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Reporter, témoin des faits

La Grande Interview : Birome, le fils de Tene Youssouf Guèye revisite une douloureuse page d’histoire de la Mauritanie

Il y a exactement 61 ans, la Mauritanie accédait à l’indépendance – Il est, à la fois, journaliste, observateur de la société mauritanienne, mais surtout le fils de Tene Youssouf Guèye, le très célèbre martyr de la plume en République Islamique de Mauritanie. Ce grand homme de lettres est mort en prison. Il a vécu cette triste histoire familiale dans sa chair. Il, c’est évidemment Birome Guèye. Qui mieux que ce dernier  pour revisiter cette douloureuse page d’histoire de sa Mauritanie natale. La Grande Interview …

Comment vous présenter aux lecteurs su site panafricain d’informations générales, Farafinainfo.com ?

Je me nomme Birome Guèye, je suis journaliste de formation, mais également professeur de français du second cycle. Je suis marié, père de cinq (5) enfants  (Mach’Allah) et je réside à Nouakchott.

Joyeux et bel anniversaire à la République Islamique de Mauritanie, qui fête le de 61ème anniversaire de son ascension à l’indépendance. Avez-vous un souhait à formuler voire un vœu pieux à faire pour les prochaines années ?

Mon souhait le plus ardent pour la Mauritanie, c’est que ce pays panse ses plaies encore béantes notamment le problème de coexistence entre les différentes communautés nationales. Quand j’étais encore jeune élève à l’école Khayar de Nouakchott, nous ne connaissions pas la situation que vit le pays aujourd’hui. Arabes, Pulaars, Soninkés ou autres s’amusaient ensembles et parlaient le même langage sans aucune forme de distinction ou de marginalisation. Nous habitions les mêmes quartiers et avions les mêmes passions (lecture bande dessinées et football). Mais depuis le milieu des années 80, les choses ont changé et un véritable fossé s’est creusé entre les Arabes et les Négro-africains. Le pire a d’ailleurs été atteint lors des années de purge (86-91) à l’endroit de la communauté négro-africaine. Les stigmates de ces années sont encore présents et jusque-là de nombreux dossiers n’ont pas trouvé de solutions par manque de réelle volonté politique. L’ancien Président Sidi Cheikh Abdellahi s’était engagé dans cette voie, mais il a été rattrapé par le coup d’Etat du 08 aout 2008. Aujourd’hui avec les journées de concertation prévues, il est à espérer que cette question de l’unité nationale soit discutée en profondeur et que notamment la lumière soit faite sur la question du passif humanitaire.

Que retenez-vous de ces années de souveraineté nationale et internationale en tant que citoyen mauritanien, journaliste observateur ?

Je retiens que mon pays est en encore en retard sur bien de domaines après plus de 60 ans d’indépendance. Regardez les chiffres du bac 2021 (8% d’admis à la première cession) et vous consentirez qu’il y a un gros problème. L’école publique ne forme plus, et les écoles privées, pour la plus grande majorité, sont des officines de commerce. C’est le cas également pour la santé. Il existe certes de nombreux centres de santé, mais la qualité des soins fournie laisse à désirer. Ne se soignent dans le pays que ceux qui ont des cas très urgents ou bien ceux qui sont démunis (la plus grande partie de la population). La classe moyenne se tourne vers le Sénégal, la Tunisie ou le Maroc alors que les nantis ont le choix entre la Turquie, l’Espagne, la France… La Mauritanie, comme la grande majorité des pays africains, se trouve à la traîne surtout depuis que les politiques d’ajustement structurel du FMI (Fonds Monétaire International) ont été mises en place au lendemain des années 80. Mais encore la mauvaise gouvernance (corruption, dilapidation des biens publics, détournements etc.) continue encore de plomber le pays,  si bien que toutes les politiques économiques se sont soldées par des échecs. La pauvreté est galopante alors que le cout de la vie est hors de portée.

Quel regard portez-vous sur l’histoire sociopolitique de la Mauritanie sans oublier que vous êtes un des enfants du défunt très célèbre écrivain, Tené Youssouf Guèye mort en prison (Que le Paradis soit sa demeure éternelle) ?

Mon regard sur l’histoire sociopolitique, je l’ai déjà évoqué plus haut. Je pense qu’il y une déchirure entre les communautés, et il est manifeste que la communauté négro-africaine est sous représentée dans le pays. Une marginalisation qui est allée crescendo au cours de ces dernières années. Il appartient aujourd’hui au pouvoir d’œuvrer à rétablir un équilibre convenable entre les différentes communautés. Nous devons tous faire en sorte de préserver et consolider la paix sans laquelle rien n’est possible. Et cela passe nécessairement par l’établissement d’une véritable justice pour tous les citoyens du pays. Aucun mauritanien ne doit se sentir étranger dans son pays.

 Tené Youssouf Guèye (Paix à son âme, amine), quel père était-il ?

Il est un peu gênant de parler de son père. Je peux dire que c’était un homme de principe. Il ne se laissait pas marcher sur les pieds et se faisait respecter partout où il passait. Très proche de ses enfants, il ne sortait que très peu de la maison. S’il ne recevait pas ses amis (jeu de dame et discussions), Tène Youssouf Guèye lisait ou faisait les mots croisés du « Monde ». C’est avec lui que j’ai appris à lire, car les journaux, documents et livres foisonnaient. Il suivait de très près notre éducation et se montrait exigeant, voulant que l’on suive ses pas, car il sortait le plus souvent major de ses promotions. Une fois j’étais 4e de ma classe et je m’attendais à des félicitations, mais lui me demandait pourquoi, je n’étais pas le premier. Ainsi cette quête de toujours finir devant m’accompagnait le long de mes études. Je me rappelle encore des envolées lyriques de mon père, citant un à un le nom de mes aïeuls, lorsque j’ai décroché mon bac en 86 et me classait 3e de Nouakchott. Tène était, à la fois, moderne, mais également fortement encré dans les traditions. Il remplissait ainsi convenablement son rôle de chef coutumier. Il se dépensait ainsi beaucoup pour les Kaédiens chaque fois qu’il était sollicité. A Touldé (quartier de la ville de Kaédi) assis sur son pliant, au milieu de parents, amis et voisins, on sentait le bonheur de retourner auprès de ses siens se lire sur son visage. Tene Youssouf Guèye était connu comme un homme généreux qui partageait avec ses semblables tout ce qu’il avait. La maison ne désemplissait pas d’hôtes (de passage ou pour une durée prolongée) et bien souvent au repas, on se serrait les coudes pour se faire une place.

Comment avez-vous vécu son arrestation et son incarcération ?

J’ai très mal vécu son arrestation puis son emprisonnement comme toute la famille. C’était des moments très durs. Même étudiant à Tunis, je faisais souvent des cauchemars. Des moments pénibles d’autant plus que je n’étais pas à Nouakchott, proche de ma famille. Il est difficile d’être privé d’un papa aussi présent dans la famille.

Comment avez-vous appris son décès ?

J’étais presque en fin de vacances, venant de Tunis, quand la terrible nouvelle tomba. J’écoutais de la musique dans le salon à l’étage quand j’ai entendu le cri strident de ma petite sœur. Comme Scotché, je n’arrivais pas à bouger mais arrêtais la musique. C’est ensuite que je l’ai entendue dire «mon père est mort». C’est comme si le monde s’écroulait et je demandais s’il n’y avait pas erreur. Mais à la vue de ma mère en pleurs, j’ai compris que l’effroyable nouvelle était confirmée. Et dès cet instant, la maison ne désemplira plus durant des jours.

Devenir journaliste était-il votre choix ou celui de votre père, qui était un homme de lettre ?

Moi je voulais faire du droit et j’étais intéressé par le droit des affaires ou le droit maritime mais c’est le Ministère de l’éducation qui nous orienta (les lauréats du bac 86) et ainsi j’étais ainsi choisi pour faire du journalisme à l’IPSI de Tunis. Avec mes amis Ba Youssouf, Bâ Aminata et Abdoul Bâ, se furent de très bons moments à l’IPSI (Institut de Presse et des Sciences de l’Information, ndrl).

Quel regard portez-vous sur la presse mauritanienne après avoir travaillé pour plusieurs rédactions et qui travaille pour le compte de la HAPA (Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel) ?

La presse mauritanienne publique n’a presque pas évolué. C’est toujours la langue de bois et on évite d’y toucher tout ce qui peut fâcher le gouvernement. Jusque-là il n’y a pas eu une véritable volonté d’en faire une presse professionnelle, qui peut travailler sans grandes pressions. Quant à la presse écrite privée, c’est la descente en enfer. Seuls 2 ou 3 journaux arrivent encore à sortir régulièrement. La majorité des grands titres d’antan ont soit mis la clé sous le paillasson ou sont dans un état comateux. Pourtant cette presse écrite avait connu de belles années, constituant un véritable contrepouvoir. A la fin des années 90, en dépit de la censure, les journaux privés étaient craints en raison notamment des scandales régulièrement révélés. Mais c’est également cette course effrénée à l’information inédite, au scoop, qui a fait perdre à la presse privée sa crédibilité, car les articles ont commencé à être monnayés. Les titres sont apparus comme des petits pains poussant encore plus la perte de crédibilité de cette presse. Vers les années 2008, il y avait plus de 500 titres répertoriés à l’imprimerie nationale. La presse privée étant alors envahie par une horde d’individus étranger à la profession qui avaient pour unique mobile de se faire un nom afin un de côtoyer les grands décideurs politiques et économiques du pays. Le plongeon était alors inévitable et même de grands journaux ont été emportés, car non seulement la publicité se faisait rare mais quand elle existait c’est des centaines de journaux qui se la partageaient. Le coup de grâce a été donné quand le pouvoir a sorti une circulaire pour demander aux grandes entreprises et institutions de l’Etat d’arrêter les contrats publicitaires avec le presse privée au prétexte qu’une subvention annuelle lui était accordée. Aujourd’hui à la place des journaux fantoches d’antan, vous avez les sites électroniques. Ces derniers ayant l’avantage de pouvoir vivre avec le strict minimum (juste un ordinateur). Plus de siège à louer. Plus de frais pour l’impression ou la charge de personnel. Les dernières enquêtes de la HAPA, ont indiqué une ascension fulgurante du nombre de sites électroniques (plus de 300 aujourd’hui) si bien que la subvention annuelle accordée à la presse privée se résume en un somme dérisoire pour les journaux et grands sites « corrects ». Par contre c’est la java pour certains détenteurs d’un récépissé qui n’ont aucune charge. On avait pourtant fondé beaucoup d’espoir sur la presse audiovisuelle. Mais c’est également la désillusion. Ces institutions fonctionnent le plus souvent à l’improviste et roulent à perte. Le personnel y est instable,  car mal rémunéré ou trainant des arriérés de salaires. Le contenu des émissions laisse à désirer. Il faut dire que la publicité se fait encore rare et ces télévisions et radios ont du mal à attirer les promoteurs privés. Privés de recettes conséquentes, ces média privés vivotent pour l’essentiel.

Peut-on savoir pourquoi vous n’y étiez pas à Kaédi pour la Prière du Pardon organisée par l’ancien Président Mohamed Ould Abdel Aziz ?

En effet je n’étais pas présent lors de prière du pardon organisée à Kaédi par l’ancien président. C’est la veille vers 18 heures qu’un homme m’appelle au téléphone : « c’est vous Birome Guèye, c’est le président Mohsen avec vous. Le Président Aziz va demain à Kaédi et il serait bien que vous y partiez au nom de votre famille. Il va vous recevoir et ce sera l’occasion de lui soumettre vos doléances ». J’étais un peu surpris, car je ne connaissais pas Mohsen qui était à l’époque tout puissant président du Sénat et je ne comprenais pas qu’on me demande de voyager comme ça à la va vite sans avoir avisé mes frères. Après mure réflexion, je décidais de pas y aller car je ne savais rien des contours de cette prière ni qui allait y participer.

La Mauritanie de demain, vous la voyez comment ?

La Mauritanie de demain sera le prolongement de ce qui est fait aujourd’hui. Ce que nous faisons, c’est pour les générations futures. Comme je le disais c’est le bon vivre et la bonne entente entre les communautés qui est à la base de tout. Sans réelle unité nationale, le pays va dans l’incertain. Il faut travailler aujourd’hui pour réconcilier les mauritaniens. C’est le préalable avant toute autre action.

La Grande Interview de Farafinainfo.com réalisée par Camara Mamady