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Reporter, témoin des faits

Tribune : Soutenons et protégeons Samba Thiam, soutenons les principes

Les clameurs du «discours de Ouadane» se sont évanouies cédant la place aux interrogations. Qu’adviendra-t-il des mots? Que restera-t-il de cette « invocation rituelle », que sont devenus les appels à l’unité nationale, des exhortations à «dépasser les survivances des injustices», à «rompre définitivement avec les préjugés et les stéréotypes» et à en «apurer les discours et les comportements»? Les mots survivront probablement. Les actes ne suivront pas. Perdureront les comportements et les pratiques de toujours. On sait à quel point ils sont à rebours des incantations «ouadaniennes».

Les faits sont têtus

Ils demeureront ce qu’ils sont, résisteront et finiront par disqualifier totalement les incantations. C’est qu’ils sont, et de loin, de meilleurs révélateurs de la réalité profonde d’un pays, du pays, et du visage démasqué de ceux qui le régissent : un pouvoir évoluant en circuit fermé, fait d’entre-soi, fondé sur l’exclusion, le racisme, les discriminations, les pratiques éliminationnistes, d’invisibilisation et d’effacement des «indésirables». Des pratiques anciennes et ancrées qui persistent avec une implacable constance à harceler et à frapper toujours les mêmes.

La communauté et le mouvement négro-africains mauritaniens en sont la cible désignée et permanente. Les haalpulaar en ou ful6e sont de cette cible le cœur. Tous sont relégués au rang de parias et sont boudés par l’action et la parole publiques. Le discours de Ouadane ne pouvait faire exception. Il n’a pas fait exception. Le lire attentivement suffit pour s’en persuader. Qui sont donc identifiées à travers ces «franges qui ont permis de venir à bout des conditions naturelles difficiles»? A qui songeait le chef de l’Etat quand il vante ceux sans les « efforts légendaires » desquels « la cité n’aurait pas vu le jour et n’aurait pas survécu et résisté aux aléas du temps » ? Il n’y a d’ailleurs aucun mal à célébrer ceux qui le méritent. Bien au contraire. Encore faut-il les nommer. Ce serait tellement mieux. Comme tout discours, surtout quand il se veut porteur de récit réputé national, celui de Ouadane est situé. Il l’est au sens strict du terme : topographique. C’est tout.

Et c’est ce qu’a compris Samba Thiam écrivant très simplement : « j’ai lu le discours de Ouadane. Il ne me parle pas ; Il ne nous parle pas» et désignant ses vrais destinataires : «il semble s’adresser aux Haratine-Abeid». Nous y voilà. A ce stade, une précision s’impose. Elle est loin d’être superflue car veillent les censeurs sans scrupules et en mal de polémiques intéressées. La précision est typographique. Avez-vous observé que dans le texte de M .Thiam, les mots Haratine et Abeid sont séparés par un tiret , un signe distinctif, censé tout naturellement distinguer? Il n’y avait, à dire vrai, pour qui est honnête, dans le propos aucune équivoque, aucun jugement de valeur, a fortiori péjoratif. Juste l’énoncé d’un fait. Pourquoi alors les réactions qu’il a suscitées? Qui a sonné l’hallali, lancé la chasse à courre et déclenché la curée ciblant nommément un homme, un dirigeant politique?

Indexer clairement le dirigeant politique Samba Thiam, c’est l’exposer dangereusement à la vindicte populaire

Décréter (à tort de surcroît) que cet homme est à lui seul l’ennemi juré d’une communauté qui, comme toutes les communautés humaines, peut receler des extrémistes, des maximalistes, c’est l’exposer et exposer ses proches à des risques. Qu’est-ce qui peut donc bien expliquer ou justifier le départ que l’on dirait concerté de tirs au bazooka dans la même direction? D’où vient la belle synchronisation qui fait se coordonner des acteurs qui, d’ordinaire, ne font pas cause commune? Comment, en clair, expliquer l’alliance de suprémacistes et racistes maures avec un leader autoproclamé, fut-il de seconde zone, de la communauté et de la cause haratines? Précisons à toutes fins utiles que cette communauté, pas plus qu’aucune autre composante nationale, n’est en tant que telle concernée par les présents questionnements. Cela devrait aller sans dire mais au point où nous en sommes, cela ira forcément mieux en le disant. Et c’est triste. A qui la faute? Principalement aux amateurs de débats inutilement incendiaires.

« Droit de réponse aux propos graves du président des FPC». Tel est le titre dramatisant à souhait d’un article surjouant l’indignation et dont le signataire est réputé pour n’avoir ni retenue ni pondération. Son texte d’une violence aussi inutile qu’incompréhensible impute mille et un griefs au dirigeant des Forces Progressistes du Changement (FPC) dont celui et, en fait le seul explicité, d’user d’un « qualificatif irrespectueux à l’adresse de toute la communauté Haratine» et «de traiter toute la communauté Haratine de Abeid». Vous avez bien lu : toute la communauté Haratine! Et de poursuivre, menaçant à l’égard du président Thiam: «Osera-t-il nous sortir qu’il ignorait le sens et la différence entre ces deux noms, dont l’un est le contraire de l’autre». «Haratine veut dire affranchi alors que Abeid veut dire esclave». Nous y revoilà. Aussi curieux que cela puisse paraître, il est donc reproché à Samba Thiam, de la part de  celui-là même dont le combat contre cette pratique ignoble est le credo, d’avoir décrit (et non « traité ») d’« esclaves » ceux qui, de manière ignoble, sont considérés et traités (cette fois le mot est approprié) comme tels par certains de nos compatriotes.

Le sens de la stigmatisation est bizarrement inversé. On ignorait que dire d’un dominé que c’est un dominé, d’une victime de discrimination que c’est une victime de discrimination, c’était la « traiter» ou l’insulter. Et pourtant ! «Au nom de quoi Samba Thiam continue de vomir publiquement la communauté Haratine»? Rien évidemment n’accrédite cette accusation absurde dans le texte incriminé. Il suffit de s’y reporter. Une fois encore, curieux raisonnement que celui qui considère que nommer des dominés, des victimes, des exclus, des asservis et par là même dénoncer les dominations, l’exclusion, l’asservissement d’êtres humains, ce serait donc «vomir» les intéressés. Les arguties sémantiques servant de bouées auraient-elles plus d’importance et de pertinence que la réalité de la domination? Faisons abstraction de la distinction établie par M. Thiam lui-même. Devrait-on considérer que le simple fait d’être « affranchi » efface par lui-même ipso facto la domination en tant que rapport, le mépris, les représentations et la chaîne des séquelles générées dérivant du statut antérieur? Dans ce cas, quel est l’objet du combat des différents mouvements haratines d’hier et d’aujourd’hui?  N’est-ce pas une tentative de minorer le combat nécessaire mené notamment par nos compatriotes haratines que d’exagérer des nuances renvoyant davantage à des statuts formels, de relativiser la réalité et les mutations du joug subi?

Le combat contre l’esclavage, la chosification de l’homme, ses séquelles, quels qu’en soient les auteurs et à quelque communauté qu’ils appartiennent, doit être mené par et au sein de toutes nos composantes nationales car il est tout simplement le nôtre. Le signataire de l’article au vitriol regrette que, «au lieu de se féliciter», Samba Thiam « exprime clairement son mécontentement vis-à-vis d’un discours du chef de l’Etat qui dénonce la discrimination tribale qui frappe une frange importante de la population mauritanienne». Comme si tel était l’objet des objections de M.Thiam. Qu’elle est curieuse, cette injonction à «se féliciter» et donc à féliciter le puissant de l’instant ! Serait-ce la vraie raison de la colère? L’outrecuidant M. Thiam a osé ne pas « se féliciter» du discours de Ouadane. Crime de lèse-majesté!

Dans quel but et pour quel gain? Le supprimer, le jeter dans la corbeille et vider celle-ci 

Retenons au passage que, dans sa verve, le «polémiste » a, sans s’en rendre compte, donné raison à celui qu’il attaque quand il accole le mot « tribal» à discrimination. Est-il besoin de préciser que «tribal» et «national» relèvent de deux échelons différents? Et que si le chef de l’Etat a fait le choix de dénoncer des «discriminations tribales » c’est bien qu’il assume celui de s’adresser prioritairement à un segment de la population à ce sujet. On notera curieusement que Samba Thiam est accusé délibérément et allègrement de glisser vers les «Haalpoulaaren» (c’est l’orthographe choisie par l’intéressé) entendus globalement comme communauté dont les « adages féodaux» ne portent que mépris éternel et irréductible des haratines. Il est également question d’ «excitation brutale ethnicisée » pour qualifier le propos de Samba Thiam (accusé pourtant par ailleurs de ne représenter que lui-même) en réponse au discours de Ouadane. Double globalisation alors même que le texte est signé du seul Samba Thiam. On aurait voulu créer des tensions intercommunautaires qu’on ne s’y serait pas pris autrement.

La logique de l’amalgame et du mensonge est en branle avec tous les risques de dérives qu’elle comporte et que comporte toute tentative de communautarisation de divergences politiques. Dans quel but et pour quel gain? La fuite en avant atteint sa vitesse de croisière quand sont brandis en guise de menaces à l’égard de Samba Thiam des textes dont une loi réprimant les «pratiques esclavagistes». L’outrance et la démesure atteignent leur comble. Samba Thiam fait figure d’esclavagiste. On touche le fond.

Le débat public mérite mieux. Il doit, il devrait être régi par des règles, s’inscrire dans un cadre et surtout respecter une certaine éthique. Tous les coups ne sont pas permis. On doit «viser» les idées et non la tête de ceux qui les émettent car viser la tête c’est tirer pour tuer. Quant à allumer la mèche de la division et des tensions entre nos communautés, c’est prendre le risque de l’irréparable. Merci d’en prendre conscience alors qu’il est temps.

Boubacar Diagana et Ciré Ba – Paris, le 25/12/2021