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L’Interview-Vérité : Abass Diagana porte son regard sur la Mauritanie & apporte des pistes de solution

Il y a exactement 61 ans, la Mauritanie accédait à l’indépendance –Il est membre fondateur de TPMN (Touche pas à ma nationalité). Il a été arrêté et jeté en prison sous le magistère du Président Mohamed Ould Abdel Aziz. Et ce malgré, il fait cette demande, sans rancune: «Nous demandons à ce que Abdel Aziz bénéficie d’une justice équitable et non d’un règlement de comptes». Quelle grandeur d’âme ! Il apporte cette précision de taille : «Je précise que notre combat était et est contre le système en place, qu’incarne aujourd’hui Ould Ghazouani, de la façon la plus vicieuse.». Il, c’est évidemment Abass Diagana, activiste des Droits humains, qui porte son regard sur la Mauritanie tout en apportant des pistes de solution. L’Interview-Vérité …

Comment vous présenter aux lecteurs (trices) de Farafinainfo.com, site panafricain d’informations générales ?

Educateur / Formateur et *citoyen* activiste des droits humains et des droits à la citoyenneté.

Joyeux et bel anniversaire à la République Islamique de Mauritanie, qui fête le 61ème anniversaire de son accession à l’indépendance. Avez-vous un souhait voire un vœu pieux à formuler pour les prochaines années ?

Une fête pour certains et un deuil pour d’autres. Une fête d’indépendance est censée unir les citoyens d’un pays; malheureusement, en Mauritanie, depuis quelques décennies, on assiste à une fête d’indépendance souillée par les évènements qu’on connait. Rien n’est fait de la part des gouvernants pour unir le peuple et faire émerger le patriotisme ; de l’autre côté, chez les victimes, ils ont du mal à s’entendre sur une même formule, bénéfique à tous et qui nous permet d’avancer sur ce dossier, c’est-à-dire les uns ont accepté une indemnisation, et les autres réclament toujours justice ; et pour nous autres, tant que le gouvernement ne prend pas son courage et s’attaquer à ce problème dans le fond, ça sera chaque année du bis repetita. L’hymne national est *conçue par et pour* une seule communauté, dans sa langue et ses instruments musicaux.

Mon souhait c’est que ce jour devienne un jour de fierté pour *tous* les enfants de la République.

Que retenez-vous de ces années de souveraineté nationale et internationale en tant que citoyen mauritanien et militant des droits humains ?

C’est toute une histoire ! En effet, ce qu’on peut retenir c’est qu’en moins de quinze ans, nous sommes arrivés à créer notre propre monnaie ; ce qui est louable et nous a permis d’être indépendants par rapport à nos voisins ouest-africains. Mais, avec le temps, on a assisté à une dépréciation progressive de notre monnaie ce qui a entrainé progressivement une hausse générale des prix et du coût de vie. Ceci peut être dû à l’absence de compétitivité de nos entreprises et du secteur de développement local. Or, nous avons besoin qu’il y ait plus de compétitivité pour que les investisseurs s’intéressent à notre pays ; et pour cela, il faut un environnement socio-économique adapté. Il faut une administration moderne, un régime fiscal attractif, une justice moderne, et des infrastructures adaptées. Aujourd’hui, beaucoup d’investisseurs tournent le dos à la Mauritanie à cause de l’absence de ces indicateurs.

Quel regard portez-vous sur l’histoire sociopolitique de la Mauritanie ?

La situation politique est très instable. Le président Messaoud Ould Boulkheir, chef de parti d’opposition (APP, Alliance Populaire Progressiste, ndlr) est allé jusqu’à demander la démission du Président de la République Mohamed Cheikh El Ghazouani. Les manifestations sont réprimées, les regroupements sont interdits, la restriction des libertés publiques est de plus en plus grandissante, les journalistes, les bloggeurs, les activistes et les lanceurs d’alertes marchent avec une épée Damoclès au-dessus de la tête crescendo. Le népotisme, le trafic d’influence et le clientélisme connaissent un regain. L’appareil judiciaire toujours inféodé est à la solde d’un clan, d’une certaine élite.

La liberté d’expression est au plus bas, car même les conférences de presse sont interdites.
La justice sociale promise par le Président Ghazouani lors de la campagne présidentielle a été une chimère ; tous les recrutements et toutes les nominations continuent à suivre la même logique, à savoir *le copinage et le cousinage politique*. Les marchés publics sont octroyés aux hommes d’affaires issus *de la* tribut du Président ou de son clan, etc.
Aucune question pour une vraie cohabitation nationale n’a reçu d’oreille attentive

Qu’est-ce que l’on peut souhaiter de mieux pour les prochaines années ?

L’Etat de droit : 

    – Aujourd’hui, il y a une diabolisation systématique de toute tentative de rapprochement des peuples

      –  L’arrêt de l’exclusion systémique des populations d’origine africaine, surtout s’agissant de cette lancinante question d’état civil à caractère biométrique

  • L’application stricte des lois criminalisant l’esclavage, sans complaisance.
  • Le règlement du passif humanitaire.
  • Mettre fin à l’expropriation des terres des populations habitant au Sud, sur la vallée.

Quelle lecture faites-vous de la gouvernance de Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, Président de la République Islamique de Mauritanie ?

La situation est catastrophique ! D’ailleurs, on a l’impression que c’est juste une continuité du régime précédent, et ceci dans tous les secteurs, surtout l’état civil, l’éducation, la santé et la justice

 Ghazouani mérite-t-il un second mandat, si jamais il est candidat à sa propre succession ?

Non et non, pour la simple raison que l’arrivée au pouvoir de Mr Ghazouani avait suscité un grand espoir au sein de la jeunesse qui espérait un changement profond à travers les jalons qu’il avait commencé à poser, à savoir la lutte contre les malversations, l’impunité et le trafic d’influence, c’est-à-dire de tous les maux qui ont tant paralysé le pays durant ces soixante dernières années, par la nomination de technocrates qui vont se pencher sur ces dossiers, et créer une Mauritanie nouvelle dans laquelle l’ensemble de ses fils pourront s’y retrouver. Plus de deux ans aujourd’hui, l’ensemble de ce rêve est passé aux oubliettes, et nous sommes revenus au vieux temps et aux vieilles habitudes où corruption, gabegie et copinage politique ont refait surface.

Est-ce que vous comprenez les ennuis judiciaires de Mohamed Ould Abdel Aziz, ancien Président de la République Islamique de Mauritanie ?

Dans ce dossier, il n’est pas le seul à être cité, mais lui seul est privé de liberté. Peut-être un deal politique, je ne sais pas, ce qui est sûr il y a trop de non-dits, on continue et on préfère toujours semer le doute dans la tête des Mauritaniens. Ce qui parait être normal est qu’il y ait une justice pour l’ensemble des filles et fils de ce pays. Il y a plusieurs mauritaniens qui croupissent en prison, qui ont juste été accusés et qui n’ont jamais eu la chance d’être jugés, d’autres qui auraient pu voir leurs peines réduites, mais faute de justice, ils vont purger injustement des peines imaginaires sur des faits moins graves.

Nous étions arrêtés arbitrairement par la police politique d’Aziz avant qu’il nous jette en prison. Le courage et la détermination de nos avocats et l’engagement des organisations sœurs et des populations conscientes ont fait que nous avons rapidement recouvré la liberté  Malgré cela, nous demandons à ce que Abdel Aziz bénéficie d’une justice équitable et non d’un règlement de comptes.

Je précise que notre combat était et est contre le système en place, qu’incarne aujourd’hui Ould Ghazouani, de la façon la plus vicieuse.

Le Mouvement TPMN (Touche pas à ma nationalité) est toujours d’actualité ou une histoire ancienne, si oui que faites-vous concrètement ?

Le mouvement est toujours d’actualité, car nous accompagnons tous les jours des victimes d’apatridie ; nous dénonçons, par les moyens dont nous nous disposons comme vous le faites à travers votre journal très lu, la politique du génocide biométrique qui dure depuis plus de 10 ans. Nous sommes au cœur de toutes les coalitions et tous les mouvements de la société civile qui luttent contre le régime en place, car nous croyons profondément que seules les alternances peuvent y arriver…

Le dossier du regretté Lamine Mangane, où en êtes-vous exactement ?

Une plainte *a été* déposée, mais la justice mauritanienne juge qu’elle n’est pas importante pour s’y pencher. Un enfant a été tué à bout portant lors d’une marche pacifique ; nous faisons tous les ans une commémoration et nous comptons déposer la plainte au niveau sous-régional et international.

Il semblerait que vous êtes aussi un artiste-comédien et acteur de théâtre ?

J’aime l’art et la culture, mais également le sport que vous n’avez pas cité (Rires) ; je suis également un sportif, ce que vous avez oublié de citer. Pour ce qui est du théâtre, que je continue à m’y intéresser, et j’imagine d’où vient cette question (Rire), c’est dommage que ça ne fait plus partie du programme scolaire.

En effet, je fais partie de la première promotion expérimentale de l’enseignement des langues nationales au niveau primaire ; mon attachement à la culture et/ou aux cures vient de loin, à travers feu mon père (que son âme repose en paix) qui m’a fait découvrir les cultures africaines à travers son expérience et son engagement. J’ai ensuite approfondi cette partie à travers la lecture et la pratique du théâtre.

Je suis engagé au niveau associatif notamment des associations et organisations culturelles et sportives.

L’Interview –Vérité de Farafinainfo.com réalisée par Camara Mamady