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Le Grand Entretien avec … Aïcha Janeiro Anne, Curatrice d’exposition «Mémoires en mouvement… »

Farafinainfo.com – Le Grand Entretien avec Aïcha Janeiro Anne – D’origine portugaise et mauritanienne, Aïcha Janeiro Anne est la curatrice de l’exposition «Mémoires en mouvement. Art Contemporain de Mauritanie», Organisée par Casa Arabe et Casa Africa en Espagne, particulièrement à Madrid, à Cordoue et à Las Palmas. Une exposition qui se tiendra tout au long  de cette année 2022.  Elle nous en parle dans ce Grand Entretien …

 

 

Présentez-vous aux lecteurs du site panafricain d’informations générales, Farafinainfo.com ?

Je m’appelle Aïcha Janeiro Anne, je suis née à Bamako, au Mali, d’origine portugaise et mauritanienne. Actuellement, je réside au Sinaï, en Égypte, et je suis la curatrice de l’exposition Mémoires en mouvement. Art Contemporain de Mauritanie, organisée par Casa Árabe et Casa África en Espagne tout au long de l’année 2022, à Madrid, Cordoue et à Las Palmas, dans les îles Canaries. Dans cette exposition, participent onze artistes mauritaniens : Mamadou Anne, Oumar Ball, Zeineb Chiaa, Daouda Corera, Malika Diagana, Béchir Malum, Saleh Lo, El Moctar Sidi Mohamed (Mokhis), Amy Sow, Mohamed Sidi et Moussa Abdallah Sissako.

D’où est l’idée d’organiser à Cordoue en Espagne l’exposition « Mémoires en mouvement. Art contemporain de Mauritanie » ?

Cette exposition est une initiative conjointe de Casa Árabe et Casa África, deux institutions espagnoles qui, entre d’autres activités, promeuvent les échanges culturels entre l’Espagne et les pays du monde arabe (Casa Árabe) et entre l’Espagne et les pays africains (Casa África). Dans le cadre de cette exposition, le but est de contribuer à la connaissance des expressions artistiques les plus contemporaines de Mauritanie, notamment à travers la peinture, la sculpture, la photographie et l’installation. Premièrement, l’exposition a été inaugurée au siège de Casa Árabe à Madrid en février dernier, suivie d’une table ronde avec quatre artistes qui participent à l’exposition, Oumar Ball, Amy Sow, Béchir Malum et Malika Diagana. Après son séjour à Madrid, qui a duré trois mois, l’exposition à était transférée au siège de Casa Árabe à Cordoue, inaugurée le 25 mai, et suivie elle aussi d’une table ronde avec trois artistes participants : Saleh Lo, Zeinab Chiaa et Daouda Corera. En octobre prochain, l’exposition sera inaugurée au siège de Casa África à Las Palmas, dans les îles Canaries, en comptant avec la présence d’El Moctar Sidi Mohamed (Mokhis), Moussa Abdallah Sissako et Mohamed Sidi.

« … les œuvres exposées nous permettent de réfléchir à l’interconnexion entre la mémoire et l’imagination … »

Peut-on avoir une idée des critères du choix des artistes-plasticiens mauritaniens – Saleh Lo, Zeinab Chiaa, Daouda Corera… – dont les œuvres sont exposées ?

La sélection des artistes participants dans cette exposition essaye de représenter, le plus possible, la diversité culturelle de la Mauritanie et de visibiliser la diversité de techniques et thématiques qui sont créées dans le pays actuellement. D’autre part, nous avons pris en compte la diversité du genre, l’inclusion, la qualité des œuvres et leur adaptation au concept thématique de l’exposition, qui explore la manière dont les mémoires (personnelle, collectif ou culturel) se manifestent dans les processus de création dans le mouvement artistique contemporain en Mauritanie. Les œuvres sélectionnées font référence à des souvenirs de l’enfance ou de l’adolescence de ses créateurs, à la vie quotidienne, à des personnages de la mémoire collective mauritanienne ou à divers éléments symboliques et de la pensée qui sous-tendent les traditions populaires, mauritaniennes ou d’ailleurs, entre autres thématiques. On y trouve des références à des traditions populaires telles que la poésie ou la chanson arabe, les contes de la tradition orale africaine, la calligraphie arabe, chinoise ou l’écriture tifinagh, l’artisanat traditionnel touareg ou les objets et éléments de la vie quotidienne. À travers différentes approches artistiques contemporaines, les œuvres exposées nous permettent de réfléchir à l’interconnexion entre la mémoire et l’imagination, mieux entrer dans l’univers culturel mauritanien, en touchant des questions d’actualité tels que le métissage, les processus migratoires, la situation des femmes dans la société, l’environnement ou la récente pandémie.

Pourquoi le choix de l’Espagne ?

L’Espagne et la Mauritanie sont deux territoires extrêmement proches, notamment avec les îles Canaries, qui se situent à environ 800 km de Nouadhibou. Les échanges entre les Mauritaniens et Espagnols datent depuis bien longtemps, et il existe un passé commun qui passe par l’époque almoravide du XIè siècle. Je trouve aussi que les affinités entre la Mauritanie et l’Espagne, beaucoup plus que les enjeux économiques ou politiques, se retrouvent surtout dans leur proximité socio-culturelle.

«Le résultat attendu de cette exposition est l’amélioration de la connaissance mutuelle et le rapprochement entre l’Espagne et la Mauritanie, … »

Quel est le résultat attendu après cette exposition ?

Le résultat attendu de cette exposition est l’amélioration de la connaissance mutuelle et le rapprochement entre l’Espagne et la Mauritanie, en ouvrant des ponts entre les deux pays et des collaborations au niveau de la culture. Personnellement, j’espère qu’après cette exposition, l’intérêt et la connaissance sur l’art en Mauritanie s’intensifie et qu’on y remarque sa valeur, en tant que vecteur de développement humain et économique, comme cela est déjà attesté par beaucoup d’autres pays de la région.

Racontez-nous l’une de vos journées en tant que commissaire de cette exposition ?

Les activités d’un/e commissaire d’exposition, ou curateur/curatrice, sont très variées, en passant par la recherche approfondie, la création des concepts des expositions, le choix des artistes et des œuvres, la liaison entre artistes et organisateurs ou coordinateurs des projets d’exposition, la rédaction des textes explicatifs autour de l’exposition, la bienveillance tout au long du projet sur une multiplicité de détails, etc. Chaque projet est différent, et chaque journée aussi. Dans mon cas, mes recherches ont commencé depuis 2018, à partir d’un travail de recherche à Nouakchott, pendant mes études doctorales dirigées par le Pr. José Miguel Puerta Vílchez, de l’Université de Grenade, en Espagne, après avoir obtenu un Master en Cultures Arabes et Hébraïques, Al-Andalous et le monde arabe contemporain, période durant laquelle j’ai eu l’occasion d’approfondir mes connaissances sur les expressions artistiques actuelles du monde arabe et africain. J’ai été obligée d’arrêter mes recherches doctorales, dû au manque de financement, mais je continue jusqu’à présent à rechercher des opportunités pour pouvoir continuer ma démarche de promotion et dynamisation de l’art contemporain de Mauritanie.

Êtes-vous satisfaite de cette exposition dont vous êtes initiatrice ?

Je suis extrêmement heureuse pour l’expérience en tant que commissaire de cette exposition qui a était initiée, comme j’ai indiqué avant, par Casa Árabe et Casa África. C’est une expérience magnifique, qui me permet d’approfondir sur le très intéressant sujet de l’art contemporain mauritanien, et aussi bien de participer à la diffusion et promotion au niveau international de ses artistes. Aussi, je me sens très chanceuse d’avoir l’opportunité de travailler et d’apprendre avec des professionnels de haut niveau dans le domaine de la culture et l’éducation, comme les coordinateurs de ce projet, Nuria Medina, de Casa Árabe et Juan Jaime Martínez, de Casa África, et toute l’équipe des deux institutions. Les lieux de l’exposition sont magnifiques et sa présentation met en valeur l’extraordinaire travail des artistes mauritaniens. Je trouve aussi que leur invitation et aussi les activités autour des inaugurations ont permis aux artistes participants d’avoir des expériences d’échange et connaissance culturel et artistique, que je considère très fructueuses. À part des échanges et réflexions effectués dans les tables rondes qui ont précédé chaque inauguration, et qui peuvent maintenant être appréciées sur la chaîne YouTube de Casa Árabe, les artistes ont, entre d’autres activités, eu l’occasion de visiter la foire internationale d’art contemporain ARCO à Madrid, et le Centre d’art contemporain d’Andalousie C3A à Cordoue. Dans les activités autour de cette exposition, on y trouve aussi une résidence artistique, soutenue par l’artiste visuel hyperréaliste et abstrait mauritanien Saleh Lo, pendant un mois, au siège de Casa Árabe de Cordoue, sur le sujet du métissage culturel mauritanien. Durant son séjour, il a concrétisé une nouvelle œuvre, Métissage 3, qui se présente désormais dans l’exposition. Suite à sa résidence, cet artiste a aussi offert une séance de formation aux élèves de l’école d’art Mateo Inurria à Cordoue.

« Je suis très fière du travail de Médina Ibrahima Ndiaye, qui se préoccupe pour le bien-être des communautés à Nouakchott et sur la situation de la femme, spécialement de la femme artiste »

Le film «TEKKERE» de Médina Ibrahima Ndiaye a été, également, projeté à Madrid et à Cordoue ! Quel retour avez-vous eu après la projection dudit film ? Que pensez-vous personnellement de ce film ?

Je suis très fière du travail de Médina Ibrahima Ndiaye, qui se préoccupe pour le bien-être des communautés à Nouakchott et sur la situation de la femme, spécialement de la femme artiste, en Mauritanie. Le film Tekkere est un très bon exemple de cela, qui documente son travail, en coopération avec les habitants du quartier de Kebba, à Nouakchott, dans sa lutte pour combattre l’insalubrité. À mon avis, ce documentaire est un très bon exemple de l’impact de la collaboration citoyenne à travers l’art au niveau local, et représente assez bien l’activisme artistique de sa créatrice, qui est quelqu’un, depuis assez longtemps, très active dans la scène artistique et culturelle de Nouakchott.

« … les films d’Abderrahmane Sissako et Med Hondo, qui ont créé de véritables chefs œuvres qui m’ont permis, comme peut-être à beaucoup d’autres enfants de la diaspora africaine, d’avoir une fenêtre unique sur des réalités sociales, culturelles et historiques de l’expérience africaine, … »

Et les films d’autres films mauritaniens, notamment « En attendant les hommes » de Katy Léna N’diaye et « Heremakono » du grand cinéaste Abderrahmane Sissako ? Quel regard portez-vous sur le cinéma mauritanien en général ?

Je considère que le cinéma africain, en général, et le cinéma mauritanien aussi, connaissent depuis longtemps des difficultés au niveau de sa diffusion et visibilité sur le continent et ailleurs, malgré la grande qualité artistique et l’intérêt des créations produites par ses cinéastes. Surtout dans le cas du cinéma mauritanien, je serais toujours émue par les films d’Abderrahmane Sissako et Med Hondo, qui ont créé de véritables chefs œuvres qui m’ont permis, comme peut-être à beaucoup d’autres enfants de la diaspora africaine, d’avoir une fenêtre unique sur des réalités sociales, culturelles et historiques de l’expérience africaine, en Afrique et dans le monde. Des films comme Soleil, O, de Med Hondo ou Heremakono, d’Abderrahmane Sissako – qui ont été aussi projetés à Madrid et Cordoue dans le cycle de cinéma de Casa Árabe, dédié aux expressions artistiques mauritaniennes qui accompagne l’exposition – donnent une visibilité unique des processus migratoires et humanisent des situations très difficiles avec une grande sensibilité poétique. Récemment, j’ai aussi eu l’occasion de visionner Sarraounia, un long-métrage de Med Hondo, qui m’a aussi beaucoup touchée…

La musique mauritanienne brille par son absence ou presque dans cet événement culturel en Espagne, car vous n’avez invité qu’un seul artiste –musicien, Daby Touré ! Et pourquoi ?

Je ne considère pas que la musique soit absente de ce projet, bien au contraire ! Dans l’exposition, on trouve de la musique partout sur la salle, qui compte avec installations audiovisuelles d’Amy Sow, Moussa Abdallah Sissako et Mamadou Anne. Ce dernier, un des premiers peintres contemporains mauritaniens, présente dans l’exposition une série de sept tableaux inspirés d’un conte de la tradition oral soninké, Kané Massiné, qui s’accompagne dans l’exposition de l’enregistrement audio de l’histoire qui l’inspire par son auteur, et aussi d’une chanson composée par Siré Camara, musicien, promoteur culturel et écrivain, qui a recompilé cette histoire par écrit. Dans l’exposition, on retrouve aussi une installation dédiée à l’œuvre Paroles d’un Prosopis de Moussa Abdallah Sissako, un spectacle d’art multiforme, le premier de son genre à Nouakchott, un théâtre musical mélangeant projections visuelles, ombres chinoises, danse, slam et hip hop, qui a compté avec le danseur mauritanien Pap Kle Fall et la Française Florence Dovillez. Sur ce projet, en collaboration avec son créateur, l’exposition présente une installation de documentation artistique organisée en sept chapitres qui insèrent le spectateur dans le concept du spectacle à travers la vidéo, la photographie, l’aquarelle, les citations, et les sept contes de l’album musical produit par Sissako, Paroles d’un Prosopis, qui ont été à la genèse du projet, concrétisé en collaboration avec le collectif d’artistes mauritaniens M-Art, et plusieurs artistes internationaux. On y retrouve aussi dans la salle de l’exposition une installation d’Amy Sow, artiste plasticienne mauritanienne, reconnue pour son approche de la thématique sur la condition féminine, qui se fait accompagner d’une chanson sur salle, Wulango (woulango), Un appel au secours pour la nature, composée et interprétée par le chanteur mauritanien Madani Sy. En se traitant d’une exposition d’art plastique contemporain, je considère que la musique est extrêmement présente. Comme vous avez très bien remarqué, Daby Touré a aussi participé avec un concert au siège de Casa Árabe de Madrid, englobé dans les activités dédiées à la Mauritanie dans cette institution, qui ont aussi compris le cinéma, avec des longs et court-métrages de cinéastes mauritaniens, incluant un documentaire sur la vie de la chanteuse mauritanienne Malouma, Malouma, diva des Sables, réalisé par Cheikh N’diaye.

+Crédit photo Sandra Reinflet

Le Grand Entretien de Farafinainfo.com réalisé par Camara Mamady