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Reporter, témoin des faits

Soninké et Hélène Diané : Interview croisée d’un célèbre couple de militants

Ils sont tous deux acteurs majeurs du développement en Guinée. Ils sont mari et femme. Ils, ce sont Soninké Diané et Hélène Benjamin. Dans cette interview croisée accordée à Farafinainfo.com, leur expérience vous montrera qu’aimer n’est pas seulement se regarder l’un l’autre, mais regarder ensemble dans la même direction. Mieux, ils se laissent marcher sur les pieds, disons plutôt sur la langue. Rencontre avec ce couple de militants modèles …

Comment pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Soninké Diané : Je m’appelle Ibrahima Khalil Diané, communément appelé Soninké Diané.  Je suis un entrepreneur, mais aussi un consultant dans le domaine de la formation visant le renforcement des capacités. J’ai une ONG et j’accompagne plusieurs initiatives dans le cadre du développement du pays.

Hélène Benjamin-Dainé : Je suis Madame Diané, née Hélène Benjamin, administratrice et responsable financière d’une société de la place. Je suis la présidente – fondatrice de l’ONG, Protection Femmes et Filles de Guinée (PFFG), qui se bat pour les droits des femmes.  Je suis aussi membre initiatrice d’une plateforme dénommée ONG Synergie.

                       «… Il y’a une société civile beaucoup plus politique et une autre formée par d’autres ONG humanitaires»

Quel regard portez-vous sur la société civile en Guinée ?

S.N : Je porte un regard croisé sur la société civile guinéenne, qui se bat à sa façon.  Je suis tenté de dire qu’il y’a deux sociétés civiles en Guinée. L’une est engagée et prend des positions très politiques. L’autre, qui est humanitaire et social, se bat pour le quotidien des citoyens.  Donc voilà ma remarque. La société civile se bat énormément, mais elle n’est pas réellement prise en compte et est presque prestataire des organisations internationales. Car l’Etat guinéen ne les accompagne pas, qui font un travail magnifique dans le cadre du développement local, de l’éducation citoyenne et la promotion des droits des femmes et des enfants. Ce qui est énorme en termes d’investissement humain, mais il n’y a pas de retour. Et pour cause, elles finissent par être des prestataires des organisations internationales voire de la classe politique.

H.B-D : Je dirai que nous avons une société civile divisée : il y’a une société civile beaucoup plus politique. Et une autre formée par d’autres ONG humanitaires. Moi, je suis de la frange de la société civile humanitaire. Effectivement, nous souhaiterions être prises en compte par les Gouvernants et être concertées quand il le faut.

                      « … la société civile doit être un vecteur de paix, de rassemblement, de rapprochement des parties.»

Que dites-vous à ceux et celles, qui disent que la société civile n’existe plus en Guinée ?

S.N : La société civile existe hein. Vous l’avez forcément constatée. Mieux, elle fait beaucoup d’efforts en termes du développement de notre pays.  La question de visibilité de certaines ONG se pose par rapports aux grandes plateformes, certes, mais, elles existent dans ce pays et font un travail remarquable. Le CNOSCG (Conseil National des Organisations de la Société Civile de la Guinée) est la première grande plateforme des ONG du pays et a une expérience de plusieurs années à son actif. Il y’a tant autres ONG, comme celle de Madame (PFFG), qui ont une visibilité sur le terrain. J’avoue qu’il y’a un excès du débat aujourd’hui, qui amène les acteurs de la société civile à se prononcer sur les enjeux politiques du pays. C’est leur droit, parce que nous sommes tous des citoyens de ce pays, mais il faudrait faire attention pour ne pas tomber dans les vices de la politique politicienne. Certes, il est très noble que nous nous prononcions sur les questions politiques du pays, avec beaucoup de retenus, mais il ne faut pas militer dans les partis politiques et de ne pas non plus prendre des positions politiques. Quand il y’a une crise, la société civile doit être un vecteur de paix, de rassemblement, de rapprochement des parties.  Notre travail fondamental, c’est d’amener l’Etat à respecter son engagement social. Le contrat social qui le lie aux gouvernés. Notre devoir également, c’est de faire savoir aux citoyens qu’ils doivent respecter l’Etat. Donc l’Etat doit être un partenaire pour nous permettre de l’accompagner dans ses initiatives et non un adversaire. Les agréments que nous avons, c’est l’Etat qui nous les donne. Autant dire qu’il nous confie une partie de son pouvoir, donc en retour nous devons servir cet Etat avec des valeurs républicaines.

H.B-D : Oui, la société civile existe bel et bien en Guinée comme l’a dit M. Diané. Certaines plateformes, telles que CNOSCG et PCUD, se font entendre comme l’a dit Monsieur Diané. Je dois reconnaître quand même que la PCUD (Plateforme nationale des Citoyens Unis pour le Développement) est devenue plus politique qu’humanitaire. D’autres plateformes se battent encore. Je pense que notre société civile est monopolisée par certaines plateformes, qu’on entend beaucoup plus et sont concertées dès fois quand il y a des activités humanitaires.

                     «Je pense que la société civile doit accompagner le gouvernement pour la mise en œuvre de sa politique»

Quel diagnostic évoquez-vous en première intention ?

S.N : Si j’ai un diagnostic à faire, c’est de déterminer le cadre juridique et institutionnel de la société civile aujourd’hui, qui est un enjeu important de la conception de nos Etats. Elle a son mot à dire. De plus en plus, elle se fait ressentir donc il faut trouver un cadre normatif pour qu’elle puisse contribuer au mieux au développement de nos pays. Je ne vous apprends rien en disant que dans pas mal de pays déstabilisés aujourd’hui, on passe par des acteurs de la société civile. Vous avez le cas du Burkina Faso avec le fameux «Le Balai Citoyen» et «le Mouvement Y’en a marre» au Sénégal, qui sont un tandem très politique. Ils peuvent amener à déstabiliser le pays. Et nous avons vu où ils ont conduit le Burkina Faso, c’est vrai que Blaise Compaoré est parti, mais le Burkina Faso est en train de disparaître. Pour cause, nos Etats doivent repenser le fonctionnement des ONG, qui doivent être au service du développement. Pour moi, la société civile, ce sont des valeurs du partage, de solidarité et d’entraide, qui sont propres à l’Afrique.

H.B-D : Je pense que la société civile doit accompagner le gouvernement pour la mise en œuvre de sa politique. C’est ce que nous pouvons faire, parce que nous ne pouvons pas être des adversaires des autorités publiques. S’il y’a des choses qui ne vont pas, c’est à la société civile de faire des propositions à l’Etat et de l’accompagner pour la bonne mise en œuvre du programme politique gouvernementale.

            «J’avoue que j’ai des inquiétudes par rapport à leurs démarches, mais je respecte avec galanterie du fait qu’il y’ait des contradictions, mais pas une contradiction avec violence …»

Quel est votre sentiment sur les différentes manifestations du FNDC (Front National  pour la Défense de la Constitution) ?

S.N : C’est important qu’il y’ait des voix contradictoires dans le débat démocratique. Je pense que c’est important que des acteurs disent qu’ils doivent défendre une constitution. Je respecte leur position, mais je ne respecte pas du tout le rejet de l’autre et la violence dans la démarche.  Nous sommes tous  des citoyens d’abord : homme politique, ministre de la République et acteurs de la société civile, mais la citoyenneté n’est pas que juridique. Notre conception de la citoyenneté n’est pas qu’avoir la carte d’identité, qui fait de nous des citoyens, mais ce sont des valeurs de justice, de solidarité, d’entraide et de paix, qui déterminent le citoyen. J’avoue que j’ai des inquiétudes par rapport à leurs démarches, mais je respecte avec galanterie du fait qu’il y’ait des contradictions, mais pas une contradiction avec violence, une contradiction à menacer les citoyens. Quand la société civile demande aux citoyens de rester à la maison, demande aux sociétés minières de fermer, à l’aéroport de fermer et demande même à l’armée à une insurrection, moi, j’avoue que çà, c’est autre chose. Il faut que l’Etat agisse dans une démarche citoyenne. L’Etat doit les écouter, les ramener à un cadre plus légal que tomber dans les invectives, dans les propos insurrectionnels que je ne respecte pas du tout.

H.B-D : Je dirai juste deux mots : dialogue et concertation

Quel conseil avez-vous à prodiguer à la jeunesse Guinéenne et Africaine ?  

S.N : Si j’ai un message à faire passer à la jeunesse africaine et guinéenne, c’est de nous ressaisir et de nous mettre au travail. La nation a besoin de tous ses fils et de toutes ses filles. La jeunesse est le moteur de la conception d’une nation, donc la Guinée compte sur sa jeunesse. Cette jeunesse doit être éprise des valeurs d’éducation, des valeurs citoyennes, des valeurs républicaines. Bref, celles africaines tout en respectant bien sûr le standard international.

H.B-D : Vu que moi, je me bats pour le droit des femmes, mon message sera à l’endroit des femmes et des jeunes filles. On a besoin d’éduquer et de scolariser les jeunes, parce que l’avenir, c’est la jeunesse. Ces enfants ont besoin d’aller à l’école, les filles ont besoin d’être scolarisées, mais pas de les donner en mariage précoce, en mariage forcé. Le développement d’un pays passe forcément par les femmes donc j’appellerais les femmes et les filles à se mobiliser pour défendre leurs droits. A la jeunesse de retenir, qu’on a besoin de paix, car sans elle, il n’y’a pas développement.

Interview croisée réalisée par Camara Mamady