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Reporter, témoin des faits

Mariame Kane : «Le score que la CENI, nous a attribué, ne reflète en rien les résultats que les citoyens nous ont donnés»

Femme militante engagée pour les causes justes et nobles, membre de la Coalition Vivre Ensemble (CVE), Mariame Kane a battu campagne pour le candidat Kane Hamidou Baba à l’élection présidentielle mauritanienne du 22 juin 2019. Dans cet entretien, elle revient sur cette élection et tire des enseignements  

Quel regard portez-vous sur les résultats de l’élection présidentielle de juin 2019 ?

C’est un double honneur de répondre à vos questions en mes qualités de membre de la Coalition Vivre Ensemble (CVE), qui a participé victorieusement à cette élection présidentielle mauritanienne du 22 juin 2019 et de femme militante engagée pour une Mauritanie juste, apaisée et égalitaire entre ses composantes, entretenant des relations de bon voisinage avec les pays limitrophes.

Comme tous les Mauritaniens, nous avons assisté impuissants à un hold-up électoral de la volonté du peuple, qui a exprimé dans les urnes son rejet du pouvoir militaire. Les électeurs sont allés massivement voter pour l’opposition malgré les intimidations et les menaces de Mohamed Ould Abdel Aziz, président sortant, qui a promis le chaos si son dauphin Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani n’était pas élu. Alors que la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), qui lui est inféodée, n’avait pas terminé le dépouillement des résultats sur l’ensemble du territoire national, qui montraient clairement sa défaite très lourde, le Chef de l’Etat sortant et son dauphin se sont empressés de proclamer leur « victoire » à l’arraché. Ils ont arrêté un dépouillement qui donnait gagnant notre candidat de la Coalition Vivre Ensemble, Docteur Kane Hamidou Baba et Biram Dah Abeid. Ces deux candidats sont, selon le verdict des urnes, qualifiés pour un second tour, qui était inévitable. Tout le monde sait. Il s’agit là d’un coup d’Etat électoral et d’un coup militaire permanent.

L’opposition avait-elle un autre résultat que celui proclamé par la CENI et confirmé par le Conseil constitutionnel pour revendiquer sa victoire à cette élection présidentielle ?

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Les résultats contestés (par les 4 candidats de l’opposition), proclamés par la CENI affiliée au pouvoir sont les suivants : Mohamed Ould Ghazouani 52% ; Biram Dah Abeid 18,58% ; Sidi Mohamed Ould Boubacar 17,87% ; Kane Hamidou Baba 8,71% ; Mohamed Ould Maouloud 2,44% et Mohamed Lemine Mourteji El Wafi 0,40%. Ces chiffres sont naturellement confirmés par le Conseil constitutionnel. Ils ne reflètent en rien les résultats que nos concitoyens ont donnés à l’opposition en général. Soucieux d’apporter des preuves de cette mascarade, la Coalition Vivre Ensemble a compilé les résultats de plus de 93,76% des procès verbaux. Résultat, notre candidat Kane Hamidou Baba a obtenu à lui tout seul 27,47% soit trois fois plus que les résultats annoncés par cette CENI. Si on ajoute les vrais résultats obtenus par les autres candidats de l’opposition  cette élection présidentielle; le calcul est simple: il y a un deuxième tour comme je l’ai annoncé plus haut et élimination du candidat du pouvoir. C’est clair. Le score que la CENI, nous a attribué, ne reflète en rien les résultats que les citoyens nous ont donnés, nous en sommes certains et ce n’est pas pour rien que les forces de l’ordre se sont attaqués à notre siège et détruit notre matériel au moment où nous préparions notre recours devant le Conseil constitutionnel, c’est vous dire que tout cela était préparé depuis que l’un des candidats a annoncé sa victoire quelques heures avant la fin du dépouillement des bulletins.

Cette élection présidentielle n’était-elle pas perdue d’avance par cette opposition ?

Elle était plutôt gagnée d’avance par l’opposition, qui a su se préparer avec quatre candidats soutenus chacun par des coalitions de partis. Coalition Vivre Ensemble par exemple, regroupe plusieurs partis politiques, plus d’une dizaine d’organisations et des personnalités influentes de la société civile autour d’une plate-forme nationale pour « apporter leur pierre à l’édification de la nouvelle Mauritanie, une Mauritanie rénovée, dans le cadre d’un Etat moderne qui rassemble, protège et promeut les valeurs d’honneur, de fraternité et de justice. » Notre Candidat a, pour cela, publié une lettre contenant cent vingt six (126) propositions pour gouverner autrement autour des questions suivantes : unité nationale et cohésion sociale, consensus politique, justice et libertés publiques, croissance et emploi, initiatives en faveur des jeunes et femmes, gouvernance, économie numérique, politiques sectorielles, agriculture, élevage et pêche, environnement, industrie, mines et pétrole, commerce, tourisme et artisanat, hydraulique, énergie et transport, culture et loisirs, relations extérieures. Ces coalitions répondent à une offre politique des populations, qui ont réclamé dans leur grande majorité, cette unité au sortir des législatives jumelées aux municipales de septembre 2018 marquées par un « vol à grande échelle » et une razzia honteuse du pouvoir et des partis satellites. Les jeunes sont d’ailleurs descendus massivement, mains nues dans les rues affronter les forces de l’ordre pour réclamer le respect de la volonté populaire. Ils n’ont pas eu peur de l’armée déployée en nombre avec des chars dans la capitale. L’armée avait encerclé les quartiers pauvres et à majorité noire de Nouakchott. 255 jeunes ont été arrêtés, certains jugés à des peines fermes. Ils ont été soumis à de terribles tortures physiques, un cas de mutilation avait fait la une dans les réseaux sociaux.  Malgré l’absence de transparence et de garanties pour un déroulement normal de ce scrutin, l’opposition, en phase avec les électeurs, a décidé de participer à cette élection pour la gagner et elle l’a gagnée. Elle sait les entraves faites par le pouvoir pour la mousser  pratiquer la politique de la chaise vide c’est à dire le boycott qu’elle a pratiqué par le passé. C’est en réalité, le pouvoir militaire qui a perdu en crédibilité. Lui qui a refusé la présence d’observateurs internationaux indépendants comme ceux de l’Union Européenne.

L’emprisonnement de certaines grandes figures de l’Opposition mauritanienne n’était-il pas une stratégie maligne de déplacer le débat de la contestation des résultats de cette élection à la demande de libération de ces leaders ?

L’arrestation de figures de l’opposition – comme Samba Thiam, ancien pensionnaire de la prison mouroir de Oualata et cadre dirigeant de la CVE, du journaliste Seydou Boubou Camara et Ahmedou Ould Wediaa (qui ont été libérés) – était une manœuvre dilatoire pour déplacer la contestation. Le pouvoir militaire cherchait coûte que coûte à assurer sa propre succession. Ce régime, défait dans les urnes, avait déplacé le curseur de provocation sur le dangereux terrain ethnique et racial après le saccage du siège de la CVE en ne ciblant dans sa répression sauvage que de jeunes noirs et  en arrêtant de paisibles citoyens du Sénégal, du Mali, de la Gambie … des ressortissants de l’Afrique noire qu’elle a accusé faussement d’avoir participé aux manifestations de l’opposition. Il avait expulsé des ressortissants sénégalais. Cette pratique n’est pas sans nous rappeler les tristes événements de 1989, qui ont vu des dizaines de milliers de citoyens noirs mauritaniens déportés au Sénégal et au Mali. Face à ces dérives, la CVE avait exigé la libération de tous les prisonniers politiques et la levée de l’état d’urgence.

Entretien réalisé par Camara Mamady