Il y a exactement 61 ans, la Mauritanie accédait à l’indépendance – Il est connu et reconnu dans le monde de la presse et littéraire. Il a collaboré avec toutes les grandes rédactions à Nouakchott ou presque. Il a été acteur majeur du lancement de très nombreux magazines et sites d’informations. Il, c’est bien sûr MLK (Mamoudou Lamine Kane), journaliste-écrivain et consultant en communication, qui a bien voulu répondre aux questions de Farafinainfo. Entretien sans langue de bois …
Comment vous présenter aux lecteurs du site panafricain d’informations générales, Farafinainfo.com ?
Je suis un consultant en communication et capitalisation de projets aujourd’hui. J’ai été journaliste pendant une dizaine d’années en Mauritanie. Cette casquette demeure encore plus ou moins à travers mon blog mozaikrim.over-blog.com, mais mon cœur de métier est actuellement lié au monde de l’urgence et du développement.
A mes heures éperdues, j’essaie de noircir quelques pages de poésie. Quelques-unes sont publiées.
Joyeux et bel anniversaire à la République Islamique de Mauritanie, qui fête le 61ème anniversaire de son accession à l’indépendance. Avez-vous un souhait à formuler, voire un vœu pieux pour les prochaines années ?
Je souhaite simplement à ce pays d’apprendre le sens du mot « Justice ». Sans ce terme élémentaire, suivi de sa pratique, tout le reste n’a aucun sens, et aucun socle pérenne. La justice sociale, la justice pour les investisseurs, la justice économique, la justice judiciaire… La Justice. C’est l’assise d’une société qui marche, particulièrement d’une société qui arbore avec autant de fierté son identité musulmane.
Que retenez-vous de ces années de souveraineté nationale en tant que citoyen mauritanien et journaliste observateur ?
61 ans après l’indépendance du pays je retiens deux faits fondamentaux à mes yeux : la société mauritanienne est plus fragmentée et cloisonnée que jamais. Les communautés vivent côte à côte et les interstices entre elles s’élargissent de plus en plus. Ce qui veut dire ipso facto, que l’idée d’une Nation Mauritanienne n’existe pas simplement : les individus/communautés composant ce pays ne se sentent pas liés par les mêmes histoires, et surtout ne se sentent pas liés à une même communauté de DESTIN !
Le second fait est lié à l’inertie d’un système de gouvernance sclérosé, qui pèse sur de vraies réformes, notamment au niveau des communes, et empêche l’évolution socio-économique de ces collectivités ; car que l’on ne s’y trompe pas : le développement viendra d’en bas, de ces collectivités. Et pour observer ce phénomène de l’intérieur, je sais aujourd’hui que ceux sensés garantir l’application des lois, et des mécanismes administratifs, sont ceux qui la sabotent le plus activement.
Tous les faits sociaux observables à côté, découlent à mes yeux de ces 2 éléments : la pauvreté, la catastrophe nationale de l’éducation publique, l’ostracisme communautaire, etc…
Quel regard portez-vous sur l’histoire sociopolitique de la Mauritanie ?
Le champ est vaste et boueux. Mais à choisir un angle de vue, je prendrais celui de l’évolution récente de la sociopolitique mauritanienne. Nous sommes habitués ici à des femmes et hommes politiques cartables : c’est-à-dire ne portant aucune réelle valeur, ni velléités de changement, à part celui d’un entourage direct. La condition humaine de leurs concitoyens, extrêmement pauvres pour une relative majorité d’entre eux (les chiffres varient entre 36, 48, ou même 52% selon les sources des bailleurs- ndlr), ne les intéressent pas vraiment.
Mais travaillant depuis un an et demi avec une des communes de Nouakchott, je vois la potentialité d’émergence de nouveaux leaders politiques, COMPETENTS, HONNETES, et liés corps et âmes à la TRANSPARENCE dans leur système de gouvernance. Mais la force d’inertie du système en place leur met des bâtons dans les roues. Cette expérience me montre comment les ressources du pays et des citoyens sont pillées au quotidien avec le silence complice et approbateur de certaines autorités de tutelle, pour le profit de quelques personnes, contre celui de dizaines de milliers de contribuables.
Dans ce cadre-là, l’histoire sociopolitique se répète encore, mais le paradigme mauritanien est amené à changer par « la force des choses ». La flambée de l’insécurité en début d’année était un de ces éléments de réponse.
Que peut-on lui souhaiter de mieux pour les prochaines années ?
Il faut souhaiter à ce pays d’apprendre la bonne gouvernance et la justice. Ce sont ses deux ennemis majeurs. La bonne gouvernance acquise et la justice réalisée, la suffisance alimentaire, l’éducation, les infrastructures, les compétences réelles aux places importantes etc. suivront naturellement.
Votre 3ème et dernier recueil de poésie était « Les musulmans d’Inal » aux éditions Acoria en 2011. Depuis dix ans, rien. Pourquoi ce long silence ?
Je n’ai rien écrit entre 2011 et 2017 en fait. J’ai repris pour clôturer un 4ème recueil mais qui tarde à sortir à cause de la crise COVID (le livre était prévu en 2020- ndlr). Parallèlement mon 1er roman, « La balade de Kaba », est en cours de réécriture partielle, à la demande de mon nouvel éditeur, qui m’a poussé dans mes retranchements, pour cet exercice littéraire qui n’est pas « naturel » pour moi.
Mais le travail est la principale raison de ce silence. Les rêves, la passion, l’eau fraîche, c’est beau, c’est bon, mais arrivé à un certain âge, le mur de la réalité (économique) et celui de la paternité, nous obligent à nous immerger davantage dans le monde professionnel. Et en tant que consultant, mon temps est très pris dans ce sens, grâce à Dieu. Mais 2022 recèle quelques surprises si Dieu veut.
Quel regard portez-vous sur la littérature africaine en général, les littératures maghrébine et mauritanienne en particulier ?
La littérature africaine en générale se porte bien. Chimamanda Ngozi Adichie est une de ses belles plumes figures de proue. La digne héritière de Chinua Achebe au Nigeria. Globalement je suis resté plongé dans la littérature classique (post-indépendance) africaine qui a posé les bases de différents styles liés à la culture orale du continent. Que l’on pense à Naguib Mahfouz en Egypte, à Kourouma l’ivoirien, et surtout à Amadou Hampaté Ba le malien, le style de l’oralité ressort très nettement.
On retrouve ce trait narratif chez l’écrivain mauritanien Mbarek Beyrouk.
C’est un trait que je (re)découvre très régulièrement et qui me semble une passerelle naturelle à l’empathie, à l’humanisme.
Peut-on réellement vivre de sa plume en Mauritanie en tant qu’écrivain ?
On peut étendre la zone de la question : peu d’écrivains vivent de cette (réelle) passion. Pour la plupart que j’ai rencontrée, c’est une catharsis fondamentale, et ils ont un travail à côté qui les fait vivre. Ils écrivent originellement parce qu’ils ont besoins d’écrire, sans calcul mercantile.
Particulièrement pour la Mauritanie, à part éventuellement Mbarek Beyrouk à qui il faudrait poser la question, je ne pense pas a priori qu’il y ait un auteur vivant de sa plume. Même les journalistes ont du mal, alors…
Pourquoi les femmes mauritaniennes écrivaines se comptent sur les doigts d’une main ?
Les écrivains tout court ne sont pas légion en Mauritanie. Et les raisons valent quel que soit le genre : l’analphabétisme en général (taux d’alphabétisation de 53,5% en 2017 selon l’Atlas Mondial des Données : https://knoema.fr/atlas/Mauritanie/topics/%C3%89ducation/Alphab%C3%A9tisation/Taux-dalphab%C3%A9tisation-des-adultes )
Et même dans la tranche supposée alphabétisée, l’habitude de lire s’estompe de plus en plus ; donc celui d’écrire est à peine potentiellement éveillé. Une tante en me visitant un jour avec ses enfants, et en découvrant ma bibliothèque, m’avait demandé pourquoi je mettais apparemment tant d’argent pour des livres, « que ça ne sert à rien »… Cela vous donne une perspective assez juste sur le respect donné à d’autres prismes de lecture.
Vous êtes un journaliste, qui a travaillé pour plusieurs rédactions en Mauritanie et participé à l’émergence des journaux, magazines et autres sites d’informations voire aux choix rédactionnels de certains en tant que Rédacteur en Chef. Quel regard portez-vous sur la presse mauritanienne ?
C’est une presse qui ne travaille pas, à 2-3 exceptions près. Qu’on se dise franchement les choses : quand vous avez 90% des sites électroniques, ou mêmes des journaux imprimés, qui reprennent tous ensemble 90% des informations des 10% travaillant, cela montre clairement une défaillance éditoriale, déontologique, professionnelle, et surtout : TECHNIQUE.
Je sais qu’en public on met toujours en avant le facteur économique, qui est important évidemment, mais qui ne peut être l’unique cause de cette défaillance. Il y a des modèles économiques à méditer, tester. On ne peut tendre continuellement la main aux autorités publiques et évoquer « l’indépendance ».
Comment voyez-vous son évolution avec l’avènement du journalisme citoyen ?
La presse mauritanienne n’est pas menacée par le journalisme citoyen. Elle doit juste sortir de sa léthargie, et de son conformisme. L’expérience noorinfo.com initiée par son directeur de publication Karim Kabage avait prouvé que c’était possible, et qu’un modèle économique adéquat pouvait être trouvé.
La presse mauritanienne a raté le virage de l’internet, comme elle est entrain de rater celui du multimédia informatif. Le journalisme citoyen tel que décliné actuellement ne peut pas remplacer l’information présentée par un journalisme professionnel sérieux. La presse ne vend quasiment rien d’ailleurs en papier. Donc soit elle s’adapte au virtuel, soit elle est morte. Ce qu’elle est virtuellement d’ailleurs aujourd’hui.
Que pensez-vous des médias audiovisuels mauritaniens ?
On peut dire qu’ils sont inexistants sur le plan programmatique. Le contenu est toujours aussi comparatif au vide sidéral. C’en est consternant. Que ce soit le média public qu’est la TVM ou même les privés, le manque d’imagination est identique.
On en revient au virage du virtuel : dans mon entourage direct et même professionnel, je ne connais personne qui regarde une de ces chaînes. Il y a des formats intermédiaires indiqués pour la réalité économique et de l’entrepreneuriat mauritaniens, où la concurrence est très faible, et où donc le modèle économique ne peut pas se baser essentiellement sur les publicités. A part les compagnies de téléphone, personne ne pratique la publicité régulièrement.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes filles et garçons qui aimeraient vous emboîter le pas ?
Chaque parcours est tellement différent… Il y a une grande part d’abnégation et de patience, et surtout, je le répète souvent : de la passion. J’ai toujours voulu écrire, et gagner sa vie en le faisant aurait été l’idéal. Je le fais sous différentes formes, mais il a fallu beaucoup de patience et de passion (pour apprendre continuellement, apprendre à être polyvalent) pour entrevoir un début de sentier à explorer.
La Grande Interview de Farafinainfo.com réalisée par Camara Mamady