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Reporter, témoin des faits

La question du changement en Guinée ! (Par Soninké Diané)

Le Guépard de Giuseppe TOMASI di Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change… »

Depuis le début années 80, le continent africain, dans son ensemble, a connu de grandes évolutions dans les domaines politique, institutionnel, économique et social. Un grand nombre de pays s’est orienté vers la construction de démocratie pluraliste, avec une politique de désengagement des Etats du secteur productif et la décentralisation de la gestion publique. Dans tous les pays, une société civile émerge et cherche à s’affirmer de plus en plus comme un régulateur important des processus de transformation de la société. Au plan continental, la mutation de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en l’Union Africaine (UA) a matérialisé l’ambition des Chefs d’Etat d’avancer dans la construction d’un avenir commun pour l’ensemble des populations de notre continent. Les populations africaines aspirent de plus en plus à être reconnues comme maître de leur devenir. Elles aspirent à plus de justice, à plus d’espaces d’initiatives et un droit à la mobilité.

En écho à cette situation, qui peut être jugée positive, beaucoup de pays africains deviennent des « poudrières » parce que leur tissu social est miné par la pauvreté, le chômage des jeunes, l’exode, l’émigration, ou la maladie. Un peu partout, des foyers de tension s’allument, se réveillent et s’éternisent, hypothéquant l’existence de dizaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants. La crise se manifeste aussi par un constat de faillite de bon nombre de services publics de base, malgré les appuis constants et renouvelés de la communauté internationale. Le continent africain se trouve ainsi plongé dans une spirale de crises dont les causes interrogent les modes de régulation sociale, politique et économique.

La concomitance de ces deux évolutions a priori contradictoires ­ les crises récurrentes mais aussi le réveil des consciences sociales africaines ­ est probablement l’indicateur que les sociétés africaines sont en phase de transition. Elles doivent donc régler les difficultés et contradictions nées de la construction des Etat­Nations postcoloniaux en acceptant d’assumer les profondes révisions nécessaires aux modes de gestion de l’espace public.

Pour le bon sens, cela appelle une refondation de la gouvernance sur des bases sociales et culturelles renégociées avec les populations et élaborées à partir des expériences propres à chaque société.

En Guinée tout comme ailleurs, le décalage entre les constructions et les dynamiques institutionnelles et les vécus socioculturels revêt une ampleur telle que la légitimité des institutions publiques et de leurs actions méritent aujourd’hui d’être interrogées. La légalité de l’action publique ne saurait exister en l’absence de la légitimité qui est censée la fonder et lui conférer un ancrage durable dans l’organisation sociale. Les guinéens sont devant le défi d’inventer un mode de gouvernance qui leur permettent d’élaborer les réponses spécifiques à des problèmes complexes qui se posent à toute l’humanité.

Plus que des réformes sectorielles et partielles, plus que le placage de modèles institutionnels qui créent plus de problèmes qu’il n’en résout, le processus de transformation de l’Etat et de la société guinéenne appelle à une refondation profonde des modes de gouvernance à toutes les échelles.

La refondation de la gouvernance en Guinée va au-delà de la simple énonciation de pratiques et de règles, généralement tirées de l’expérience des autres continents qui seraient considérées comme les modèles indiscutables de « bonne gouvernance ». Cette refondation demande l’élaboration et la mise en chantier de nouvelles pratiques en matière de gestion publique, fondées sur des valeurs, des référentiels et des principes connus, reconnus et acceptés par tous.

Cela appelle donc, de la part de tous les acteurs de l’espace public, une volonté et une capacité d’ouverture aux autres, tout en s’enracinant profondément dans sa propre culture. Ce qui permet de l’enrichir d’apports extérieurs et de la « remodeler » selon les besoins du présent et les exigences du futur.

L’Etat de Guinée à l’instar des autres Etats africains, s’est abonné de façon effrénée à l’usage du vocable ‘’CHANGEMENT’’ sans pourtant s’approprier les éléments incontournables pour sa conception, sa promotion et sa vulgarisation. Une méthodologie est d’autant plus nécessaire pour la réussite du changement dans notre configuration sociologique actuelle.

La notion de changement recouvre dans la « République » et dans les « Lois » des aspects historique, social, politique et philosophique. L’analyse de ces différents domaines autorise Platon à choisir la politique comme voie et moyen de changement social. Il est vite déçu par des expériences malheureuses. Aussi impute-t-il aux régimes politiques de l’époque tous les maux de la société athénienne.

En effet, chaque régime cherche à changer la société selon son idéal. Ainsi, le changement devient la solution politique. À l’opposé, Platon propose le changement modéré de la société.

Tout cela témoignerait en fin de compte des limites du volontarisme politique : comme le soulignait Michel Crozier en 1979, « on ne change pas la société par décret ». On est dès lors confronté à l’autre vision : celle d’un impact réduit des politiques publiques sur les processus de changement social.

Même lorsqu’elles sont sous-tendues par une volonté d’action sur la réalité sociale, les politiques publiques ne suffiraient pas, en tant que telles, à produire le changement social : sans doute contribuent-elles à faire bouger le tissu social, à modifier les équilibres existants ; mais leur impact resterait en fin de compte limité.

La vision incrémentale conçoit dans cette perspective l’action publique comme une simple action à la marge, procédant par d’imperceptibles modifications, ne faisant qu’accompagner les mutations lentes et progressives qui affectent le milieu social : cette « gestion incrémentale » serait indispensable pour permettre à la société d’évoluer sans à-coups majeurs et sans briser le consensus autour des autorités politiques. Les réformes ont ainsi d’autant plus de chance de passer dans les faits qu’elles s’inscrivent dans la ligne ou le prolongement des évolutions déjà amorcées ; en revanche, celles qui anticipent trop sur ces évolutions ou à plus forte raison les contrarient risquent fort de rester lettre morte.

L’action publique ne ferait dès lors qu’enregistrer les changements sociaux en cours pour les codifier, et éventuellement les accélérer, non pour les provoquer.

En fin de compte, le changement social devrait être conçu comme un mouvement lent, diffus, impliquant une évolution en profondeur des valeurs, des représentations et des comportements sociaux : résultant d’un ensemble de facteurs — techniques et économiques, culturels et idéologiques, tout autant que politique — qui interagissent, il s’inscrirait dans un temps long, contrastant avec le temps court dans lequel se déploient les politiques publiques ; celles-ci n’exerceraient tout au plus qu’une influence indirecte, en contribuant à infléchir les perceptions et les attentes des acteurs sociaux.

Toute politique publique constitue une réponse à une situation problématique : l’action publique suppose l’existence d’un « problème », c’est-à-dire d’une insatisfaction, d’un manque, d’une frustration, qui appellent une intervention pour y remédier ; toute politique est dès lors potentiellement porteuse de changement, dans la mesure où elle vise à corriger un dysfonctionnement social, institutionnel, à atteindre un meilleur équilibre social.

Cette situation problématique ne relève cependant pas de l’évidence : encore faut-il qu’on soit capable de la « nommer » (naming), de la « dénoncer » (blaming), en imputant la responsabilité à quelqu’un, et de « revendiquer » (claiming), en étant prêt à agir pour obtenir réparation ; il s’agit de construire une représentation du problème, qui lui donne corps et le rende politiquement traitable.

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Un travail de problématisation est nécessaire pour identifier le problème à résoudre, en rechercher les causes, localiser les responsabilités, avancer des solutions possibles, en établissant leur adéquation aux valeurs et aux principes sous-tendant l’ordre politique : les problèmes émergent à travers la production de « récits », mettant en scène la réalité et lui donnant sens par l’élaboration de trames causales et de schèmes interprétatifs.

Ce n’est pas parce qu’une politique est intrinsèquement porteuse d’innovation qu’elle est pour autant nécessairement productrice de changement : encore faut-il qu’elle fasse l’objet d’une application effective ; à défaut, le changement restera purement symbolique, vidé de portée concrète.

L’innovation ne sera qu’un simulacre, une apparence, un épiphénomène. Ce passage dans l’ordre de la réalité suppose que soient mobilisés par les pouvoirs publics un ensemble de moyens : un engagement politique fort est indispensable pour lever les blocages, surmonter les résistances des forces hostiles au changement ; et l’implication des services administratifs est requise pour concrétiser les choix.

La mise en œuvre est ainsi le cadre d’une action continue visant à faire intérioriser par les acteurs sociaux de nouvelles valeurs et à infléchir leurs comportements. Cet apprentissage passe par des voies diverses. D’abord, la contrainte, par laquelle certaines obligations de comportement sont imposées sous peine de sanction : les acteurs sociaux sont alors conduits à peser le coût d’une éventuelle transgression ; le renforcement par la loi du dispositif répressif visant à lutter contre l’incivisme, les détournements de fonds publics, l’impunité, la violence en milieu urbain, ce qui peut favoriser une sensible modification des comportements au quotidien. Néanmoins, la puissance normalisatrice du droit ne saurait être surestimée : le recours à la contrainte suscite des réactions de fuite et de rejet qui sont contraires à l’effet recherché.

Aussi les commandements juridiques font-ils souvent place à des techniques plus souples, relevant de l’idée d’incitation : les pouvoirs publics indiquent des « objectifs » qu’il serait souhaitable d’atteindre, fixent des « directives » qu’il serait opportun de suivre, formulent des « recommandations » qu’il serait bon de respecter, mais sans leur donner pour autant force obligatoire ; si norme il y a, elle n’a plus de caractère impératif et son application dépend, non plus de la soumission, mais de l’adhésion des destinataires.

Cette logique d’apprentissage ressort du travail de mise en forme symbolique inhérent à toute politique publique : une politique publique ne se réduit jamais en effet à la construction d’un dispositif et à la mobilisation de ressources ; elle est toujours assortie de la production d’un discours qui la fait accéder à l’existence, lui donne corps et charpente, assure son bien-fondé et assoit sa légitimité.

Or, ce discours agit en profondeur sur le tissu social, en contribuant à l’émergence de nouvelles représentations collectives.

Pris absolument, le changement désigne le passage d’un état à un autre qui peut s’exercer dans des domaines très divers et à des niveaux très divers.

Selon la nature, la durée et l’intensité de ce passage, on parlera d’évolution, de révolution, de transformation, de métamorphose, de modification, de mutation de régression  …

On distingue le changement « endogène », dû à des causes internes (par ex : les révolutions politiques), du changement « exogène », provoqué par des causes externes (par ex : la révolution du téléphone mobile).

Chez les humains, le changement suscite des réactions diverses, allant de l’espoir le plus fou (thème de l’Apocalypse) à la phobie, en passant par le rejet (néophobie, misonéisme).

Les approches cognitives des politiques publiques, qui se sont fortement développées tant en France (Muller, 2000) qu’en Amérique du Nord (Sabatier, Schlager, 2000 ; Béland, 2009) depuis la fin des années 1980, ont cherché à articuler la dimension des idées avec celle des acteurs pour appréhender le changement dans l’action publique.

C’est tout d’abord le cas de l’approche en termes de référentiel (Jobert, Muller, 1987) qui explique le changement d’une politique nationale par un changement de système de représentations comprenant des valeurs fondamentales, des raisonnements et des diagnostics : le référentiel global qui concerne l’ensemble des politiques nationales.

La dimension éthique de la réforme de l’Etat guinéen doit imprimer toutes les initiatives de l’exécutif en vue d’une rupture soft avec les anciennes pratiques de l’administration publique.

Soninké DIANE

Consultant Formateur

Entrepreneur-Engagé pour les causes citoyennes-sociales-développement

TEL : 622 57 48 60