Les détails de la « réconciliation » des deux pays sont décrits par le président Abdou Diouf lui-même dans ses mémoires, pages 282 et 283. A la baguette, Claude Silberzahn directeur de la DGSE française. La France avait opté pour la normalisation des relations entre les deux pays (rétablissement des relations diplomatiques le 23 avril 1992) et la réouverture de la frontière le 2 mai 1992, l’organisation d’élections en Mauritanie sans tenue de conférence nationale avec la candidature du colonel Maawiya Ould Sid’Ahmed Taya accusé de génocide et qui se retrouve ainsi recyclé.

Cet exercice périlleux de rétablissement de la vérité s’impose et n’est pas un déballage même s’il faut noter pour la précision que deux rencontres officieuses de niveau dont l’importance reste à déterminer ont bien eu lieu à Dakar en 1989 en l’absence du président Abdou Diouf ou de son puissant ministre Jean Collin. Ces rencontres ont porté uniquement sur des questions de stratégies et de volonté imposée de dissoudre les FLAM dans une structure appelée coordination de l’opposition qui devrait être dirigée par des personnalités mauritaniennes respectables en exil au Sénégal et dans un pays d’Afrique australe mais ne se réclamant pas de notre organisation. Ce fut échec et mat. Un autre recadrage avait été produit en août 2014 en duo avec Boubacar Diagana, ancien secrétaire général des FLAM en exil à Dakar pendant ces années de braises et plus tard.

Ciré Ba – Paris, le 21/12/2020