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Le Politiste S. Marega : “… une démocratie fragile ou émergente, les forces de l’ordre peuvent facilement …”

REGARD D’UN POLITISTE. Sekouba  Marega répond aux Questions de Farafinainfo.com et revient sur les marquants de l’actualité [politique] de la Semaine écoulée en Afrique spécialement l’investiture de Daniel Chapo, président élu du Mozambique, la demande des leaders des FVG et la crise diplomatique  franco-algérienne. [Actu de la Semaine en 3 Questions]

 

Sékouba Marega, Politiste/Analyste politique

 

« La gouvernance de Chapo commence sous un climat de contestation post-électorale. »

1)– Daniel Chapo, président élu du Mozambique, a été investi“ dans une capitale (Maputo) quadrillée par la police après des mois d’une contestation post-électorale à nouveau meurtrière mercredi (15 janvier 2025, ndlr), que le principal opposant a appelé à poursuivre, exhortant “paralyser” le pays”, renseigne La République des Pyrénées. Le nouveau président mozambicain Daniel Francisco Chapo pourrait-il encore et toujours compter sur les forces de l’ordre pour gouverner ?

 

Daniel Francisco Chapo, Président élu du Mozambique

L’investiture de Daniel Francisco Chapo en tant que président du Mozambique, dans un contexte de contestation électorale violente et d’une capitale militarisée, pose des questions fondamentales sur la capacité et la légitimité des forces de l’ordre comme piliers d’un régime politique. Une réflexion éclairée sur cette problématique implique d’interroger le rôle des institutions, les limites de l’usage de la force, et les implications pour la démocratie mozambicaine.

Les forces de l’ordre : un instrument de pouvoir ou un obstacle institutionnel ?

Dans une démocratie fragile ou émergente, les forces de l’ordre peuvent facilement devenir un outil au service du pouvoir en place, au détriment de leur mission première : assurer la sécurité et protéger les droits des citoyens. Selon Max Weber, l’État moderne se définit par son monopole légitime de la violence. Cela suppose que l’usage de la force doit être légitimé par des institutions démocratiques et contrôlé par l’État de droit. Dans le cas mozambicain, l’intensification de la militarisation à Maputo soulève des doutes sur la légitimité de cette gouvernance.

Ce phénomène n’est pas unique au Mozambique. En Ouganda, sous Yoweri Museveni, ou au Zimbabwe sous Robert Mugabe, l’usage excessif de la police et de l’armée pour réprimer les manifestations a entraîné des crises de légitimité durable. Comme le souligne Diamond (2008) dans The Spirit of Democracy, une telle gouvernance affaiblit les institutions démocratiques en concentrant le pouvoir entre les mains de quelques individus et en négligeant les processus participatifs.

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Un contexte de contestation électorale meurtrière

La gouvernance de Chapo commence sous un climat de contestation post-électorale. Les opposants politiques, probablement soutenus par des factions populaires importantes, ont rejeté la validité des résultats. Ce contexte rappelle la théorie de Ted Gurr sur le déficit d’espérance relative, où les citoyens, percevant un écart croissant entre leurs attentes et la réalité politique, tendent à la révolte.

Un exemple pratique peut être tiré de l’histoire récente du Kenya. Lors des élections contestées de 2007, la dépendance du président Mwai Kibaki à l’appareil sécuritaire a intensifié les violences post-électorales et fragilisé la paix sociale. Cependant, contrairement au Mozambique actuel, une médiation internationale, notamment sous l’égide de Kofi Annan, a permis d’instaurer un dialogue politique.

Un besoin de gouvernance inclusive

Pour qu’un régime survive au-delà des tensions immédiates, il doit élargir sa base de soutien. Mancur Olson, dans Power and Prosperity, insiste sur le fait que les dirigeants qui s’appuient sur une coalition étroite (forces de l’ordre, élite militaire) au lieu d’une base plus large de soutien populaire s’exposent à une instabilité chronique. Dans le cas du Mozambique, continuer à utiliser les forces de l’ordre comme seul levier pourrait s’avérer inefficace à long terme, voire contre-productif.

Le recours systématique à la répression peut également renforcer l’opposition. Par exemple, en Guinée sous Alpha Condé, la répression des manifestations anti-troisième mandat a galvanisé une partie de la société civile et des partis d’opposition, créant une instabilité durable. Dans le cas de Daniel Francisco Chapo, une approche semblable pourrait exacerber la polarisation sociale et entraîner une dépendance chronique à la coercition.

Recommandations et perspectives

  1. Renforcer les institutions démocratiques : Pour sortir de cette crise, Chapo pourrait prendre exemple sur le Ghana, où la confiance dans les institutions électorales et judiciaires a permis une alternance pacifique, même après des contestations initiales.
  2. Engager un dialogue national : Un dialogue ouvert avec l’opposition et la société civile, soutenu par des médiateurs régionaux (Union africaine, SADC), pourrait permettre de rétablir la confiance. Comme l’illustre le modèle sud-africain post-apartheid, l’inclusion de toutes les parties prenantes est cruciale pour stabiliser un régime naissant.
  3. Réformer les forces de l’ordre : Une réforme sécuritaire, en vue de professionnaliser les forces de l’ordre et de réduire leur instrumentalisation politique, serait essentielle. Cela impliquerait une formation axée sur les droits de l’homme, ainsi qu’un cadre institutionnel pour garantir leur neutralité.

En conclusion, la gouvernance par la force est une solution temporaire et périlleuse. Daniel Francisco Chapo, pour assurer sa pérennité politique, doit rapidement se tourner vers des réformes inclusives et démocratiques, en tenant compte des leçons tirées des échecs et des succès dans d’autres pays africains.

« … la Guinée traverse une période d’incertitude politique, comme à chaque transition politique. »

 

2)– “Les Forces Vives de Guinée (FVG) invitent les représentants de toutes les entités membres des Forces Vives à se retirer immédiatement de toutes les institutions de la Transition.” [Déclaration des FVG]. Qu’en pensez-vous ?

 

Depuis le coup d’État du 5 septembre 2021, qui a conduit au renversement du président Alpha Condé, la Guinée traverse une période d’incertitude politique, comme à chaque transition politique. La prise de pouvoir par le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), dirigé par le colonel (devenu Général plus tard) Mamadi Doumbouya, a été initialement ovationnée par une bonne partie de la population, notamment les militants de l’opposition d’alors et les militants et promoteurs de la démocratie libérale, fatigués des « dérives autoritaires » du régime précédent. Cependant, les espoirs d’une transition rapide vers un régime démocratique se sont peu à peu dissipés, en raison de l’absence de calendrier cohérent, clair et précis pour les élections et des tensions croissantes entre la junte et divers acteurs politiques et sociaux.

C’est dans ce contexte que les Forces Vives de Guinée (FVG), qui regroupent des partis politiques et des organisations de la société civile, se sont constituées en une force de contre-pouvoir majeure. Leur récente déclaration, visant à contester la légitimité de la junte militaire au-delà du 31 décembre 2024, illustre une volonté manifeste de rompre avec l’ordre militaire en place. Dans ce cadre, les FVG ont également demandé aux représentants des structures membres des FVG de démissionner dans toutes les instances de la transition. Cette initiative marque une escalade significative dans leur stratégie d’opposition et souligne leur volonté de ne pas cautionner un processus qu’elles jugent illégitime. Cette précision est importante, car elle illustre une stratégie supplémentaire adoptée par les Forces Vives de Guinée (FVG) pour affirmer leur opposition au régime militaire en place. En demandant aux représentants des structures membres des FVG de démissionner de toutes les instances de la transition, elles cherchent probablement à :

  1. Délégitimer les institutions de transition : Ces démissions pourraient être perçues comme un rejet de la légitimité des organes contrôlés ou influencés par la junte militaire, renforçant ainsi leur position en tant que force d’opposition.

L’exemple des forces d’opposition en Birmanie après le coup d’État militaire de 2021 pourrait servir d’école pour la Guinée. Les membres élus du Parlement, regroupés dans le Comité Représentant Pyidaungsu Hluttaw (CRPH), ont refusé de reconnaître la junte et ont appelé à des démissions massives, ce qui a contribué à délégitimer le régime militaire aux yeux de la communauté internationale.

  1. Envoyer un signal fort de désapprobation : Cela marque une rupture claire avec le processus en cours et souligne leur volonté de ne pas cautionner un système qu’elles jugent non démocratique.

En Afrique du Sud, le refus des leaders de l’ANC d’intégrer des institutions sous contrôle de l’apartheid dans les années 1980 a renforcé leur légitimité et accru leur soutien populaire.

  1. Mobiliser l’opinion publique : En prenant cette position radicale, les FVG peuvent galvaniser davantage leurs partisans et inciter une mobilisation citoyenne plus large contre le régime.

La mobilisation tunisienne en 2011 démontre comment des actions cohérentes, accompagnées de slogans clairs et d’objectifs communs, peuvent rassembler divers groupes sociaux pour faire pression sur un régime autoritaire.

  1. Créer une pression internationale : Ce geste pourrait également attirer l’attention des acteurs internationaux, les incitant à intensifier leurs efforts pour encadrer la transition et éviter une escalade des tensions.

La pression exercée par la CEDEAO sur la Guinée lors des crises politiques précédentes, en 2007 et 2009 notamment montre l’impact potentiel d’une mobilisation internationale, surtout lorsqu’elle est renforcée par des actions locales fortes.

Cependant, cette stratégie comporte des risques à forte probabilité, notamment :

  • La perte d’influence directe au sein des instances où les décisions clés sont prises.
  • Le risque de fragmentation interne si tous les membres des structures des FVG ne soutiennent pas unanimement cette initiative.
  • Une réaction potentielle de répression de la part du régime en place, qui pourrait voir cela comme un affront direct.

Dans ce cadre, les FVG pourraient s’inspirer des écrits de Gene Sharp, notamment From Dictatorship to Democracy, pour structurer leur résistance non violente de manière stratégique, en évitant de tomber dans des conflits internes ou des réponses désorganisées. Les travaux de Samuel Huntington dans Political Order in Changing Societies soulignent également l’importance de maintenir la cohésion dans un mouvement de transition, tout en établissant un dialogue avec des acteurs internationaux crédibles.

Pour maximiser leurs chances de succès, les Forces Vives de Guinée devraient concentrer leurs efforts sur les points suivants :

  • Renforcement institutionnel : Travailler avec des experts nationaux et internationaux pour concevoir des textes fondateurs légitimant leurs revendications.
  • Création d’un conseil de transition : Former un organe consultatif réunissant toutes les composantes politiques et sociales pour superviser le processus de transition.
  • Élaboration d’une feuille de route : Prévoir un calendrier électoral transparent et des mécanismes de suivi inclusifs du processus.
  • Partenariat avec des médiateurs internationaux : Collaborer avec la CEDEAO et l’Union africaine et leurs partenaires pour garantir le cadre de dialogue et le respect des engagements qui y seront pris.
  • Formation des citoyens : Organiser des campagnes de sensibilisation sur les droits civiques et les stratégies de mobilisation non violente.
  • Communication stratégique : Déployer une campagne nationale et internationale pour mobiliser l’opinion publique et attirer le soutien extérieur.
  • Mise en place de réseaux locaux : Renforcer les coalitions régionales pour garantir l’unité d’action sur l’ensemble du territoire.
  • Impliquer des observateurs neutres : Faire appel à des organisations internationales pour superviser et valider le processus.

Conclusion

La déclaration des FVG traduit une aspiration forte à un avenir démocratique en Guinée. Cependant, leur succès dépendra de leur capacité à structurer leurs actions autour de principes clairs et d’objectifs réalistes. Une mise en œuvre rigoureuse des recommandations énoncées renforcerait leur crédibilité et ouvrirait la voie à une transition démocratique durable, s’inspirant des succès et des écueils observés ailleurs.

 

« Quand Paris a soutenu le plan marocain d’autonomie, ça a été perçu comme un coup de poignard par l’Algérie, … »

 

3)Les relations entre l’Algérie et la France traversent une période complexe, marquée par des différends diplomatiques et des positions politiques divergentes. Macron et Tebboune ne manquent pas un discours sans s’envoyer des petites phrases assassines ! La reconnaissance par Paris du plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental a ravivé des tensions profondes, soulignant les fragilités des liens entre les deux pays. Une crise inédite entre les deux pays.  Quel regard portez-vous sur cette crise diplomatique franco-algérienne, qui est bien réelle et profonde?

 

Les relations entre l’Algérie et la France traversent à nouveau une tempête. Pas une simple brouille diplomatique, mais une vraie crise, chargée de tensions historiques, d’enjeux politiques brûlants et, disons-le, d’un certain ego des dirigeants des deux côtés. Alors, que se passe-t-il exactement ? Et surtout, comment en sommes-nous arrivés là ?

Un lourd héritage qui pèse encore

Difficile de parler de l’Algérie et de la France sans évoquer l’histoire, cette guerre d’indépendance qui a laissé des blessures profondes, encore visibles des deux côtés de la Méditerranée. Pour l’Algérie, cette période est le fondement de son identité nationale. Mais pour la France, c’est une page sombre qu’elle hésite encore à lire en entier. Certes, Emmanuel Macron a fait quelques gestes, comme reconnaître des crimes spécifiques de l’armée française, mais cela reste insuffisant aux yeux des Algériens. Ils veulent plus que des mots : des excuses claires, une prise de responsabilité pleine et entière.

Cela me rappelle les mots de Pierre Bourdieu, qui disait que les relations postcoloniales sont souvent marquées par un « rapport de domination symbolique ». Ici, cette domination symbolique ressurgit à chaque crise, comme un écho du passé. On sent que les deux pays sont prisonniers d’un récit historique qu’ils n’arrivent pas à réécrire ensemble.

Le Sahara occidental: un point de rupture

Et puis, il y a le Sahara occidental. Quand Paris a soutenu le plan marocain d’autonomie, ça a été perçu comme un coup de poignard par l’Algérie, qui soutient depuis toujours le Front Polisario et le droit à l’autodétermination des Sahraouis. Cette position française, dictée par ses liens stratégiques avec le Maroc, a ravivé de vieilles rivalités dans la région.

Cela me fait penser à la situation avec l’Espagne en 2022. Quand Madrid a changé de position sur le Sahara, l’Algérie n’a pas hésité à suspendre ses relations économiques, montrant qu’elle sait utiliser son poids énergétique pour se faire entendre. Alors, on peut se demander : la France a-t-elle sous-estimé cette capacité de l’Algérie à réagir de manière aussi ferme ?

Des dirigeants qui n’aident pas

Il faut aussi dire que les relations entre Macron et Tebboune ne sont pas au beau fixe. Entre les petites phrases de l’un et les réponses cinglantes de l’autre, il est clair qu’il manque une réelle volonté de se comprendre. Macron, avec ses déclarations maladroites sur la « rente mémorielle » de l’Algérie, a touché une corde très sensible. Du côté de Tebboune, afficher une posture de fermeté face à la France peut aussi être un moyen de renforcer sa légitimité interne, dans un contexte post-Hirak où le pouvoir algérien est encore fragile.

Cela me fait penser à ce que disait Johan Galtung sur la « violence structurelle » : les tensions visibles entre les dirigeants ne sont souvent que le sommet de l’iceberg. Elles révèlent des inégalités, des malentendus et des rancunes plus profondes.

Alors, quelle issue possible ?

On pourrait croire que cette crise est insurmontable, mais l’histoire montre qu’il est toujours possible de rebondir. Regardez l’exemple de l’Allemagne et de la France après la Seconde Guerre mondiale : des ennemis jurés qui ont su, grâce à des gestes politiques forts et à une coopération sincère, devenir des partenaires inséparables.

Alors, pourquoi pas l’Algérie et la France ? Pour cela, il faudra d’abord s’attaquer aux racines du problème. Cela passe par une vraie reconnaissance historique – et pas juste des demi-mesures. Cela passe aussi par un dialogue franc et ouvert, où chaque partie accepte de faire un pas vers l’autre. Et, surtout, cela nécessite des dirigeants prêts à dépasser leur ego pour le bien de leurs peuples.

Conclusion

Oui, cette crise est profonde. Oui, elle est réelle. Mais elle n’est pas une fatalité. Les liens entre l’Algérie et la France sont complexes, faits de douleurs, mais aussi de richesses. Ces deux pays ont un destin lié, qu’ils le veuillent ou non. Et il est temps qu’ils transforment cette relation tumultueuse en une vraie coopération, basée sur le respect et la confiance. Car, au fond, c’est ce que leurs peuples attendent.

 

Rédaction de Farafinainfo.com