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Reporter, témoin des faits

Yero Gaynaako : «Une grande partie de la population mauritanienne est toujours exclue et traitée comme des citoyens… »

DOSSIER – Semaine Mauritanienne de l’Indépendance –Artiste-rappeur mauritanien qu’on ne présente plus, Yero Gaynaako, de son vrai nom Yero Abdoulaye Sow, est un artiste-musicien engagé, qui se préoccupe du bien-être de ses compatriotes. Rencontre avec  «Minen Tèye Yero»,  un artiste-militant qui porte la voix des sans voix

La République Islamique de Mauritanie fête ses 60 ans d’indépendance. Quels seraient vos vœux pour les prochaines années ?

Mon premier vœu serait de demander justice pour les 28 soldats pendus à Inal, la nuit du 27 au 28 novembre 1990, pour honorer leur mémoire tout en faisant face aux doléances des victimes : devoirs de vérité, justice, réparation et mémoire pour que de choses pareilles chose ne se reproduisent plus jamais en Mauritanie. Je souhaite aussi que la Mauritanie puisse faire face à son histoire, de s’accepter et d’élever tous ses enfants sur un pied d’égalité, comme je le disais dans ma chanson «Allégorie de la Caserne». Pour une paix durable, il faut une justice équitable que tous les fils de notre pays puissent se réunir autour d’un idéal et décident de leur avenir et l’avenir de leur pays, sinon le mal, qui ronge notre pays, restera incurable.

Quelle lecture faites-vous de l’histoire sociopolitique de ces 60 années ?

60 ans après notre souveraineté internationale, nous ne sommes pas autosuffisants. Nous sommes très loin d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, même en légumes. Je pense sincèrement que la Mauritanie a pris un faux départ à Aleg. 60 ans après notre soi-disant indépendance, une très grande partie de la population mauritanienne est toujours exclue et traitée comme des citoyens de seconde zone. En 2020, on parle encore et encore de l’esclavage et le racisme à l’encontre des noirs. Cela se manifeste chaque jour, notamment dans les nominations. Depuis 1978, nous n’avons connu que des successions de coups d’Etat militaires. Et malheureusement, ils ont, tous, écrit leur histoire en lettres de sang: génocides physiques et biométriques, déportations, etc. Voilà l’histoire sociopolitique de la Mauritanie, en miniature, des 60 dernières années.

Quel regard portez-vous sur la scène hip-hop mauritanienne aujourd’hui ?

Le hip-hop mauritanien a beaucoup évolué grâce à ses talents, la créativité et les initiatives de ses différents acteurs. Malheureusement, rien n’a été mis en place par les pouvoirs publics pour permettre à ces jeunes d’exploiter leur potentiel artistique et de vivre leur art. Et comme toujours, il faut connaître quelqu’un pour trouver et s’ouvrir la porte. Malheureusement, le rap mauritanien est en train de perdre son côté conscient et revendicatif en suivant les tendances festives pendant que les thématiques liées au quotidien du Mauritanien sont ignorées. Mais je garde quand même l’espoir voyant ces jeunes talentueux: BRMS, Authentique, Force Mind pour ne citer qu’eux. Une nouvelle génération de rappeurs mauritaniens, qui monte progressivement en puissance.

Qu’est-ce qui a vraiment changé depuis que vous vous êtes installé en Europe ?

Waaaw, beaucoup ! Les voyages et rencontres m’ont beaucoup enrichi et permis de voir mon pays sous un autre angle. Artistiquement, j’ai beaucoup appris. De plus en plus, je gagne de l’expérience avec le Liveband. Ce groupe m’a permis de jouer dans (beaucoup) de nombreux grands événements avec de bons cachets. Ce qui n’était pas possible avec ce que je faisais auparavant avec le même engagement et la même passion. Oui, beaucoup de choses ont changé. Au pays, je traînais avec beaucoup de maladies. Aujourd’hui, Dieu merci, je suis en bonne forme. Certains disent que j’ai changé, mais j’étais juste malade. Je suis père de famille. Et mon fils vient de fêter sa première année. Oui, c’est un grand changement, beaucoup de bonheur, une lourde responsabilité qui repose sur mes épaules et forcément des priorités. Oui, oui, beaucoup de choses ont changé.

On peut toujours vous appeler Yero Minen Teye, si oui pourquoi ? 

Oui bien sûr ! Minen Tèye, c’est mon travail, c’est une étape dans laquelle, j’ai fait ce que j’avais à faire, même si cette page est tournée. Les sacrifices, les mélodies et l’encre de ma plume y resteront indélébiles. J’ai fait Minen Tèye et non le contraire, le mieux serait de dire Minen Tèye Yéro lolll.

Quel est l’état de la musique mauritanienne aujourd’hui ?

La Mauritanie est un pays, qui regorge de plusieurs sources musicales grâce à sa diversité, mais jusque-là, les choses ont du mal à décoller à cause du clientélisme et du favoritisme dans tous les domaines. Les artistes-musiciens n’ont aucune protection, aucune assurance. Et ils ne profitent guère des subventions étatiques depuis des décennies.

 Quel regard portez-vous sur l’ensemble de votre carrière ?

Vous savez, il est difficile de parler de carrière me concernant, je suis issu d’une société conservatrice où je ne devrais pas chanter, mais j’ai réussi quand même à le faire. Pour moi, la musique était juste un moyen pour m’exprimer, car je n’avais pas d’autres moyens. Avec le temps, j’ai convaincu des sages, des marabouts, des jeunes,… qu’on peut faire de la musique, qui sensibilise, revendique et éduque loin des clichés. Je suis fier de tout ce que j’ai eu à accomplir jusque-là. Ai-je joué ma partition nonobstant tous les problèmes que j’ai rencontrés au pays à cause de mon engagement ?  A chaque fois, qu’on parlera du Rap Mauritanien, on parlera de moi pour mille et une raisons. Je suis un self made man, un villageois nomade, qui a bousculé et fait bousculer les codes pour trouver sa place.

Interview réalisée par Camara Mamady