L’admission de la Guinée aux Nations Unies : Une lecture pluridimensionnelle au-delà des querelles mémorielles
L’histoire politique et diplomatique de la Guinée est un domaine essentiel de la construction de l’identité nationale et de la compréhension des défis contemporains. Cependant, elle continue de susciter des débats passionnés, notamment parmi les jeunes générations, qui se retrouvent souvent confrontées à des récits fragmentés et influencés par des considérations partisanes (identitaires). Le plus récent porte sur l’admission de la Guinée à l’Organisation des Nations Unies (ONU) le 12 décembre 1958, éclaté sur les réseaux sociaux. Deux tendances s’affrontent:
- La première attribut le mérite exclusif à Diallo Tely, premier secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), le décrivant comme l’architecte principal de cette intégration.
- La deuxième insiste sur le leadership de Sékou Touré, soulignant que c’est sous son impulsion politique que la Guinée a pu imposer son indépendance et mener une bataille diplomatique efficace à l’ONU.
Ces interprétations antagonistes tendent à cristalliser les divisions, empêchant une lecture sereine et objective de l’histoire. Plus que jamais, il est impératif d’éclairer les nouvelles générations sur cet épisode fondamental, en leur fournissant une analyse rigoureuse et documentée, afin de rehausser le niveau du débat en Guinée et de promouvoir une compréhension partagée des grands enjeux diplomatiques qui ont marqué le pays.
L’objectif de cette analyse est donc de dépasser cette polarisation et d’offrir une lecture approfondie de l’admission de la Guinée à l’ONU, en mettant en exergues les facteurs historiques, les stratégies diplomatiques et le rôle des différents acteurs. En mobilisant des sources scientifiques et les travaux d’auteurs ayant étudié la question, cette analyse vise à fournir une base de réflexion critique, permettant de sortir des polémiques partisanes et de construire une mémoire nationale apaisée et inclusive, mais elle n’a aucune prétention de proposer un travail parfait. Elle vise à lever un coin de voile sur ce débat.
- Contexte historique et enjeux diplomatiques
L’indépendance de la Guinée, proclamée le 2 octobre 1958, fut le résultat du rejet par le « NON historique » au référendum du 28 septembre 1958 initié par le général de Gaulle, qui proposait une Communauté franco-africaine. Ce choix audacieux, perçu comme un défi ouvert à la puissance coloniale, place immédiatement la Guinée dans une position d’isolement vis-à-vis de la France, qui réagit par une série de représailles économiques, politiques et diplomatiques.
Jean Suret-Canale (1962), dans Afrique Noire, Occident et Communisme, souligne que cette rupture brutale entraîne le retrait immédiat des fonctionnaires français, la cessation de l’aide financière et la mise en place de restrictions commerciales. Ce contexte hostile complique considérablement la reconnaissance internationale du nouvel État guinéen, d’autant plus que la France tente d’influencer ses alliés occidentaux pour freiner cette reconnaissance.
Toutefois, comme l’explique Christopher Clapham dans Africa and the International System (1996), la Guerre froide a créé un espace stratégique pour la Guinée, car, elle lui permit de naviguer entre les blocs de l’Est et de l’Ouest afin d’assurer son intégration au sein de la communauté internationale. L’indépendance guinéenne s’inscrit donc dans une dynamique plus large de décolonisation, où les puissances mondiales redéfinissent leur rapport aux nouveaux États africains.
La reconnaissance internationale de la Guinée devient ainsi un enjeu géopolitique majeur, au-delà des querelles bilatérales avec la France. La diplomatie guinéenne doit dès lors activer un réseau d’alliances, mobilisant le soutien des pays africains, asiatiques et de certains États occidentaux pour faire accepter son admission aux Nations Unies.
- L’adhésion de la Guinée à l’ONU
L’adhésion de la Guinée à l’ONU n’a pas été un simple acte administratif, mais une véritable bataille diplomatique marquée par des tensions internationales et des rapports de force entre puissances mondiales. Ce processus met en évidence les jeux d’influence et les stratégies des acteurs impliqués.
2.1. L’Obstruction (tentative) de la France
Pour invalider d’admission de la Guinée à l’ONU, La France avance plusieurs arguments en prétextant que :
- L’indépendance ne garantit pas automatiquement une reconnaissance internationale.
- Un État doit démontrer sa capacité à assumer ses responsabilités diplomatiques à l’international.
- Une adhésion précipitée pourrait créer un précédent dangereux.
Pierre Mélandri (1995), dans La politique étrangère de la France depuis 1945, explique que la France voulait retarder l’internationalisation de la question guinéenne afin de prévenir d’autres velléités d’indépendance dans son empire colonial. Cette opposition se traduit par des manœuvres diplomatiques visant à dissuader certains membres influents de l’ONU de voter en faveur de l’admission de la Guinée.
Cependant, la pression internationale croissante et la crainte d’un isolement diplomatique conduisent la France à s’abstenir lors du vote final au Conseil de sécurité.
2.2. L’influence des États-Unis et l’URSS
Les États-Unis reconnaissent rapidement la Guinée le 1er novembre 1958 sous l’influence du Liberia et du Royaume-Uni, cherchant à éviter un alignement du pays sur l’URSS. Washington perçoit la Guinée comme un test de sa capacité à influencer la décolonisation en Afrique.
De son côté, l’URSS adopte une approche prudente mais stratégique. En soutenant la candidature guinéenne, Moscou cherche à renforcer son influence sur les nouveaux États africains. Raymond Aron (Paix et Guerre entre les Nations, 1962) met en évidence cette logique d’instrumentalisation des nouveaux États indépendants par les superpuissances.
- Diallo Tely et Sékou Touré : Lequel des deux a été décisif dans cette victoire diplomatique ?
Ici, nous cherchons à répondre à la problématique centrale du débat en nous basant sur le statut et le rôle individuel de ses deux acteurs majeurs.
3.1. Qui était Diallo Tely à ce moment-là ?
Diplomate chevronné et juriste de formation, Diallo Tely fut le premier Ambassadeur et représentant permanent de la Guinée auprès des Nations Unies. À ce titre, il a dirigé la délégation guinéenne lors de l’adhésion du pays à l’ONU. Il s’est illustré par un discours vibrant où il a défendu l’indépendance de la Guinée et exprimé son engagement en faveur du multilatéralisme et de la coopération internationale.
Son engagement diplomatique :
- Il a plaidé pour le respect de la souveraineté des nouveaux États africains et leur pleine participation aux instances internationales.
- Il a œuvré pour renforcer les relations entre la Guinée et d’autres nations, notamment les États-Unis et l’URSS, dans un contexte de guerre froide.
- Il a posé les bases d’une diplomatie guinéenne active au sein de l’ONU et des organisations régionales.
3.2. Ahmed Sékou Touré qui était-il ?
Sékou Touré était le président de la République de Guinée et Ministre des Affaires Etrangères, son rôle a consisté de mener une offensive diplomatique pour obtenir la reconnaissance internationale de la Guinée. Pour ce faire il a :
- Envoyé des délégations auprès des grandes puissances (États-Unis, Union soviétique, pays africains) pour solliciter leur soutien à l’adhésion de la Guinée.
- Négocié avec des leaders mondiaux afin d’inscrire la Guinée dans les instances internationales et de garantir son intégration rapide.
Son intervention marquante à l’ONU
Lors des démarches pour l’adhésion de la Guinée à l’ONU, Sékou Touré s’est exprimé avec force sur la souveraineté et l’émancipation des peuples africains. Son discours à l’ONU en décembre 1958 a marqué son engagement pour :
- La reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
- La lutte contre le colonialisme et l’impérialisme.
- Le développement de coopérations internationales équilibrées et non dominées par les anciennes puissances coloniales.
Un acteur-Clé de la transition diplomatico-juridique
L’adhésion de la Guinée à l’ONU nécessitait des procédures juridiques et diplomatiques complexes. Sékou Touré a :
- Supervisé les négociations diplomatiques avec les instances de l’ONU.
- Mobilisé des soutiens auprès des pays membres de l’Assemblée générale de l’ONU pour faciliter l’adoption de la résolution d’adhésion.
- Dirigé l’élaboration des principes fondateurs de la politique étrangère guinéenne, fondée sur l’indépendance totale et la non-ingérence.
Ainsi, l’adhésion de la Guinée à l’ONU en 1958 est indissociable du rôle personnel de Sékou Touré. Par sa vision politique, ses démarches diplomatiques et son engagement anti-impérialiste, il a permis à la Guinée de s’imposer comme un acteur indépendant sur la scène internationale. Il a également ouvert la voie à d’autres nations africaines dans leur quête de reconnaissance et de souveraineté au sein de l’ONU.
En résumé, si Diallo Tely fut l’artisan technique de l’adhésion de la Guinée à l’ONU, c’est bien Sékou Touré qui en fut le principal stratège. D’abord, parce qu’il relevait de Sékou Touré doublement, car étant nommé par lui et son chef hiérarchique en tant son ministre des Affaires Etrangères. De même, sans l’orientation politique et l’engagement international du président guinéen, la mission diplomatique de Diallo Tely aurait été compromise. Le leadership de Sékou Touré permit de structurer une vision cohérente et de mobiliser les soutiens nécessaires à l’aboutissement du projet.
Ainsi, même si les deux figures furent complémentaires, Sékou Touré apparaît comme l’acteur central et déterminant de cette réussite diplomatique. Son habileté à positionner la Guinée sur l’échiquier international et à construire des alliances solides a joué un rôle prépondérant dans l’obtention du soutien nécessaire à l’ONU. Diallo Tely, quant à lui, fut un exécuteur efficace de cette politique, en mettant son savoir-faire diplomatique au service des ambitions définies par la présidence guinéenne.
Conclusion
L’adhésion de la Guinée à l’ONU en 1958 fut un événement historique majeur qui symbolisa l’affirmation de la souveraineté du pays sur la scène internationale. Ce succès ne peut être attribué à un seul individu mais résulte d’une stratégie collective portée par un leadership visionnaire et une diplomatie habile.
Sékou Touré apparaît comme le principal architecte de cette victoire, ayant défini la ligne stratégique et mobilisé les appuis nécessaires à l’échelle internationale. Son charisme politique et sa capacité à inscrire la Guinée dans une dynamique panafricaine et tiers-mondiste furent des éléments déterminants. Toutefois, l’efficacité diplomatique de Diallo Tely ne doit pas être sous-estimée : il fut l’artisan technique de l’adhésion, jouant un rôle clé dans les négociations et l’intégration de la Guinée au sein des institutions internationales.
Cet épisode met en lumière l’importance d’une diplomatie proactive et stratégique pour garantir la reconnaissance internationale d’un État naissant. Il illustre également la nécessité de dépasser les lectures partisanes et ethnicisées de l’histoire pour reconnaître l’apport de l’ensemble des acteurs qui ont contribué à cette réussite.
Enfin, la mémoire de cette admission à l’ONU doit être préservée comme un héritage collectif. Elle rappelle aux générations futures que l’indépendance et la reconnaissance d’un État ne sont jamais le fruit du hasard, mais d’un engagement politique, diplomatique et stratégique soutenu.
L’adhésion de la Guinée à l’ONU en 1958 fut un événement historique majeur qui symbolisa l’affirmation de la souveraineté du pays sur la scène internationale. Ce succès ne peut être attribué à un seul individu mais résulte d’une stratégie collective portée par un leadership visionnaire et une diplomatie habile. En définitive, Sékou Touré apparaît comme le stratège déterminant, tandis que Diallo Tely joua un rôle fondamental dans la mise en œuvre technique de cette victoire diplomatique.
Sekouba MAREGA
Politiste, Analyste politique
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